Faits :
A.
Le
22 novembre 2017, A._______ a déposé une demande d'asile auprès du Centre d'enregistrement
et de procédure (CEP) de Vallorbe.
B.
Entendu sommairement audit centre, le 6 décembre 2017, et sur ses motifs d'asile, le 26 janvier
2018, le recourant a déclaré être de nationalité tunisienne et être né
et avoir grandi à Tunis. Après avoir échoué à l'examen du baccalauréat,
il aurait entrepris une formation en (...) qu'il aurait achevée en 20(...) ;
il aurait ensuite travaillé comme (...) dans (...).
(...) 2016, l'intéressé aurait été arrêté par les autorités
dans un appartement avec un groupe d'amis, dont certains auraient consommé de la drogue. Il
aurait été placé en détention durant (...) jours. Suite au résultat négatif
du test de dépistage de drogue, il aurait été libéré, le (...) 2016.
(...) 2016, le recourant aurait été agressé par des salafistes en raison de son
habillement. De peur de rencontrer des problèmes avec les autorités du fait de son homosexualité
et sur conseil de l'association Shams, il aurait renoncé à porter plainte.
Suite à ces évènements, des rumeurs auraient circulé dans son quartier au sujet
de son orientation sexuelle. Questionné par les membres de sa famille, il aurait avoué son
homosexualité. Ceux-ci l'auraient battu, obligé à consulter un psychiatre et auraient
contrôlé ses heures de sortie. Ils l'auraient également menacé de mort pour
le cas où il ne « changerait pas ».
Au mois de (...) ou (...) 2016, grâce à l'aide de l'association Shams,
l'intéressé aurait déménagé à B._______, où il aurait loué
un appartement avec un ami et travaillé comme (...). Trois mois plus tard, ses cousins -
avec ou sans son frère - auraient réussi, via Facebook, à le localiser à Tunis
ou, selon une autre version, à B._______ et l'auraient frappé. Le recourant aurait tenté
de renouer le contact en téléphonant à sa famille. Néanmoins, celle-ci n'aurait
pas changé d'avis et aurait persisté à le menacer de mort. Il aurait cessé
ses appels téléphoniques et fermé son compte Facebook.
(...) 2017, le recourant aurait été attaqué par des inconnus dans la rue à
B._______ après s'être fait un piercing.
Entre (...) 2017, il aurait quitté la Tunisie, depuis B._______, et transité par différentes
villes d'Italie, avant d'arriver en Suisse, le (...) 2017. Il serait ensuite resté
environ deux mois en France avant de déposer sa demande d'asile en Suisse.
A l'appui de sa demande, il a déposé une carte de libération de la prison de
C._______, datée du (...) 2016, un certificat médical, établi le (...) 2016 par
le Dr D._______, médecin généraliste à Tunis, ainsi qu'une attestation de l'association
Shams, datée du (...) 2017.
C.
Par
décision du 31 octobre 2018, notifiée le 6 novembre 2018, le SEM a constaté que le recourant
n'avait pas la qualité de réfugié, a rejeté sa demande d'asile, prononcé son
renvoi de Suisse et ordonné l'exécution de cette mesure.
D.
Le 6 décembre 2018, l'intéressé a formé recours auprès du Tribunal
administratif fédéral (ci-après : Tribunal) contre cette décision. Il a conclu
à son annulation, à la reconnaissance de la qualité de réfugié et à l'octroi
de l'asile, subsidiairement au prononcé d'une admission provisoire. Sur le plan procédural,
il a requis l'octroi de l'assistance judiciaire totale.
E.
Par
décision incidente du 28 décembre 2018, la juge instructrice a requis une procuration
signée par le recourant autorisant sa mandataire à agir en son nom, faute de quoi le recours
serait déclaré irrecevable.
F.
Le
11 janvier 2019, dans le délai imparti, le recourant a fourni dite procuration ainsi qu'une
attestation d'indigence.
G.
Par
décision incidente du 16 janvier 2019, la juge instructrice a admis la demande d'assistance
judiciaire totale et nommé Thao Pham, agissant pour le Centre Social Protestant (CSP), en qualité
de mandataire d'office.
H.
Invité
à se déterminer, le SEM a, dans sa réponse du 28 janvier 2019, conclu au rejet du
recours.
I.
Invité
par ordonnance du 30 janvier 2019 à déposer une réplique, le recourant n'y
a pas donné suite.
J.
Les
autres faits et arguments de la cause seront invoqués, si nécessaire, dans les considérants
en droit qui suivent.
Droit :
1.
1.1 Le
Tribunal, en vertu de l'art. 31 LTAF, connaît des recours contre les décisions au sens
de l'art. 5 PA prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF.
En particulier, les décisions rendues par le SEM concernant l'asile peuvent être contestées,
par renvoi de l'art. 105 LAsi, devant le Tribunal, lequel statue alors définitivement, sauf
demande d'extradition déposée par l'Etat dont le requérant cherche à se protéger
(art. 83 let. d ch. 1 LTF), exception non réalisée en l'espèce.
