Droit :
1.
1.1 Sous
réserve des exceptions prévues à l'art. 32
LTAF, le Tribunal, en vertu de l'art. 31
LTAF, connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5
PA, prises par
les autorités mentionnées à l'art. 33
LTAF. En particulier, les décisions
rendues par le SEM concernant l'asile peuvent être contestées devant le Tribunal, lequel
statue alors définitivement, sauf demande d'extradition déposée par l'Etat
dont le requérant cherche à se protéger (art. 105
en relation avec l'art. 6a
al. 1
LAsi ; art. 33 let. d
LTAF et art. 83 let. d
ch. 1 LTF), exception
non réalisée en l'espèce.
1.2 En
date du 1er mars 2019, sont entrées
en vigueur les dispositions de la LAsi et de l'ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l'asile
relative à la procédure (OA 1, RS
142.311) qui ont fait l'objet de la part du législateur
respectivement de la modification du 25 septembre 2015 (cf. ordonnance portant dernière mise en
vigueur de la modification du 25 septembre 2015 de la loi sur l'asile du 8 juin 2018 [RO 2018 2855])
et de la modification du 8 juin 2018 (RO 2018 2857). En vertu de l'al. 1 des dispositions transitoires
de la modification de la LAsi du 25 septembre 2015, les procédures pendantes à l'entrée
en vigueur de cette modification sont régies par l'ancien droit, sous réserve, selon
l'al. 2 desdites dispositions transitoires, des procédures accélérées et des
procédures Dublin menées dans le cadre de phases de test, lesquelles sont soumises au droit
leur étant applicable avant l'entrée en vigueur de ladite modification. Les dispositions
de la LAsi et de l'OA 1 dans leur teneur en vigueur jusqu'au 28 février 2019 demeurent
donc applicables à la présente procédure de recours.
1.3 A
moins que la LAsi n'en dispose autrement, la procédure devant le Tribunal est régie par
la PA, la LTAF et la LTF (art. 6
LAsi [dans sa teneur en vigueur jusqu'au 28 février 2019]
et art. 37
LTAF).
1.4 Les
intéressées ont qualité pour recourir. Présenté dans la forme et le délai
prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 48 al. 1
PA et art. 52 al. 1
PA,
applicables par renvoi de l'art. 37
LTAF, et art. 108 al. 2
LAsi).
1.5 Le
Tribunal applique le droit d'office, sans être lié par les motifs invoqués dans
le recours (art. 62 al. 4
PA, par renvoi de l'art. 105
LAsi et de l'art. 37
LTAF), ni
par l'argumentation juridique développée dans la décision entreprise (cf. ATAF 2009/57
consid. 1.2). Il peut ainsi admettre un recours pour un autre motif que ceux invoqués devant lui
ou le rejeter en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité intimée
(cf. ATAF 2007/41 consid, 2 ; Moor/Poltier,
Droit administratif, vol. II, 3ème éd.,
2011, p. 820 s.).
1.6 Le
recours peut être interjeté pour violation du droit fédéral, notamment pour abus
ou excès dans l'exercice du pouvoir d'appréciation, ou pour établissement
inexact ou incomplet de l'état de fait pertinent (art. 106 al. 1 let. a
et b LAsi).
1.7 Saisi
d'un recours contre une décision de non-entrée en matière sur une demande d'asile,
le Tribunal se limite à examiner le bien-fondé d'une telle décision (cf. ATAF 2012/4
consid. 2.2 ; 2009/54 consid. 1.3.3 ; 2007/8 consid. 5).
2.
En
l'occurrence, il y a lieu de déterminer si le SEM était fondé à faire application
de l'art. 31a al. 1
let. b LAsi, disposition en vertu
de laquelle il n'entre pas en matière sur une demande d'asile lorsque le requérant
peut se rendre dans un Etat tiers compétent, en vertu d'un accord international, pour mener
la procédure d'asile et de renvoi.
2.1 Avant
de faire application de la disposition précitée, le SEM examine la compétence relative
au traitement d'une demande d'asile selon les critères fixés dans le règlement
Dublin III. S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de
la demande d'asile, le SEM rend une décision de non-entrée en matière après
que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du requérant (art. 29a
al. 2
OA 1, art. 22 par. 7 et art. 25 par. 2 du règlement Dublin III).
2.2 Aux
termes de l'art. 3 par. 1 du règlement Dublin III, une demande de protection internationale
est examinée par un seul Etat membre, celui-ci étant déterminé selon les critères
fixés à son chapitre III. La procédure de détermination de l'Etat responsable
est engagée, aussitôt qu'une demande d'asile a été déposée
pour la première fois dans un Etat membre (art. 20 par. 1 du règlement Dublin III).
Dans une procédure de prise en charge (anglais : take charge), les critères énumérés
au chapitre III du règlement (art. 8-15) doivent être appliqués successivement (principe
de l'application hiérarchique des critères de compétence, art. 7 par. 1 du règlement
Dublin III). Pour ce faire, il y a lieu de se baser sur la situation existant au moment du dépôt
de la première demande dans un Etat membre (art. 7 par 2 du règlement Dublin III ; ATAF 2012/4
consid. 3.2 ; FILZWIESER/SPRUNG, Dublin III-Verordnung, Vienne 2014, pt 4 sur l'art. 7).
En application de l'art. 12 par. 1 du règlement Dublin III, si le demandeur est titulaire
d'un titre de séjour en cours de validité, l'Etat membre qui l'a délivré
est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
Lorsqu'aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base de ces
critères, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été
introduite est responsable de l'examen (art. 3 par. 2 1ère
phrase du règlement Dublin III).
2.3 L'Etat
responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement
est tenu de prendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 21, 22 et 29
- le demandeur qui a introduit une demande dans un autre Etat membre (cf. art. 18 par. 1
let. a du règlement Dublin III). Cette obligation cesse si le demandeur ou une autre personne
visée à l'art. 18 par. 1 let. c ou d a quitté le territoire des Etats
membres pendant une durée d'au moins trois mois, à moins qu'il ne soit titulaire
d'un titre de séjour en cours de validité délivré par l'Etat membre responsable
(cf. art. 19 par. 2 du règlement Dublin III).
2.4 En
vertu de l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin III, lorsqu'il est impossible de transférer
un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il
y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances
systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs,
qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'art. 4
de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (JO C 364/1 du 18.12.2000, ci-après :
CharteUE), l'Etat procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit
l'examen des critères fixés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat
peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer
le demandeur vers un Etat désigné sur la base de ces critères ou vers le premier Etat
auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la
détermination devient l'Etat responsable.
2.4.1 L'introduction
de la notion de « défaillances systémiques » dans le règlement Dublin
III par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne a fait suite à
l'arrêt de la CourEDH du 21 janvier 2011 dans l'affaire M.S.S.
c. Belgique et Grèce (requête n° 30696/09) et à celui de la Cour de
justice de l'Union européenne (ci-après : CJUE) du 21 décembre 2011
dans les affaires N.S. c. Secretary of State for the Home Department
et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. c. Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality
and Law Reform (arrêt du 21 décembre 2011, C-411/10 et 493/10 ; cf. aussi
FILZWIESER/SPRUNG, op. cit., pt 12 sur l'art. art. 3 et arrêt de la CJUE du 16 février
2017 dans l'affaire C.K., H.F. et A.S. c. République slovène,
C-578/16, par. 60).
Les « défaillances systémiques » constituent donc l'une des raisons
imposant à l'Etat requérant d'admettre que le demandeur d'asile pourrait
être exposé, dans le pays du transfert, à des traitements contraires à l'art. 4 de
la CharteUE. Si cette disposition n'est certes pas, en tant que telle, applicable à la Suisse,
pays non-membre de l'Union européenne, son contenu essentiel est toutefois repris à l'art.
3
CEDH (cf. à cet égard Jean-Pierre Monnet, La
jurisprudence du Tribunal administratif fédéral en matière de transfert Dublin, in :
Schengen et Dublin en pratique - Questions actuelles, 2015, p. 373, ainsi que l'ATAF
2010/27, consid. 5.3). Du reste, ce n'est pas tant la source du risque qui importe, mais plutôt
l'existence de motifs sérieux et avérés de croire que l'individu court un
risque réel d'être soumis à un traitement inhumain ou dégradant en cas de transfert.
2.4.2 Dans
l'arrêt M.S.S. précité, la Grande Chambre
de la CourEDH avait retenu que la procédure d'asile en Grèce était caractérisée
par des défaillances structurelles d'une ampleur telle que les requérants d'asile
avaient peu de chances de voir leurs demandes examinées par les autorités grecques et qu'en
l'absence de recours effectif ils n'étaient pas protégés, in
fine, contre un renvoi arbitraire vers leur pays d'origine (par. 300 et 321). Elle
avait relevé les carences liées à l'information insuffisante des demandeurs d'asile
sur les procédures à suivre, les difficultés d'accès aux bâtiments de
la préfecture de police de l'Attique, l'absence d'un système de communication
fiable entre les autorités et les intéressés, la pénurie d'interprètes
et le manque d'expertise du personnel pour mener les entretiens individuels, le défaut d'assistance
judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d'asile d'être accompagnés
d'un avocat ainsi que la longueur excessive des délais pour obtenir une décision. La
Cour avait constaté que ces carences affectaient tant les demandeurs d'asile qui arrivaient
pour la première fois en Grèce que ceux qui étaient renvoyés en application du règlement
Dublin (par. 301). Elle avait également considéré comme préoccupants les résultats
des différentes enquêtes menées par l'UNHCR qui montraient que les décisions
de première instance étaient, dans la quasi-totalité des cas, négatives et rédigées
de manière stéréotypée sans spécifier les éléments motivant la décision
(par. 302). S'agissant des conditions d'accueil des requérants d'asile, la Cour
avait relevé qu'il y avait, selon les informations données par le gouvernement grec,
une pénurie très importante de places dans les centres d'accueil (soit moins de 1'000
places pour faire face à l'hébergement de dizaines de milliers de demandeurs d'asile).
Elle avait également noté que, selon l'UNHCR, il était notoire qu'un demandeur
d'asile de sexe masculin et d'âge adulte n'avait à peu près aucune chance
de recevoir une place dans un centre d'accueil et que d'après une étude menée
de février à avril 2010, tous les demandeurs d'asile « Dublin
» interrogés par l'UNHCR étaient sans-abri. Ceux-ci vivaient dès lors
en grand nombre dans des parcs ou des immeubles désaffectés (par. 258). Elle avait aussi relevé
que, selon divers rapports d'organes internationaux et d'organisations non gouvernementales
(ci-après : ONGs), la mise en détention systématique des demandeurs d'asile
sans information sur les motifs de leur détention était une pratique généralisée
des autorités grecques (par. 226). Tous les centres visités par les organes et organisations
auteures des rapports présentaient, à des degrés divers de gravité, le profil suivant :
surpopulation, saleté, espace confiné, absence de ventilation, pas ou peu de possibilités
de promenade, absence d'espaces de détente, nombre de matelas insuffisant, matelas sales,
pas d'accès libre aux toilettes, insuffisance des sanitaires, non-respect de l'intimité,
accès limité aux soins. De nombreuses personnes interrogées se plaignaient également
des insultes, notamment racistes, proférées par le personnel et de l'usage de la violence
physique par les gardiens (par. 162).
2.4.3 Dans
son arrêt N.S. c. Secretary of State for the Home Department
(affaire C-411/10) précité, la CJUE a pour l'essentiel repris les considérations
de l'arrêt M.S.S. de la CourEDH (par. 88), ajoutant encore qu'en 2010, la Grèce
était le point d'entrée de 90% des migrants illégaux dans l'Union européenne,
si bien que cet Etat faisait face à une charge disproportionnée par rapport à celle supportée
par les autres Etats membres (par. 87). Elle avait également précisé que toute violation
d'un droit fondamental par l'Etat membre responsable, respectivement toute violation des
directives européennes applicables en matière d'asile, n'était pas à
même d'induire une responsabilité des autres Etats membres et d'empêcher le
transfert des demandeurs d'asile vers cet Etat, au risque de remettre en cause le système
européen commun d'asile et ses fondements (par. 82 s.). Par contre, s'il y avait
des raisons sérieuses (« substantial grounds »)
de craindre qu'il existait dans cet Etat des défaillances systémiques de la procédure
d'asile et des conditions d'accueil, impliquant un traitement inhumain ou dégradant
des demandeurs d'asile, il y aurait lieu de renoncer au transfert (par. 86).
2.4.4 Dans
son arrêt du 4 novembre 2014 rendu en l'affaire Tarakhel,
la Grande Chambre de la CourEDH avait notamment retenu que la situation en Italie n'était
pas comparable à celle de la Grèce et que la structure et la situation générale du
dispositif d'accueil en Italie ne constituaient pas, en soi, un obstacle à tout renvoi de
demandeurs d'asile vers ce pays. Elle avait cependant constaté qu'il y avait de «
sérieux doutes quant aux capacités [...] du système » italien et avait dès
lors requis des autorités suisses qu'elles obtinssent de l'Italie la garantie que les
requérants
- une famille avec des enfants - seraient accueillis dans
des structures et dans des conditions adaptées à l'âge des enfants, et que l'unité
de la cellule familiale serait préservée (cf. arrêt Tarakhel
précité, par. 115 et 120 ; cf. également consid. 6.3 infra).
2.4.5 Enfin,
l'arrêt récent de la CJUE Abubacarr Jawo c. Allemagne
(arrêt du 19 mars 2019, C-163/2017) contient différentes précisions sur l'interprétation
de la notion de « défaillances systémiques »
(par. 76 ss). Dans cet arrêt, la CJUE a notamment précisé
que de telles défaillances n'entraînent une violation de l'interdiction de traitements
inhumains ou dégradants que lorsqu'elles atteignent un seuil particulièrement élevé
de gravité, déterminé par l'ensemble des données de la cause. Selon la CJUE,
ce seuil serait ainsi atteint lorsque l'indifférence des autorités d'un Etat membre
aurait pour conséquence qu'une personne entièrement dépendante de l'aide publique
se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation
de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins
les plus élémentaires (notamment se nourrir, se laver et se loger), qui porterait atteinte
à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible
avec la dignité humaine (par. 91 s.).
2.4.6 Comme
le Tribunal l'a déjà relevé (cf. arrêt du Tribunal D-7853/2015 du 31 mai
2017 consid. 3.4.), il ressort de ce qui précède que ni la CourEDH, ni la CJUE n'ont
donné de définition claire de la notion de « défaillances systémiques
». Les carences relevées par la CourEDH dans son arrêt M.S.S.
précité permettent cependant de concrétiser
cette notion (cf. consid. 2.4.2 supra).
Se fondant sur différentes définitions proposées par la doctrine et la jurisprudence
(cf. arrêt du Tribunal D-7853/2015 précité, consid. 3.4.4 et réf. cit.), le Tribunal
a retenu, pour sa part, qu'était décisif pour l'établissement de défaillances
systémiques le constat, fondé sur une pluralité de sources d'informations fiables
et concordantes, de carences substantielles concernant, d'une part, l'accès effectif
à une procédure d'asile permettant un examen correct de la demande de protection et,
d'autre part, à des conditions de vie minimales et de détention adéquates au cours
de ladite procédure (cf. arrêt D-7853/2015 précité consid. 3.4.6).
2.5 Par
ailleurs, sur la base de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III (clause de souveraineté),
chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui
est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen
ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement.
3.
3.1 En
l'espèce, il ressort des déclarations de la recourante durant son audition du 9 août
2018 ainsi que des moyens de preuve versés au dossier du SEM que l'intéressée était
au bénéfice d'un titre de séjour italien, valable jusqu'au (...).
En date du 15 août 2018, le SEM a dès lors soumis aux autorités italiennes compétentes,
dans le délai fixé à l'art. 21 par. 1 du règlement Dublin III, une
requête aux fins de prise en charge de la recourante et de son enfant B._______, fondée sur
l'art. 12 par. 1 dudit règlement. Le 17 octobre suivant, le SEM a également
transmis aux autorités italiennes une copie du certificat de naissance du second enfant de la recourante,
C._______.
3.2 Bien
que les autorités italiennes n'aient pas répondu à la requête susmentionnée
en temps utile (art. 22 par. 1 et 6 du règlement Dublin III), l'Italie est
réputée l'avoir acceptée et, partant, avoir reconnu sa responsabilité
pour la prise en charge des intéressées (art. 22 par. 7 du règlement Dublin III).
Par la suite, l'Unité Dublin italienne a d'ailleurs confirmé expressément
cette responsabilité par communication du 28 janvier 2019 (cf. let. F supra).
3.3 La
recourante n'ayant pas contesté ce point, la responsabilité de l'Italie pour le
traitement de la demande d'asile de l'intéressée et de ses enfants est acquise,
au regard des critères de détermination de l'Etat membre responsable (art. 7 ss du règlement
Dublin III).
4.
4.1 Dans
son recours du 25 février 2019, l'intéressée s'est en revanche opposée
à son transfert et à celui de ses enfants vers ce pays au motif que cette mesure serait contraire
aux engagements de droit international liant la Suisse. Elle a fait valoir à ce titre que les conditions
d'accueil en Italie n'étaient pas conformes aux prescriptions de l'art. 3
CEDH.
Elle a par ailleurs allégué souffrir de problèmes d'hypertension et être sous
traitement et surveillance médicale en raison de ses affections médicales. Elle a soutenu qu'elle
n'aurait plus accès à un suivi médical en cas de retour en Italie et qu'en
l'absence de garanties individuelles prenant en compte sa situation particulière - une
mère seule avec deux enfants en bas âge - un transfert en Italie les exposerait toutes
les trois à vivre durablement en dessous du minimum vital, dans des conditions indignes de la personne
humaine. En outre, elle risquerait d'être séparée de ses enfants, car elle n'aurait
pas les moyens de subvenir seule à leurs besoins, ce qui entrainerait une violation de l'art.
8
CEDH.
4.2 Invité
par le Tribunal à se déterminer sur les arguments du recours et à citer les sources des
informations présentées dans la décision attaquée et portant, d'une part, sur
les places disponibles dans les structures d'accueil et, d'autre part, sur les prestations
offertes aux requérants d'asile par les structures de premier accueil (CAS et CARA), le SEM
a d'abord relevé que les allégations de la recourante selon lesquelles les conditions
d'accueil en Italie ne seraient pas conformes à l'art. 3
CEDH se limitaient à de
simples allégations, qui n'étaient nullement étayées par la recourante.
Concernant l'argument de la recourante selon lequel le SEM n'aurait pas obtenu de garantie
individuelle de la part des autorités italiennes, le SEM a précisé que, si le décret
« Salvini » avait effectivement restreint l'accès aux centres d'accueil de
« seconde ligne » pour les requérants d'asile, cela ne signifiait pas
pour autant qu'il n'existait pas de structures d'accueil pour les familles en Italie.
Il a rappelé que, dans leur circulaire du 8 janvier 2019, les autorités italiennes avaient
précisé que les structures désignées étaient adéquates pour l'accueil
de « tous les bénéficiaires » et qu'il pouvait dès lors être
considéré que les familles transférées en Italie seront hébergées dans
une structure adéquate à l'âge des enfants, tout en préservant l'unité
familiale, dans le respect de la jurisprudence de la CourEDH. S'agissant des prestations offertes
dans les centres d'accueil de « première ligne », le SEM a relevé
que le Ministère italien avait précisé qu'il s'agissait d'une « assistanza
essenziale », et que la principale différence entre les prestations offertes dans les
centres de « seconde ligne » et les centres de premier accueil concerne essentiellement
les mesures d'intégration (p. ex. des cours d'italien), qui ne sont pas proposées
dans ces derniers. Le SEM a renvoyé à la description du cahier des charges pour les centres
de premier accueil, décrite dans une circulaire du Ministère de l'intérieur italien
datée du 20 novembre 2018. L'autorité de première instance a réitéré
qu'en l'espèce, les autorités italiennes avaient identifié les recourantes
comme des membres d'une seule et même famille et avaient garanti que celles-ci seraient prises
en charge conformément à la circulaire du 8 janvier 2019. Il a dès lors soutenu qu'il
n'y avait aucun élément qui faisait penser qu'un retour en Italie mettrait la recourante
et ses enfants dans une situation existentielle critique.
En ce qui concerne les problèmes de santé de la recourante, le SEM a constaté que
l'intéressée n'avait transmis aucun rapport médical attestant ses déclarations.
Il a ajouté que si ses problèmes médicaux devaient être confirmés, celle-ci
pourrait bénéficier, en tant que requérante d'asile en Italie, des prestations de
soins médicaux prévues par la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen
et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes
demandant la protection internationale [refonte] (JO L 180/96 du 29.6.2013, ci-après : directive
Accueil). Le SEM a relevé que le décret « Salvini » n'avait en outre pas modifié
l'accès aux soins pour les requérants d'asile et que l'accès au Système
national de santé (SSN) demeurait garanti, au même titre que pour une personne résidente
en Italie. Il a en outre précisé que, malgré « les complications administratives »
engendrées par le fait que les requérants d'asile ne pouvaient désormais plus être
inscrits dans les registres communaux de la population résidente, l'accès aux services
fournis sur le territoire italien demeurait garanti dans le lieu de domicile, à savoir le lieu
de la structure de premier accueil où loge le requérant d'asile.
S'agissant enfin du nombre de places d'accueil disponibles en Italie, le SEM a relevé
qu'il s'était basé sur un rapport hebdomadaire intitulé « Integrated
Situation Awareness and Analysis (ISAA) » daté du 8 janvier 2019, élaboré
dans le cadre du dispositif intégré de l'Union européenne pour une réaction
au niveau politique dans les situations de crise (IPCR). Selon le SEM, ce rapport est transmis par la
Commission européenne aux diverses autorités migratoires européennes, dont la Suisse,
et est alimenté par les Etats eux-mêmes. Les données concernant les places d'accueil
disponibles en Italie, utilisées par le SEM dans la décision attaquée, ont dont été
transmises à l'ICPR par les autorités italiennes. Le SEM a cependant indiqué que
le document en question ne pouvait pas être mis à disposition du public et que les données
au sujet des places d'accueil en Italie demeuraient la propriété des autorités italiennes.
Pour ces motifs, le SEM n'était pas en mesure de transmettre au Tribunal le rapport ISAA précité,
sur lequel il s'était fondé dans sa décision du 14 février 2019.
4.3 Dans
sa réplique du 9 mai 2019, la recourante a complété son récit en indiquant que son
premier départ du Nigéria, en 2010, avait été organisé par une femme qui l'avait
faite venir en Italie et l'avait ensuite contrainte à se prostituer pendant deux ans. L'intéressée
aurait toutefois réussi à s'enfuir et se serait dans un premier temps réfugiée
chez un homme qu'elle avait rencontré dans la rue. Elle aurait par la suite rencontré
l'homme qui est désormais son mari. Elle a précisé que tout allait bien avec lui
jusqu'à la naissance de leur première fille, suite à quoi il aurait commencé
à se montrer violent avec elle. Elle renvoie pour le reste à ses déclarations durant son
audition du 9 août 2018. Elle allègue qu'elle demeure très choquée par les
événements vécus à D._______ et affirme que sa mère continuerait à recevoir
des pressions constantes de la femme qui l'aurait contrainte à la prostitution. Elle a en
outre produit une attestation médicale la concernant, dont il ressort qu'elle souffre principalement
d'une hypertension persistante, suite à son deuxième accouchement, et qu'elle demeure
traumatisée par l'idée de vivre à proximité de son mari. Elle soutient que,
pour ces motifs complémentaires, les autorités suisses devraient renoncer à son transfert
et à celui de ses enfants vers l'Italie, pour des motifs humanitaires.
4.4 Le
Tribunal doit prendre en considération, conformément au principe jurisprudentiel général,
l'état de fait et de droit existant au moment où il statue (cf. ATAF 2011/1
consid. 2 ; 2008/12 consid. 5.2 ; 2008/4 consid. 5.4 ; Walter
Stöckli, Asyl, in : Uebersax/Rudin/Hugi
Yar/Geiser [éd.], Ausländerrecht, Bâle / Berne
/ Lausanne 2009, nos 11.17 s.).
5.
5.1 Le
Tribunal rappelle en premier lieu que l'Italie est liée à la CharteUE et partie à
la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Conv. réfugiés,
RS
0.142.30), ainsi qu'au Protocole additionnel du 31 janvier 1967 (Prot., RS
0.142.301),
à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Conv. torture, RS
0.105), et, à ce
titre, est tenue d'en appliquer les dispositions. Elle est également liée par la directive
no 2013/32/UE du Parlement européen
et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le
retrait de la protection internationale [refonte] (JO L 180/60 du 29.6.2013, ci-après : directive
Procédure) et par la directive Accueil, ainsi que par la directive no 2011/95/UE
du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives
aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier
d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes
pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection [refonte]
(JO L 337/9 du 20.12.2011).
Dans ces conditions, cet Etat est présumé respecter la sécurité des demandeurs
d'asile, en particulier leur droit à l'examen, selon une procédure juste et équitable,
de leur demande, et leur garantir une protection conforme au droit international et au droit européen
(cf. directives précitées).
5.2 Toutefois,
cette présomption de sécurité est réfragable. Cela signifie que les Etats demeurent
responsables, au regard de la CEDH, de tous les actes et omissions de leurs organes qui découlent
du droit interne ou de la nécessité d'observer les obligations juridiques internationales
(cf. arrêt de la CourEDH M.S.S. c. Belgique et Grèce
du 21 janvier 2011, requête n° 30696/09, par. 338).
5.3 Ainsi,
cette présomption doit être écartée d'office lorsqu'il y a, comme indiqué
ci-avant (cf. consid. 2.4 à 2.4.6), de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans
l'Etat membre responsable, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile
et les conditions d'accueil des demandeurs. Dans un tel cas, l'Etat requérant doit renoncer
au transfert.
5.4 Par
conséquent, il convient, dans un premier temps, d'examiner s'il y a lieu de conclure
à l'existence de défaillances systémiques au sens de
l'art.
3 par. 2 du règlement Dublin III en ce qui concerne tant la procédure d'asile que les
conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie.
6.
6.1 Dans
ses arrêts et décisions concernant les transferts de personnes vers l'Italie, en application
du règlement Dublin, la CourEDH a jusqu'ici toujours refusé d'admettre l'existence
de violations systémiques en Italie.
En novembre 2014, dans son arrêt Tarakhel précité,
la CourEDH a retenu que la situation de l'Italie ne pouvait aucunement être comparée
à la situation de la Grèce à l'époque de l'arrêt M.S.S.
précité. Si elle a certes admis que les données et informations recueillies sur ce pays
faisaient naître de sérieux doutes quant aux capacités du système d'accueil
des demandeurs d'asile et que l'hypothèse d'un nombre significatif de demandeurs
d'asile privés d'hébergement, ou hébergés dans des structures surpeuplées,
dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, ne pouvait dès
lors être écartée comme dénuée de fondement, elle a cependant conclu que la
structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne constituaient
pas, en soi, un obstacle à tout transfert de demandeurs d'asile vers ce pays. Cette appréciation
a ensuite été confirmée par la CourEDH dans son arrêt en l'affaire A.S.
c. Suisse du 30 juin 2015 (requête no 39350/13,
par. 36), sa décision en l'affaire A.M.E. c. Pays-Bas
du 13 janvier 2015 (requête n° 51428/10) et sa décision Jihana
Ali et al. c. Suisse et Italie du 4 octobre 2016 (requête n° 30474/14, par. 33).
6.2 Or,
depuis le prononcé de ces arrêts et décisions de la CourEDH (en 2014, 2015 et 2016), plusieurs
changements tant factuels que législatifs ont eu lieu en Italie.
6.2.1 D'un
point de vue factuel, tout d'abord, l'on constate une forte diminution du nombre d'arrivées
de nouveaux requérants d'asile dans ce pays en 2018 par rapport à l'année
précédente. Selon les données du UNHCR, 23'370 nouveaux arrivants ont été
enregistrés en Italie durant l'année 2018, contre 119'369 en 2017. Cette tendance
à la baisse s'est poursuivie durant les premiers mois de 2019, même si l'on relève
à nouveau une augmentation du nombre d'arrivées à partir du mois de mai 2019.
Le nombre de demandes d'asile a aussi fortement baissé en 2018 et en 2019 (durant l'année
2018, l'Italie a ainsi reçu 53'596 demandes d'asile, soit 59% de moins qu'en
2017, alors qu'entre janvier et octobre 2019, le nombre de demandes d'asile a chuté
de 42% par rapport à la même période en 2018). Cette diminution a eu pour conséquence
que la situation s'est également détendue s'agissant du système d'accueil
des requérants d'asile. Ainsi, en date du 30 septembre 2019, l'Italie comptait
99'599 personnes dans le système d'accueil, ce qui représente 34% de moins qu'à
la même période en 2018. Le nombre de personnes transférées en Italie en vertu du
règlement Dublin a par contre triplé ces 5 dernières années. L'année dernière,
l'Italie a reçu pas moins de 46'000 requêtes de prise ou de reprise en charge des
autres Etats membres Dublin (cf. UNHCR, Italy Weekly Snapshot - 27 Oct. 2019, disponible
sur <https://data2.unhcr.org/en/documents/download/72015> ; UNHCR, Fact Sheet Italy, September
2019, disponible sur <https://data2.unhcr.org/
en/documents/download/71858>
; UNHCR, Italy Operational Update, December 2018, <https://data2.unhcr.org/en/documents/download/
67557>
; Consiglio Italiano per i Rifugati (CIR), Aggiornamento dati e satistiche su asile e immigrazione, 17
octobre 2019, disponible sur
<http://www.cir-onlus.org/wp-content/uploads/2019/10/Dati-asilo-e-immigr
azione-ottobre-2019.pdf> ;
voir également les statistiques du Ministère italien de l'intérieur, disponibles
sur http://www.libertaciviliim
migrazione.dlci.interno.gov.it/it/documentazione/statistica/cruscotto-statisti
co-giornaliero>).
Il ressort de ce qui précède que les flux migratoires en Italie ont considérablement
évolué ces deux dernières années. Toutefois, malgré la baisse importante du
nombre de nouvelles arrivées et de demandes de protection, le système d'asile italien
demeure toujours sous pression, en particulier en raison l'engorgement créé par les dossiers
en attente ; ces dernières années, les requérants d'asile devaient attendre
en moyenne deux ans avant qu'une décision de première instance sur une demande d'asile
ne soit prise (le nombre de procédures d'asile en suspens est ainsi passé de 105'000
à plus de 150'000 entre début et fin 2017 ;
cf. à ce sujet European Stability Initiative [ESI], The Italien Magnet, mars 2018, disponible
sur <www.esiweb.org/pdf/ESI%20core%20facts%20-%20The
%20Italian%20Magnet%20-%2013%20March%202018.pdf>).
6.2.2 D'un
point de vue législatif, ensuite, on relèvera principalement l'entrée en vigueur,
le 5 octobre 2018, du décret législatif n° 113/2018 sur la sécurité et l'immigration,
ou décret « Salvini », qui a été approuvé par le parlement italien le 28
novembre 2019 et est entré durablement dans la législation, via une loi d'application
datée du 1er décembre 2018
et entrée en vigueur le 4 décembre suivant (cf. Legge 1 dicembre 2018, n. 132 ;
ci-après : loi n° 132/2018). Tant le décret que sa loi d'application demeurent
actuellement en vigueur, malgré les récents changements politiques en Italie.
Le décret « Salvini » et sa loi d'application ont introduit plusieurs changements
importants dans le système d'asile italien, sur lesquels il sera revenu, pour l'essentiel,
dans les considérants qui suivent.
6.2.3 Procédure
d'asile
Le décret « Salvini » n'a pas fondamentalement modifié le déroulement
de la procédure d'asile en Italie. Le dépôt d'une demande d'asile s'effectue
toujours en deux étapes : en premier lieu, la procédure initiale d'enregistrement
et de vérification de l'identité et de la nationalité (fotosegnalamento),
puis l'enregistrement formel de la demande d'asile (verbalizzazione),
qui doit être effectué auprès de la Préfecture (Questura)
compétente. Du point de vue des autorités, ce n'est qu'à partir de cette seconde
étape que débute véritablement la procédure d'asile (cf. Asylum Info Database
[AIDA], Country Report : Italy, 2018 Update, avril 2019, p. 29 s., disponible sous <www.asylineurope.org/sites/default/files/report-download/aida_it_2018update.pdf>).
Depuis l'entrée en vigueur du décret « Salvini », les personnes requérantes
d'asile n'obtiennent plus d'autorisation de séjour pendant la procédure d'asile,
mais une simple attestation qu'elles se trouvent dans une procédure d'asile en cours
(cf. OSAR, Situation actuelle pour les personnes requérantes d'asile en Italie, mai 2019,
p. 8, disponible sur www.osar.ch/assets/herkunftslaender/dublin/italien/190517-auskunft-itali
en-fr.pdf>).
6.2.3.1 Parmi
les nouveautés principales introduites par le décret « Salvini » dans la
procédure d'asile, l'on mentionnera en particulier l'introduction dans la législation
du concept de « pays d'origine sûr » (Safe
country of origin). Il s'agit d'un nouveau motif permettant aux autorités italiennes
d'examiner la demande d'asile de manière prioritaire ou selon une procédure accélérée.
Récemment, le 4 octobre 2019, le gouvernement italien a adopté un nouveau décret établissant
une liste de 13 Etats désignés comme « pays d'origine sûrs »
(cf. ECRE, Italy: List of 13 Safe Countries of Origin to Boost Return Policies, 11 octobre 2019, disponible
à <https://www.ecre.org/italy-list-of-13-safe-countries-of-origin-to-boost-retu
rn-policies/ ).
Le décret « Salvini » a par ailleurs introduit plusieurs nouvelles procédures, dont
une procédure d'asile à la frontière, ainsi que de nouveaux motifs pour lesquels
il est prévu de traiter la demande d'asile en « procédure accélérée »,
notamment lorsque la personne concernée provient d'un pays figurant sur la liste des Etats
tiers sûrs, lorsqu'elle dépose une demande d'asile subséquente sans présenter
de nouveaux éléments à l'appui de cette requête, ou encore lorsque la demande
d'asile est manifestement infondée. La nouvelle loi a en outre introduit une nouvelle définition
de la demande d'asile multiple (domanda reiterata) ainsi
que la possibilité de déclarer une telle demande automatiquement irrecevable, à certaines
conditions. Le décret prévoit par ailleurs la possibilité de traiter certaines demandes
en priorité, notamment dans le cas des personnes vulnérables (cf. art. 7, 7-bis et 9 du décret
« Salvini » et de la loi n° 132/2018 ; AIDA, Country Report :
Italy, op. cit., p. 38, 40 s., 59 ss, 73 s. et réf. cit.).
6.2.3.2 Les
conditions donnant lieu à une détention administrative aux fins d'établir l'identité
ont été élargies par le décret « Salvini » : désormais, les personnes
peuvent aussi être détenues dans des postes de police et la mesure de détention peut durer
de 30 jours à six mois. La durée de la détention en vue de l'expulsion a quant à
elle été doublée, passant de 90 à 180 jours (cf. art. 3 du décret « Salvini »
et de la Loi n° 132/2018 ; ECRE, Italy: Latest Immigration Decree Drops Protection Standards,
26 septembre 2018, disponible sur <https://www.asylumineurope.org/
news/26-09-2018/italy-latest-immigration-decree-drops-protection-standar
ds> ;
Borderline-Europe, 25 septembre 2018, Italien: Salvinis Dekret der Asylrechtsverschärfungen, disponible
sur <https://www.borderline-europe.de/sites/default/files/projekte_files/2018_09_25_Italien-Salvinis%2
0Dekret%20der%20Asylrechtsversch%C3%A4rfungen_JIAN_0.pdf>).
6.2.3.3
Le décret « Salvini » a également aboli le statut de protection humanitaire
en abrogeant la disposition du Décret législatif n° 286/1998 sur l'immigration (Testo
Unico sull'immigrazione) qui prévoyait la délivrance d'un permis de résidence
pour motifs sérieux, en particulier pour des raisons humanitaires ou découlant des obligations
constitutionnelles ou internationales de l'Etat italien. En lieu et place, une autorisation de
séjour « pour cas spéciaux » (« protezione
speziale ») a été introduite, avec une durée de validité d'un
an (renouvelable), qui ne pourra être délivrée qu'à des groupes de personnes
définis de manière très étroite. Les personnes actuellement au bénéfice
d'un statut humanitaire peuvent le garder jusqu'à la date de son expiration (validité
de deux ans). Il ne sera ensuite plus renouvelé. A deux reprises, en janvier 2019 puis, plus récemment,
en septembre 2019, la Cour Suprême de cassation italienne a jugé que les dispositions du décret
« Salvini » abolissant le statut de protection humanitaire n'étaient pas
applicables rétroactivement pour les procédures d'asile pendantes au moment de l'entrée
en vigueur du décret (cf. Corte suprema di cassazione, arrêt du 23 janvier 2019, n° 19651/2018,
disponible sur <https://www.meltingpot.org/IMG/pdf/cass_4890_2019.pdf> et arrêt du 24 septembre
2019, n° 6789/2018, disponible sur <https://www.asgi.it/wp-content/uploads/2019/11/2019_cassazione_2946
0.pdf> ;
cf. aussi art. 1 al. 1 let. b par. 2 du décret « Salvini » ; AIDA, Country
Report : Italy, op. cit., p. 37 et réf. cit. ; OSAR, Situation actuelle pour les
personnes requérantes d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 6 s. ; ASGI, Il regime intertemporale
nell'ambito della protezione umanitaria ai tempi del d.l. 113/2018, octobre 2018, disponible sur
https://www.asgi.it/wp-content/uploads/2018/10/Osservazioni-art.-1-c-8-e-9_def.pdf ; border-line-europe,
Menschenrechte ohne Grenzen e.V. in Zusammenarbeit mit Borderline Sicilia Onlus, Stellungnahme zu der
derzeitigen Situation von Geflüchteten in Italien mit besonderem Blick auf die Unterbringung, 3
mai 2019, disponible sur <https://www.borderline-europe.de/sites/default/files/projekte_files/2019_05_03_BORDERLINE-E
UROPE_Stellungnahme_Unterbringung_ITALIEN_0.pdf> ;
ASGI, Le Se-zioni Unite della Cassazione bocciano il Decreto sicurezza, 14 novembre 2019,
disponible sur <https://www.asgi.it/asilo-e-protezione-internazionale/cassazione-decreto-sicurezza/>).
6.2.3.4 S'agissant
plus particulièrement de l'accès à la procédure d'asile, il ressort des
rapports d'observateurs de terrain que les personnes souhaitant demander l'asile ne sont
généralement pas empêchées de déposer une telle demande lors de leur arrivée
en Italie. Il subsiste cependant de nombreux obstacles pratiques empêchant ou retardant, dans certains
cas, l'accès effectif des personnes concernées à la procédure d'asile.
Il peut s'agir en premier lieu d'obstacles d'ordre administratif (disponibilité
et accessibilité des Questure, procédures mises en place
pour prendre rendez-vous pour la verbalizzazione). Certaines Questure
ont refusé l'accès à la procédure d'asile au motif que les personnes
concernées n'avaient pas réussi à prouver qu'elles bénéficiaient
d'un domicile ou d'une résidence dans la région. D'autres ont exigé
des personnes accompagnées d'enfants mineurs qu'elles prouvent leurs liens familiaux
par le biais de documents pertinents ou via un test ADN financé par leurs propres moyens ;
lorsque les personnes intéressées n'étaient pas en mesure de fournir les documents
requis ou n'avaient pas les moyens de payer un test ADN - ce qui était souvent le cas
-, l'accès à la procédure d'asile leur a été refusé.
Plusieurs jugements récents de tribunaux italiens ont cependant confirmé que de tels obstacles
étaient illégaux. Dans certaines régions d'Italie, les ONGs ont alerté, dès
2017, sur une pratique des Questure consistant à soumettre
aux requérants d'asile un questionnaire visant à « évaluer »
si les personnes concernées étaient des réfugiés ou des migrants économiques.
Les personnes considérées comme des migrants économiques se sont vues refuser l'accès
à la procédure d'asile et n'ont dès lors pas pu faire valoir leurs motifs
lors d'une audition. Certaines Questure ont quant à
elles mis en place une procédure de pré-sélection, se livrant ainsi à un examen préliminaire
dépassant largement le cadre de leurs fonctions telles que prévues par la législation
italienne et fixant des rendez-vous pour la verbalizazzione uniquement
pour les personnes dont elles estimaient qu'elles avaient un besoin de protection internationale.
Selon les observateurs de terrain, le temps d'attente entre le premier dépôt de la demande
d'asile auprès de la Questura (fotosegnalamento)
et son enregistrement formel (verbaliz-zazione) demeure l'un
des obstacles principaux à l'accès à la procédure d'asile en Italie.
Les délais prévus par la législation italienne (en principe, maximum trois jours) sont
en effet rarement respectés en pratique et le temps d'attente jusqu'à la verbalizzazione
varie selon les régions et peut s'étendre à plusieurs semaines, voire plusieurs
mois. Il est souvent plus long dans les grandes villes et dans les localités où les Questure
connaissent un manque de personnel et/ou un fort taux d'occupation. La durée dépend aussi
du nombre de nouvelles demandes d'asile déposées et peut donc varier en fonction de ce
nombre. Des différences de traitement ont également été relevées entre les personnes
qui bénéficiaient d'un hébergement dans un centre pour requérants d'asile
et celles qui vivaient seules. AIDA relève dans son rapport que la personne qui a déposé
une demande d'asile et qui attend la verbalizzazione n'a
aucune garantie de trouver un hébergement (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit.,
p. 30-34 et réf. cit. et p. 82 ; cf. également AIDA, Access to protection in
Europe : The registration of asylum applications, octobre 2018, p. 17, disponible sur <http://www.asylumineurope.org/sites/default/files/shadow-reports/aida_
accessii_registration.pdf> ;
cf. également OSAR, Conditions d'accueil en Italie, août 2016, p. 20 s., disponible sur
https://www.osar.ch/assets/
news/2016/160908-sfh-bericht-italien-f.pdf>).
6.2.3.5 S'agissant
enfin des personnes transférées en vertu du règlement Dublin, il ressort des rapports
d'ONGs et d'observateurs de terrain que celles-ci ne bénéficient d'aucun
traitement de faveur par rapport aux autres requérants d'asile : une fois leur transfert
effectué, elles doivent également se rendre auprès de la Questura
compétente afin d'obtenir un rendez-vous pour faire enregistrer (ou réenregistrer) formellement
leur demande d'asile (verbalizzazione), et se heurtent dès
lors aux mêmes obstacles que les autres requérants d'asile, en particulier s'agissant
des délais pour effectuer la verbalizzazione. Les personnes
qui avaient déjà déposé une demande d'asile en Italie et qui ont quitté
leur hébergement en cours de procédure, sans se présenter à leur audition, sont par
ailleurs soumises au risque que leur demande d'asile ait été clôturée par les
autorités italiennes compétentes. Leur demande d'asile sera alors considérée
comme une demande multiple et sera dès lors sujette aux conditions plus strictes de la nouvelle
procédure introduite par le décret « Salvini » (cf. en particulier AIDA, Country
Report : Italy, op. cit., p. 56 s. ; cf. également OSAR, Conditions d'accueil
en Italie [2016], op. cit. p. 23).
6.2.4 Structure
du système d'accueil
Le décret « Salvini » a modifié de façon considérable l'organisation
du système d'accueil italien. L'accueil de « seconde ligne », qui
était auparavant procuré au travers du système SPRAR (Sistema
di protezione per richiedenti asilo e rifugiati) et avait notamment pour but de fournir des mesures
d'accueil spécifiquement adaptées aux requérants d'asile vulnérables,
notamment les familles, a été aboli pour les requérants d'asile et transformé
en « Système de protection pour les bénéficiaires de la protection internationale
et les mineurs non-accompagnés » (Sistema di protezione
per titolari di protezione internazionale e minori stranieri non accompagnati ou SIPROIMI)
(cf. art. 12 du décret « Salvini » et de la Loi n° 132/2018).
La loi italienne opère donc désormais une distinction claire entre le système d'accueil
pour les requérants d'asile et celui destiné aux bénéficiaires de la protection
internationale. Les deux systèmes d'accueil ne communiquent plus et sont devenus, à tous
égards, deux systèmes parallèles. Les centres SIPROIMI sont destinés aux personnes
qui sont au bénéfice de la protection internationale ; seuls les mineurs non-accompagnés
y ont immédiatement accès, déjà pendant la procédure d'asile. Les autorités
locales peuvent également héberger dans les SIPROIMI
les victimes de traite d'êtres humains, de violence domestique ou d'exploitation, ainsi
que les personnes au bénéfice de certains permis de résidence spéciaux (délivrés
en raison d'un traitement médical particulier, de catastrophe naturelle dans le pays d'origine
de la personne concernée, ou encore pour acte de valeur civique particulière) ; il s'agit
toutefois de cas exceptionnels (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 80 et réf.
cit.).
Les demandeurs d'asile et les bénéficiaires du statut humanitaire qui avaient déjà
obtenu une place dans un ancien centre SPRAR et qui y étaient hébergés au moment de l'entrée
en vigueur du décret « Salvini » peuvent en principe y demeurer jusqu'à la
fin de leur projet d'intégration. Les autres requérants d'asile, y compris les
personnes transférées en vertu du règlement Dublin, ne peuvent désormais être
hébergées que dans les structures d'accueil de « première ligne »,
autrement dit des grands centres gouvernementaux collectifs (ceux-ci comprennent les centres précédemment
connus sous la dénomination de Centri di accoglienza per richiedenti
asilo [CARA] et les Centri di accoglienza [CDA])
ainsi que dans des centres d'urgence (Centri di accoglienza straordinari
[CAS]). Sont également concernées les personnes qui avaient déjà déposé
une demande d'asile avant l'entrée en vigueur du décret « Salvini » ainsi
que les personnes vulnérables ou les familles qui ne bénéficient pas (ou plus) d'une
place dans un ancien centre SPRAR, ou dont le projet d'intégration dans un centre SPRAR s'est
terminé. Il est précisé à ce titre que les jugements des 23 janvier 2019 et 24 septembre
2019 (publiés respectivement en février et en novembre 2019), dans lesquels la Cour Suprême
de cassation italienne avait considéré que le décret « Salvini » ne
s'appliquait pas de manière rétroactive (cf. consid. 6.2.3.3 supra),
ne portaient que sur les dispositions dudit décret concernant la suppression du statut humanitaire
(cf. Circulaire du Ministère italien de l'intérieur du 27 décembre 2018,
disponible sur <http://www.libertaciviliimmigrazi
one.dlci.interno.gov.it/sites/default/files/allegati/circolare_post_decreto_sicurezza_dicembre_2018_v_18_dic.pdf> ;
cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 80 ss et réf. cit. ; OSAR, Situation
actuelle pour les personnes requérantes d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 6).
6.2.5 Etendue
des conditions matérielles d'accueil et obstacles à l'accès en pratique au
système d'accueil
Les centres de « premier accueil » (CDA et anciens CARA) ainsi que les CAS sont
gérés - sur mandat de l'Etat italien - par des associations ou entreprises
privées participant à des procédures publiques d'adjudication (appels d'offres),
organisées sur le plan régional par les Préfectures compétentes. Les mandats de gestion
de ces centres sont accordés pour une durée limitée, souvent courte (six mois).
Selon les rapports d'ONGs et d'observateurs de terrain, les prestations de services individuelles
fournies dans ces centres, qui étaient déjà limitées à des prestations minimales
ou essentielles sous l'ancienne législation, sont désormais presque inexistantes en raison
des nouvelles conditions d'adjudication pour la gestion de ces centres (« Schema
di Capitolato per la gestione dei centri di accoglienza » ;
ci-après : « capitolato »), adoptées
en novembre 2018 par le Ministère de l'intérieur suite à l'entrée en
vigueur du décret « Salvini ». Le nouveau « capitolato »,
qui est toujours en vigueur, a drastiquement réduit la contribution
étatique par personne requérante d'asile dans les centres et garantit uniquement les
besoins fondamentaux. Il a supprimé tous les services d'intégration ainsi que le financement
du soutien psychologique aux requérants d'asile dans les CAS et les centres d'accueil
de « première ligne. Il ne prévoit en outre aucun service spécifique destiné
aux personnes vulnérables ; les mesures spéciales d'encadrement et de protection
de ces personnes dépendent ainsi de contributions purement volontaires de la part des gestionnaires
des centres d'accueil (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 84-86 et réf.
cit. ; OSAR, Situation actuelle pour les personnes requérantes d'asile en Italie [2019],
op. cit., p. 8 s. et réf. cit.).
Selon la pratique relevée en 2016, 2017 et 2018 par les observateurs de terrain, et bien que
la loi prévoie que les requérants d'asile ont le droit de bénéficier des mesures
d'accueil immédiatement après avoir déposé leur demande d'asile, dans
les faits, les personnes concernées ne peuvent accéder au système d'accueil et à
un hébergement qu'une fois leur demande d'asile formellement enregistrée (autrement
dit, une fois la verbalizzazione effectuée). Dans la
mesure où il peut s'écouler jusqu'à plusieurs mois entre le premier dépôt
de la demande d'asile et la verbalizzazione, cela a pour
conséquence que les personnes demandant l'asile doivent fréquemment attendre plusieurs
jours, voire plusieurs semaines, avant d'accéder au système officiel d'accueil.
AIDA relève dans son rapport que l'ampleur réelle de ce phénomène n'est
pas connue, dans la mesure où il n'existe aucune statistique officielle quant au nombre exact
de requérants d'asile qui ne bénéficient pas d'un accès immédiat
à un centre d'accueil après le fotosegnalemento.
A cela s'ajoute que les temps d'attente entre le fotosegnalemento
et la verbalizzazione varient considérablement entre les
Questure et dépendent, entre autres, du nombre de demandes
traitées par chaque Questura (cf. en particulier AIDA, Country
Report : Italy, op. cit., p. 82-84 et réf. cit. ; voir également OSAR, Conditions
d'accueil en Italie [2016], op. cit. p. 8, 22 et 54 ; Médecins sans frontières [MSF],
Fuori campo, février 2018, p. 2 et 36, disponible sur <https://www.medicisenzafrontiere.it/wp-content/uploads/
2018/06/Fuoricampo2018.pdf
>).
6.2.6 Conditions
d'accueil dans les centre d'accueil de première ligne et les CAS
Selon le rapport AIDA, de manière générale, les grands centres gouvernementaux de
premier accueil (anciens CARA) demeurent surpeuplés et la qualité des services d'accueil
qui y sont disponibles ne correspond pas à celle offerte dans des centres d'hébergement
plus petits, comme c'était le cas dans les anciens centre d'accueil SPRAR. Les conditions
d'accueil dans les centres gouvernementaux de premier accueil et les CAS varient par ailleurs considérablement
d'un centre à l'autre. Bien que les services garantis par le « capitolato »
soient, en théorie, identiques dans les différents centres, leur qualité diffère
selon les organisations qui gèrent ces centres (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit.,
p. 94 ss).
Ces dernières années, de sérieuses préoccupations ont été systématiquement
soulevées par les ONGs et les observateurs de terrain quant à l'importante variabilité
des standards d'accueil dans ces centres en pratique, notamment en ce qui concerne le surpeuplement,
la limitation des espaces dédiés aux mesures d'assistance et de soutien (notamment pour
les personnes vulnérables), l'absence de vie sociale et d'assistance juridique, les
mauvaises conditions d'existence dans les centres (équipements insuffisants ou inadéquats,
mauvaises conditions sanitaires, infrastructures délabrées voire insalubres), l'isolement
des centres par rapport à la communauté et les difficultés d'accès aux informations
nécessaires, ou encore la pénurie de personnel et le manque de formation et de préparation
des personnes encadrant les requérants d'asile (voir à ce sujet la compilation des
rapports d'ONGs figurant dans le rapport AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 97 et
99 s. et les réf. cit. ; cf. également borderline-europe, Menschenrechte ohne Grenzen,
op. cit. ; OSAR, Conditions d'accueil en Italie [2016], op. cit., p. 29 ss ; Danish Refugee
Council et OSAR, Mutual Trust is still not enough, décembre 2018, disponible sur <https://www.osar.ch/assets/herkunftslaender/dublin/italien/
monitoreringsrapport-2018.pdf>).
6.2.7 Accès
aux soins
Le décret « Salvini » a aboli l'inscription à l'Etat civil (inscription
sur les registres communaux de la population résidente ; inscrizione
anagrafica) des personnes ayant demandé la protection internationale ; ces dernières
ne peuvent dès lors plus se faire établir une carte de résident ni une carte d'identité
italienne pour étranger, qui étaient pourtant nécessaires pour pouvoir accéder à
certains services publics, tels que les services sociaux (cf. art. 13 du décret « Salvini »
et de la Loi n° 132/2018). Plusieurs observateurs de terrain, dont l'OSAR, ont dès lors
initialement craint que les requérants d'asile n'auraient en conséquence plus accès
au Système national de santé (Sistema Sanitario Nazionale ;
SSN) et ne pourraient bénéficier que de soins d'urgence. Tel n'est cependant pas
le cas. Interrogé sur ce point, le Ministère de l'intérieur italien a précisé
que les nouvelles dispositions autorisaient, comme par le passé, l'accès aux prestations
de services qui sont déjà fournies sur le territoire - y compris au Système national
de santé - au lieu de domicile du requérant d'asile, autrement dit au lieu
où se situe la structure de premier accueil ou le CAS dans lequel loge la personne concernée.
Le décret « Salvini » mentionne en outre explicitement que l'accès aux services
prévus par le décret ainsi qu'aux services existant déjà sur le territoire
selon les normes en vigueur est assuré dans le lieu de domicile (selon la loi, l'adresse d'un
centre d'accueil peut être considérée comme le lieu de résidence valable d'un
requérant d'asile qui vit effectivement dans l'un de ces centres). Il en résulte
que les requérants d'asile ont en principe accès à tous les services prévus
et offerts sur le territoire italien, y compris lorsqu'ils sont hébergés dans un CAS
ou un centre de premier accueil. Malgré les changements introduits par le décret « Salvini
», les requérants d'asile conservent donc le droit d'accès au Système
national de santé, et non pas uniquement aux soins d'urgence, et ce au même titre que
des personnes résidentes en Italie (cf. Ministère italien de l'intérieur, Le risposte
per conoscere il nuovo decreto, disponible sur <www.interno.gov.it/sites/default/files/allegati/decreto_immigrazione_e_sicurezza_definitivo.pdf>,
p. 30 ; AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 104 s.).
Les requérants d'asile et les bénéficiaires de la protection internationale
ont l'obligation de s'inscrire auprès du Système national de santé, dans les
bureaux du Conseil de santé local (Azienda sanitaria locale)
compétent, à leur lieu de domicile déclaré. Une fois enregistrés, ils se voient
remettre une carte européenne d'assurance maladie (Tessera
europea di assicurazione malattia) et bénéficient alors d'une égalité
de traitement et d'une pleine égalité de droits et d'obligations par rapport aux
citoyens italiens, s'agissant de la couverture obligatoire en matière de santé fournie
par le Service national de santé (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 104 s.).
Selon les observateurs de terrain, le droit à une assistance médicale (allant au-delà
des soins d'urgence ou essentiels) pour les requérants d'asile est parfois entravé
ou retardé en pratique, car il dépend de l'attribution d'un code fiscal par la
Questura à la personne concernée. Or, celle-ci n'intervient
qu'au moment de l'enregistrement formel de la demande d'asile (verbalizzazione) ;
le retard dans l'accès aux soins médicaux reflète donc le retard dans l'enregistrement
formel de la demande d'asile, qui peut être de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans
certaines régions. En outre, même si le décret « Salvini » précise que
tous les services doivent être garantis aux requérants d'asile sur la base de leur domicile
uniquement, il arrive, en l'absence de circulaires internes, que les services de santé refusent
ce droit dans la pratique. Enfin, AIDA relève dans son rapport que les personnes dont le permis
de séjour en Italie a expiré n'ont aucune garantie de pouvoir accéder à une
prise en charge médicale allant au-delà des seuls soins urgents, et ce pour une période
significative, notamment en raison de retards et de délais importants dans la procédure de
renouvellement du permis de séjour. En outre, lorsque les requérants d'asile ne bénéficient
plus d'un lieu de domicile où ils peuvent renouveler leur permis de séjour - comme
c'est le cas notamment pour les personnes dont le droit d'hébergement a été
révoqué - ils ne peuvent pas non plus renouveler leur carte européenne d'assurance-maladie
et perdent de facto l'accès aux prestations du Système
national de santé (cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 84 et 104 à 106 ;
OSAR, Situation actuelle pour les personnes requérantes d'asile en Italie [2019], op. cit.,
p. 15).
6.2.8 Accès
au système d'accueil pour les personnes transférées en vertu du règlement Dublin
Comme les autres requérants d'asile, depuis l'entrée en vigueur du décret
« Salvini », les personnes transférées en Italie n'ont plus accès au système
d'accueil « de seconde ligne ». En conséquence, il n'y a désormais
plus de places réservées pour les familles et les personnes vulnérables dans les centres
SPRAR (désormais SIPROIMI) et les personnes transférées en vertu du règlement Dublin
n'y ont plus accès. Dans une circulaire envoyée aux autres Etats membres Dublin par courriel,
le 8 janvier 2019, l'Unité Dublin Italie a confirmé que toutes les personnes requérantes
d'asile soumises à la procédure de Dublin seront placées dans « les autres
centres » mentionnés dans le décret législatif n° 142/2015 (ci-après :
décret Accueil), à savoir les centres de premier accueil et les CAS. Les personnes transférées
en vertu du règlement Dublin sont confrontées aux mêmes obstacles que les autres requérants
d'asile ; elles doivent aussi fréquemment attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines,
avant de pouvoir faire enregistrer formellement leur demande d'asile et accéder au système
d'accueil et à ses composantes, notamment l'accès au Système national de santé
(cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 56 ; OSAR, Situation actuelle pour les
personnes requérantes d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 12 ; Danish Refugee
Council et OSAR, Mutual Trust is still not enough, op. cit. ; MSF, Fuori campo, op. cit., p. 25).
Enfin, une personne qui a déjà déposé une demande d'asile en Italie et
y a été hébergée dans un centre d'accueil, puis l'a quitté sans
permission pour poursuivre son voyage, n'aura en principe plus de droit à un hébergement
dans le système d'accueil italien : la loi italienne prévoit en effet la révocation
des conditions matérielles d'accueil dans les cas où une personne ne s'est pas
présentée au centre auquel elle était assignée, ou a quitté le centre d'accueil
où elle était hébergée sans en informer la Préfecture compétente. Cette
révocation du droit à l'hébergement ne peut être levée qu'avec une
très bonne motivation. Lorsqu'une personne perd l'hébergement, elle perd aussi
les autres composantes de la prise en charge. Selon AIDA, certaines Questure
interprètent ce motif de retrait des conditions d'accueil de manière très stricte
(cf. art. 13 et art. 23 al. 3 du décret Accueil ; AIDA, Country Report : Italy, op. cit.,
p. 57 et 87 s. et réf. citées ; OSAR, Situation actuelle pour les personnes requérantes
d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 13 et réf. cit.).
6.2.9 Garanties
spécifiques en matière d'accueil pour les personnes vulnérables
La législation italienne dispose que les requérants d'asile doivent être soumis
à un contrôle de santé lors de leur première arrivée dans un centre d'accueil
ou un CAS, afin de pouvoir évaluer leur état de santé général ainsi que d'éventuels
besoins spécifiques en termes d'accueil (cf. art. 9 al. 4 et 11 al. 1 du décret
Accueil). Elle prévoit en outre que les prestations de services spécifiques destinées
aux personnes avec des besoins particuliers doivent être garanties dans les centres de premier accueil
et précise la nécessité de ménager des espaces dédiés, dans les centres
de premier accueil, afin de garantir les prestations de services liées à l'information,
à l'assistance juridique, au soutien psychologique et à l'accueil de visiteurs.
La loi italienne dispose par ailleurs que les personnes vulnérables adultes devraient être
placées, lorsque cela est possible, avec leurs autres membres de la famille adultes qui se trouvent
déjà dans le centre. Le gestionnaire du centre devrait en outre informer la Préfecture
de la présence de requérants d'asile vulnérables, notamment afin de mettre en place
les garanties procédures spécifiques, permettant par exemple la présence de personnel
de soutien durant l'audition personnelle (cf. art. 9 al. 4, 11 al. 1 et 17 al. 3, 5 et 7 du
décret Accueil).
Les ONGs et observateurs de terrain relèvent cependant que, malgré la teneur de la loi,
la réduction du financement et des services fournis dans les centres de premier accueil, telle que
prévue dans les nouvelles conditions d'adjudication pour la gestion de ces centres (cf. consid.
6.2.5 supra), et en particulier l'exclusion de l'encadrement
psychologique des prestations subventionnées par l'Etat, rendent de
facto plus précaires l'identification et la protection effective des personnes vulnérables
(cf. AIDA, Country Report : Italy, op. cit., p. 107 ; OSAR, Situation actuelle pour
les personnes requérantes d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 14 ss et réf. cit. ;
In Migrazione, La nuova (mala) accoglienza, disponible sur <https://www.inmigrazione.it/UserFiles/File/Documents/273_Dossier%20appalti%20accoglienza.pdf>).
6.3 Il
ressort de l'analyse qui précède - fondée sur une pluralité de sources
actuelles, fiables et pertinentes - que le système d'asile italien présente un
certain nombre d'obstacles susceptibles d'entraver l'accès immédiat des requérants
d'asile à la procédure d'asile et aux prestations d'accueil. En outre, même
si la législation italienne prévoit des standards minimaux communs pour tout le territoire
italien, tant en matière d'accès à la procédure d'asile que de conditions
d'accueil, force est de constater qu'en pratique, ceux-ci peuvent varier considérablement
selon les régions. Suite à l'entérinement du décret « Salvini »,
l'on relève également une détérioration des conditions d'accueil dans
les centres d'hébergement, en particulier pour les personnes vulnérables ou nécessitant
un encadrement psychologique spécifique. Celle-ci est due principalement à la diminution
-
voire dans certains cas la suppression - des prestations de services individuelles et des mesures
de protection, d'encadrement et de soutien fournies dans les centres d'accueil, découlant
des coupes budgétaires prévues par les nouvelles conditions d'adjudication pour la gestion
de ces centres (« capitolato »).
Cependant, même si la procédure d'asile ainsi que le dispositif d'accueil et
d'assistance sociale souffrent de certaines carences, lesquelles varient selon les régions
et se sont encore accentuées avec l'entrée en vigueur du décret « Salvini »,
l'on ne saurait considérer qu'il existe en Italie des carences structurelles d'une
ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances
du cas d'espèce, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets,
pour les requérants, d'être systématiquement exposés à une situation de
précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que leur transfert
dans ce pays constituerait, en règle générale, un traitement prohibé par l'art. 3
CEDH
(cf. consid. 2.4.1 à 2.4.6 supra). Il ressort en effet des
considérants qui précèdent que l'accès à une procédure d'asile
conforme aux exigences du système Dublin et permettant un examen correct de la demande d'asile
est en principe garanti en Italie, même s'il est fréquemment retardé en pratique.
Il en va de même de l'accès général à des conditions de vie minimales
pendant ladite procédure, et ce même si les conditions d'accueil dans les centres présentent
de grandes disparités.
Il ne peut dès lors être conclu à l'existence de défaillances systémiques
dans la procédure d'asile et le système d'accueil en Italie, même suite aux
modifications importantes introduites dans le système d'asile italien par le décret « Salvini ».
6.4 En
conséquence, en l'absence d'une pratique avérée de violation systématique
des normes communautaires minimales en la matière, le respect par l'Italie de ses obligations
concernant les droits des requérants d'asile sur son territoire demeure présumé
(cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 8.4 ; ATAF 2010/45 consid. 7.4 et 7.5 ; voir aussi
décision de la CourEDH Samsam Mohammed Hussein et autres c. les
Pays-Bas et l'Italie du 2 avril 2013, n° 27725/10, par. 78).
6.5 Dans
ces conditions, l'application de l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin III
ne se justifie pas en l'espèce.
7.
7.1 La
présomption de sécurité attachée au respect par l'Italie de ses obligations
tirées du droit international public et du droit européen peut cependant être renversée
en présence d'indices sérieux et suffisants que, dans le cas concret, les autorités
de cet Etat ne respecteraient pas le droit international (cf. ATAF 2011/9 consid. 6 ; 2010/45 consid.
7.5 et réf. cit.).
7.2 A
teneur de l'art. 17 par. 1 du règlement Dublin III (clause de souveraineté), par dérogation
à l'art. 3 par. 1 du règlement, chaque Etat membre peut décider d'examiner
une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un
pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés
dans le règlement.
Comme la jurisprudence l'a retenu (cf. ATAF 2017 VI/5 consid. 8.5.2 et jurisp.
cit.), le SEM doit admettre la responsabilité de la Suisse
pour examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée même si cet
examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III lorsque
le transfert envisagé vers l'Etat membre désigné responsable par lesdits critères
viole des obligations de la Suisse relevant du droit international public. La licéité du transfert
est, en ce sens, une condition du prononcé d'une non-entrée en matière en application
de l'art. 31a al. 1
let. b LAsi. Le SEM peut
également admettre cette responsabilité pour des raisons humanitaires au sens de l'art.
29a al. 3
OA 1.
7.3 Dans
son arrêt Tarakhel précité, la Grande Chambre de
la CourEDH a notamment retenu, en se référant à son arrêt M.S.S., qu'en tant
que catégorie de la population « particulièrement défavorisée et vulnérable »,
les demandeurs d'asile ont besoin d'une « protection spéciale ». Cette
exigence de « protection spéciale » est d'autant plus importante lorsque les personnes
concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême
vulnérabilité. La Cour a précisé à ce titre que les conditions d'accueil
des enfants demandeurs d'asile doivent par conséquent être adaptées à leur
âge, de sorte qu'elles ne puissent « engendrer pour eux une situation de stress
et d'angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme
», faute de quoi elles atteindraient le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de
l'interdiction prévue à l'article 3
CEDH (cf. par. 118 et 119, en relation avec
les par. 94 à 97).
La CourEDH a ensuite reconnu que, si l'Italie n'avait pas atteint le niveau de défaillance
de la Grèce et que tout transfert Dublin n'équivalait dès lors pas à une violation
de la Convention, il y avait de « sérieux doutes quant aux capacités [...] du système »
italien. Dans ce contexte, elle en a déduit que la Suisse ne disposait pas de garanties suffisantes
quant aux conditions d'accueil de la famille concernée en cas de transfert. Après avoir
noté que les familles avec enfants étaient considérées comme une catégorie particulièrement
vulnérable par les autorités italiennes et étaient normalement prises en charge au sein
du réseau SPRAR, la Cour a cependant relevé que, dans ses observations écrites et orales,
le gouvernement italien n'avait « pas fourni plus de précisions sur les conditions
spécifiques de prise en charge des requérants ». En l'absence « d'informations
détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, aux conditions
matérielles d'hébergement et à la préservation de l'unité familiale »,
la Cour a considéré que les autorités suisses ne disposaient pas d'éléments
suffisants pour être assurées qu'en cas de renvoi vers l'Italie, les requérants
seraient pris en charge d'une manière adaptée à l'âge des enfants. Elle
a dès lors conclu qu'en l'absence de garanties individuelles d'une prise en charge
adaptée à l'âge des enfants et à la préservation de l'unité
familiale obtenues au préalable, la Suisse ne pouvait exécuter le transfert sous peine de violer
l'article 3
CEDH (cf. par. 120-122).
7.4
7.4.1 Il
peut donc être déduit de la jurisprudence Tarakhel qu'il
existe une alternative au renoncement pur et simple des transferts vers un Etat membre, lorsque le seuil
critique des défaillances systémiques n'est pas atteint s'agissant de la procédure
d'asile et des conditions d'accueil dans cet Etat, mais que de sérieux doutes subsistent
quant aux conditions auxquelles les demandeurs d'asile seront confrontés à leur retour.
Dans un tel cas, l'Etat responsable du transfert doit obtenir
des garanties afin de prévenir tout risque d'un traitement inhumain et dégradant des
demandeurs d'asile concernés, en particulier - mais non uniquement - s'ils
font partie de la catégorie des personnes particulièrement vulnérables, comme les enfants.
7.4.2 S'agissant
des transferts Dublin vers l'Italie, et suite à l'arrêt Tarakhel,
de telles garanties sont déjà demandées par les autorités suisses à leurs homologues
italiennes dans les affaires concernant spécifiquement les familles.
Compte tenu de la situation actuelle du système d'accueil en Italie et des changements
intervenus suite à l'entrée en vigueur du décret « Salvini »,
le Tribunal est d'avis que la jurisprudence Tarakhel doit
être étendue également aux personnes souffrant de maladies (somatiques ou psychiques)
graves ou chroniques, nécessitant une prise en charge immédiate
à leur arrivée en Italie.
En effet, il ressort de l'analyse qui précède (cf. en particulier consid. 6.2.7 s.
supra) que, si l'accès à des soins d'urgence
est en principe garanti immédiatement à toutes les personnes qui sont transférées
en Italie, il en va différemment de l'accès aux soins spécialisés ou à
l'hébergement, les requérants d'asile transférés en Italie en vertu du
règlement Dublin se heurtant fréquemment, en pratique, à de sérieux obstacles administratifs
qui retardent leur accès tant à la procédure d'asile qu'au système d'accueil.
Il ne peut ainsi être exclu que, malgré la transmission par le SEM aux autorités italiennes
des informations concernant l'état de santé des personnes transférées (art. 31
et 32 du règlement Dublin III), les personnes concernées doivent attendre plusieurs jours,
voire plusieurs semaines, avant de pouvoir effectivement accéder au système d'accueil,
respectivement au Système national de santé (et donc à des soins spécialisés).
En outre, pour les personnes transférées en Italie qui ont, lors de leur premier séjour
dans ce pays, quitté volontairement un centre d'hébergement avant la fin de leur procédure
d'asile, l'accès au système d'accueil (et donc à une assistance médicale
allant au-delà des seuls soins d'urgence) n'est pas garanti, ces personnes pouvant étant
exclues du système d'accueil.
Il faut en outre rappeler que, même dans les centres d'accueil, le cahier des charges
du nouveau « capitolato » garantit uniquement
les besoins fondamentaux, qu'il omet le soutien psychologique aux requérants d'asile
et qu'il ne prévoit par ailleurs aucune prestation de service spécifique destinée
aux personnes vulnérables, la protection de ces personnes étant ainsi laissée à des
contributions purement volontaires de la part des gestionnaires des centres d'accueil. A cela s'ajoute
que les coupes budgétaires découlant du nouveau « capitolato »,
combinées avec le manque de personnel (spécialisé) dans le domaine médical et psychologique
dans les centres de premier accueil et les CAS, empêchent aussi bien l'identification systématique
des personnes vulnérables qu'un encadrement et un traitement appropriés à leur égard
(cf. consid. 6.2.5 ; cf. également OSAR, Situation actuelle pour les personnes requérantes
d'asile en Italie [2019], op. cit., p. 8-9 et 14-16 et réf. cit.).
7.4.3 Au
vu de ce qui précède, les autorités suisses doivent, avant de procéder au transfert
de requérants d'asile souffrant de problèmes médicaux graves (somatiques ou psychiques)
- à savoir les personnes dont l'état de santé se péjorerait sérieusement
en cas d'interruption, même brève, de leur traitement -, requérir des garanties
écrites individuelles et préalables
des autorités italiennes, en particulier en ce qui concerne l'accès immédiat
(dès l'arrivée des personnes concernées en Italie) à une prise en charge médicale
et à un hébergement adaptés. En l'absence de telles garanties, le transfert des
personnes susmentionnées devra être considéré comme illicite.
8.
8.1 En
l'espèce, si A._______ a certes fait valoir, au stade de la procédure de recours, souffrir
de problèmes de santé, il n'apparait pas, en l'état actuel du dossier, que
ses affections médicales soient d'une gravité telle qu'elles nécessiteraient
une prise en charge immédiate à son arrivée en Italie, au sens des considérants qui
précèdent (cf. consid. 7.4.2. s. supra). Il ressort
en effet de l'attestation médicale du (...), jointe à la réplique du 9 mai
suivant, que l'intéressée souffre principalement d'une hypertension artérielle
et d'un épisode anxieux-dépressif avec réactions mixtes.
8.2 Cela
dit, il n'en demeure pas moins que les recourantes - une femme seule avec deux enfants en
bas âge - forment un groupe de personnes particulièrement vulnérables, au sens de
l'arrêt de la CourEDH Tarakhel précité.
Dans la décision attaquée ainsi que dans sa détermination du 18 avril 2019,
le SEM a considéré qu'il disposait en l'espèce de garanties suffisantes, de
la part des autorités italiennes, que la recourante et ses deux enfants seraient hébergées
dans une structure adéquate à l'âge des enfants et préservant l'unité
familiale. Il en a dès lors conclu que le transfert vers l'Italie des recourantes était
licite, au sens de la jurisprudence de la CourEDH et du Tribunal.
Dans son recours du 25 février 2019, l'intéressée conteste cette appréciation,
faisant valoir en substance que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure de fournir aux
familles les conditions adéquates telles que définies dans l'arrêt de la CourEDH
Tarakhel précité, et qu'en l'absence de
garanties individuelles et suffisamment concrètes portant sur leur situation spécifique, un
retour en Italie les placerait dans des conditions inhumaines et dégradantes.
8.3 L'arrêt
Tarakhel précité a été concrétisé
par le Tribunal dans son ATAF 2015/4. Dans cet arrêt daté du 12 mars 2015, le Tribunal
a précisé que l'existence de garanties de la part de l'Italie d'un hébergement
conforme aux besoins particuliers des enfants et au respect de l'unité familiale n'était
pas une simple modalité de mise en oeuvre du transfert, mais une condition matérielle de
la conformité de celui-ci aux engagements de la Suisse relevant du droit international, soumise
à un contrôle juridictionnel. Ce contrôle ne saurait être considéré comme
valablement exercé s'il doit se limiter à reconnaître de manière toute générale
la licéité d'un futur transfert sous réserve du respect des conditions qu'il
doit remplir pour être conforme au droit international. Ainsi, des déclarations générales
d'intention de la part des autorités italiennes ou du SEM ne suffisent pas. Ce dernier doit
disposer, au moment du prononcé de sa décision, d'une garantie concrète
et individuelle de possibilité d'hébergement dans
une structure adéquate, dès l'arrivée en
Italie des personnes concernées (cf. ATAF 2015/4 précité, consid. 4.3).
Suite à cet arrêt du Tribunal, le SEM a considéré, dans une affaire concernant
le transfert Dublin en Italie d'une femme érythréenne et de son fils mineur, que les
exigences résultant de la jurisprudence précitée étaient remplies dans le cas d'espèce.
Le SEM s'était alors basé sur deux circulaires et sur une communication personnalisée
des autorités italiennes, à savoir :
- une circulaire
du 2 février 2015, par laquelle il était assuré de manière générale que
les familles qui revenaient en Italie dans le cadre d'une procédure Dublin seraient hébergées
dans des conditions respectant les droits de l'enfant et l'unité de la famille ;
- une circulaire
du 8 juin 2015, qui comprenait une liste des projets d'accueil destinés spécifiquement
aux familles (SPRAR) et mentionnait le nombre de places disponibles ;
- un courrier
du 14 octobre 2015, par lequel les autorités italiennes avaient accepté explicitement la reprise
en charge de la recourante et de son enfant, et qui mentionnait les intéressés avec noms et
dates de naissance, retenant au surplus qu'il s'agissait d'une communauté familiale
(« nucleo familiare »).
Dans un arrêt publié aux ATAF (cf. ATAF 2016/2, consid.
5), le Tribunal a confirmé l'appréciation du SEM, considérant que les garanties
fournies par les autorités italiennes étaient en l'occurrence suffisamment concrètes
et individualisées. Il a relevé que, d'une part, les personnes concernées étaient
mentionnées par leurs noms et reconnues comme constituant une famille et que, d'autre part,
il ressortait des circulaires des autorités italiennes qu'un hébergement conforme aux
droits de l'enfant était assuré en tout temps. Il a en outre considéré qu'il
n'existait alors aucun indice qui laisserait penser que l'hébergement des familles en
Italie posait de graves problèmes.
8.3.1 En
l'occurrence, dans leur communication du 28 janvier 2019 (cf. let. F supra),
les autorités italiennes ont garanti au SEM que A._______ et ses deux enfants seraient hébergées
« conformément à la circulaire du 8 janvier 2019 » (« This family
will be accommodated in accordance to the circular letter of the 8th
of January 2019 »), sans toutefois donner d'autres précisions. Dans ce cadre, elles
ont mentionné les noms ainsi que les dates de naissance des intéressées. Elles ont par
ailleurs mis en évidence le fait qu'il s'agissait d'une famille (« nucleo
familiare » ; « This family ») et ont précisé que l'intéressée
et ses enfants devaient être transférées à l'aéroport de F._______.
8.3.2 Comme
déjà précisé (cf. consid. 6.2.4 supra), depuis
l'entrée en vigueur du décret « Salvini », les familles transférées
en vertu du règlement Dublin n'ont en principe plus accès aux centres SPRAR, qui hébergeaient
auparavant des familles selon les assurances formulées par l'Italie en vertu de l'arrêt
Tarakhel et qui offraient de bonnes conditions d'hébergement
au sein du système d'accueil italien.
Selon la circulaire envoyée le 8 janvier 2019, via courriel, par l'Unité Dublin Italie
à toutes les autres unités Dublin européennes, et à laquelle se réfèrent
les autorités italiennes dans le cas d'espèce, toutes
les personnes requérantes d'asile soumises à la procédure Dublin sont désormais
placées dans des centres de premier accueil ou des CAS. Dans cette circulaire, les autorités
italiennes précisent en outre que les centres où seront dorénavant hébergés
les requérants d'asile transférés en vertu du règlement Dublin sont adéquats
pour accueillir « tous les bénéficiaires possibles » - et donc aussi
les familles - et assurent que lesdits centres « garantissent la protection des droits
fondamentaux, en particulier l'unité familiale et la protection des mineurs ».
8.3.3 De
l'avis du Tribunal, le seul renvoi par les autorités italiennes à ladite circulaire du
8 janvier 2019 ne peut pas être considéré
comme une garantie suffisamment concrète au sens de la jurisprudence de la CourEDH et du Tribunal
précitée (cf. consid. 8.3 supra).
8.3.3.1 En
premier lieu, contrairement aux anciennes circulaires qui listaient le nombre de places réservées
spécifiquement pour les familles dans les centres SPRAR, la nouvelle circulaire du 8 janvier 2019
ne précise aucunement le nombre de places réservées dans les centres de premier accueil
pour les familles. Or, il ressort de l'analyse qui précède (cf. consid. 6.2.6 supra)
que certains centres de premier accueil et CAS demeurent surpeuplés, et ce malgré la baisse
du nombre d'arrivées de nouveaux requérants d'asile ces dernières années.
Il est rappelé que, sous l'empire de l'ancienne législation (avant l'entrée
en vigueur du décret « Salvini »), les autorités italiennes mettaient régulièrement
à jour la liste des places disponibles pour les familles, ce qui permettait aux autorités suisses
de vérifier si l'hébergement des familles était garanti « en tout temps »,
comme l'exige la jurisprudence Tarakhel précitée.
Les autorités suisses et le Tribunal devaient en l'occurrence se fonder sur des informations
récentes (mises à jour régulièrement) et concrètes quant aux places réservées
dans le système d'hébergement pour les familles. Or, cela n'est plus possible si
l'on se fonde sur la circulaire du 8 janvier 2019. A cela s'ajoute que ladite circulaire
se contente d'un simple renvoi aux différentes structures d'hébergement listées
dans le décret Accueil (à savoir principalement les centres de premier accueil ainsi que les
CAS), sans toutefois préciser dans quelles structures et à quelles conditions seront logées
les familles. En l'état, l'on ne peut donc considérer que les autorités suisses
disposent de garanties suffisamment concrètes
quant à l'hébergement des familles en Italie.
8.3.3.2 A
cela s'ajoute que les garanties générales fournies dans la circulaire du 8 janvier 2019
ne donnent aucun détail sur la manière dont les familles seront effectivement et concrètement
prises en charge dans les centres de premier accueil et dans les CAS. Ladite circulaire ne précise
en particulier pas les mesures prises dans les différents centres pour préserver l'unité
familiale et garantir, en tout temps, un hébergement conforme aux droits de l'enfant. Certes,
le décret Accueil prévoit, de manière générale, que les requérants d'asile
doivent être hébergés dans des structures qui garantissent la protection de l'unité
de la famille. L'organe de gestion du centre en question doit par ailleurs également respecter
ce principe de l'unité de la famille. Selon le rapport AIDA, il arrive cependant régulièrement
que les familles soient séparées dans les structures de premier accueil (cf. AIDA, Country
Report : Italy, op. cit., p. 107 et réf. cit.).
8.3.3.3 Enfin,
le Tribunal constate que les conditions matérielles d'accueil, de même que la qualité
des prestations de services fournies dans les centres de premier accueil et les CAS, ne correspondent
pas à celles qui étaient proposées dans les centres SPRAR. Les centres SPRAR offraient
en effet un niveau d'accueil et d'intégration supérieur aux centres de premier
accueil, y compris en termes d'encadrement psychologique et de soutien aux personnes vulnérables.
La qualité du niveau d'accueil y était en outre garantie pour les familles, quel que
soit le centre SPRAR dans lequel elles étaient hébergées. Tel n'est pas le cas pour
les centres de premier accueil et les CAS, qui présentent une disparité importante dans la
qualité des conditions d'accueil qu'ils offrent, notamment en raison des différences
structurelles dans les différents centres et dans leur gestion.
Nonobstant l'évolution favorable de la capacité du système d'accueil italien,
force et de constater que, pour le reste, la situation des familles dans les centres de premier accueil
et les CAS ne diffère en rien de celle décrite par la CourEDH dans son arrêt Tarakhel (cf.
par. 106 à 115, et en particulier par. 111-112) : la forte disparité des normes d'accueil
dans les centres d'hébergement existe toujours en pratique et se manifeste notamment dans
le manque d'effectifs et de formation adéquate du personnel, la surpopulation de certains
centres, le caractère limité de l'espace disponible pour les prestations d'assistance,
ou encore les conditions sanitaires. A cela s'ajoutent le démantèlement des prestations
de service par le nouveau « capitolato »
et la réduction drastique des subventions étatiques dans les centres. L'argument
du SEM, selon lequel la situation en Italie aurait « évolué favorablement depuis
la période (2011-2013) prise en compte par le CourEDH dans son arrêt [Tarakhel] »
(cf. décision attaquée, p. 5), ne saurait dès lors être suivi.
8.3.4 Comme
la CourEDH l'a précisé dans son arrêt Tarakhel,
« en l'absence d'informations détaillées
et fiables quant à la structure précise de destination,
aux conditions matérielles d'hébergement et à la préservation de l'unité
familiale », la Suisse ne peut exécuter le transfert des familles vers l'Italie,
au risque de violer l'art. 3
CEDH.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal retient que les assurances données par les autorités
italiennes s'agissant de la prise en charge des familles lors de transferts selon le règlement
Dublin, et fondées à l'heure actuelle uniquement sur les garanties générales
contenues dans la circulaire du 8 janvier 2019, doivent être considérées comme
insuffisantes, à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH et du TAF.
Les autorités suisses ne peuvent dès lors pas procéder au transfert de familles vers
l'Italie sans obtenir auparavant des garanties supplémentaires, notamment sur les conditions
précises et concrètes de la prise en charge des familles dans les centres de premier accueil
et dans les CAS, l'indication des centres qui seront spécifiquement destinés à accueillir
les familles, les garanties spécifiques prévues dans lesdits centres pour assurer un hébergement
conforme aux droits de la famille, et le nombre de places disponibles ou réservées pour les
familles dans ces différents centres (voir également, à titre de comparaison et dans le
même sens, l'arrêt récent de la Cour constitutionnelle allemande : Deutsches
Bundesverfassungsgericht, arrêt du 10 octobre 2019, 2 BvR 1380/19, disponible sur <https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/
Entscheidungen/DE/2019/10/rk20191010_2bvr138019.html>,
consid. 23 à 25).
9.
9.1 Partant,
le recours doit être admis, dans le sens que la décision du SEM du 14 février 2019 est
annulée pour constatation incomplète et inexacte des faits pertinents (art. 106 al. 1 let.
a
et b LAsi) et la cause renvoyée au SEM pour complément d'instruction et nouvelle décision.
9.2 Le
SEM devra en particulier procéder aux investigations indiquées ci-dessus, puis rendre une nouvelle
décision une fois cette instruction complémentaire accomplie. Dans ce contexte, il devra en
particulier obtenir des informations précises, au sens des considérants qui précèdent,
quant aux conditions effectives et concrètes
de la prise en charge des familles en Italie dans les centres de premier accueil et les CAS (structures
de destination, nombre de places disponibles, conditions matérielles d'hébergement et
garanties prévues pour la préservation de l'unité familiale).
La recourante ayant en outre fait valoir qu'elle souffre de problèmes médicaux et
qu'elle a été victime de violences domestiques et de prostitution forcée par le
passé, il appartiendra également au SEM d'instruire la situation médicale de l'intéressée,
en procédant notamment à une évaluation médicale exhaustive, et de motiver sa nouvelle
décision sur ce point, en tenant compte de l'analyse contenue dans le présent arrêt.
10.
10.1 Les
recourantes obtenant gain de cause, il n'est pas perçu de frais de procédure (cf. art.
63 al. 1
PA).
10.2 Pour
la même raison, elles peuvent prétendre à l'allocation de dépens (cf. art. 64
al. 1
PA et art. 7 al. 1
du règlement du 21 février 2008 concernant les
frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral [FITAF,
RS
173.320.2]). En l'absence d'une note d'honoraires et compte tenu du fait que
la mandataire est intervenue seulement au stade de la réplique (cf. let. L supra),
le Tribunal fixe les dépens à 300 francs, à la charge du SEM (cf. art. 14 al.
2
FITAF).
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