1.2 La
présente procédure est soumise à l'ancien droit (dispositions transitoires de la
modification du 25 septembre 2015 de la LAsi, al. 1).
1.3 Le
1er janvier 2019, la loi fédérale
sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr, RS 142.20) a été partiellement
révisée et renommée loi fédérale sur les étrangers et l'intégration
(LEI). Les dispositions légales applicables (art. 83 et 84) ont été reprises sans
modification, raison pour laquelle le Tribunal utilise ci-après la nouvelle dénomination.
1.4 Le
recourant a qualité pour recourir. Présenté dans la forme et le délai prescrits par
la loi, le recours est recevable (art. 48 al. 1 et 52 al. 1 PA et anc. art. 108 al. 1
LAsi).
2.
2.1 En
matière d'asile, le Tribunal examine, en vertu de l'art. 106 al. 1 LAsi, les
motifs de recours tirés d'une violation du droit fédéral, notamment pour abus ou
excès dans l'exercice du pouvoir d'appréciation (let. a), et d'un établissement
inexact ou incomplet de l'état de fait pertinent (let. b). En matière d'exécution
du renvoi, le Tribunal examine en sus le grief d'inopportunité (art. 112 al. 1 LEI,
en relation avec l'art. 49 PA ; ATAF 2014/26 consid. 5).
L'établissement des faits est incomplet au sens de l'art. 106 al. 1 let. b
LAsi lorsque toutes les circonstances de fait et les moyens de preuve déterminants pour la décision
n'ont pas été pris en compte par l'autorité inférieure ; il est
inexact lorsque l'autorité a omis d'administrer la preuve d'un fait pertinent,
a apprécié de manière erronée le résultat de l'administration d'un
moyen de preuve ou fondé sa décision sur des faits erronés, en contradiction avec les
pièces (Benoît Bovay, Procédure administrative,
2ème éd., 2015, p. 566 ;
voir aussi ATAF 2014/2 consid. 5.1, 2007/37 consid. 2.3).
2.2 Le
droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst.
et aux art. 29ss PA, comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer
sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation
juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à
ses offres de preuve pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles
ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à
influer sur la décision à rendre (ATF 128 II 497, 504s, consid. 2.2 et réf. citées).
L'art. 26 al. 1 let. b PA dispose en outre que la partie ou son mandataire a le
droit de consulter tous les actes servant de moyens de preuve.
2.3 Le
Tribunal applique le droit d'office, sans être lié par les motifs invoqués (art. 62
al. 4 PA) ni par l'argumentation juridique développée dans la décision entreprise
(Moor/Poltier, Droit administratif, vol. II, 3ème
éd., 2011, p. 78). Il peut ainsi admettre un recours pour un autre motif que ceux invoqués
devant lui ou rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité
intimée. La procédure est régie par la maxime inquisitoire, ce qui signifie que le Tribunal
constate les faits d'office et apprécie librement les preuves (art. 12 PA).
3.
3.1 Sont
des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d'origine ou dans le pays de leur dernière
résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre
de l'être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance
à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment considérées
comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l'intégrité corporelle
ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable
(art. 3 al. 1 et 2 LAsi ; voir également ATAF
2007/31 consid. 5.2 à 5.6).
3.2 La
crainte face à des persécutions à venir, telle que comprise à l'art. 3 LAsi,
contient un élément objectif, au regard d'une situation ancrée dans les faits, et intègre
également dans sa définition un élément subjectif. Ainsi, sera reconnu comme réfugié,
celui qui a de bonnes raisons, c'est-à-dire des raisons objectivement reconnaissables pour un tiers
(élément objectif), de craindre (élément subjectif) d'avoir à subir selon toute
vraisemblance et dans un avenir prochain une persécution. Une simple éventualité d'une
persécution future ne suffit pas, mais des indices concrets et sérieux doivent faire apparaître
le risque d'une persécution comme imminent et réaliste (ATAF
2011/50 consid. 3.1.1 ; 2013/11 consid. 5.1 et réf. cit. ; 2011/50 consid. 3.1.1).
3.3 Quiconque
demande l'asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu'il est un réfugié
(art. 7 LAsi).
4.
4.1 En
l'espèce, le SEM considère que les déclarations du recourant relatives à l'agression
subies par des membres de sa famille sont contradictoires sur des points essentiels et partant, invraisemblables.
Il relève en outre que bien que l'homosexualité soit considérée comme illégale
et pénalisée par le code pénal tunisien, les autorités font preuve d'une certaine
tolérance dans les grandes villes et que les peines ne sont que peu appliquées. Des arrestations
n'auraient lieu que rarement pour ce motif car cela supposerait un flagrant délit. Bien que
les actes de violences contre des personnes homosexuelles restent, dans une grande mesure, impunis et
que la protection contre ces actes soit insuffisante, voire inexistante, le SEM retient que le nombre
d'agressions ne semble actuellement pas assez élevé pour établir l'existence
d'une persécution collective en Tunisie au sens de la jurisprudence.
Quant à la crainte du recourant d'être à nouveau arrêté par les autorités
ou agressé par des tiers en raison de son orientation sexuelle, le SEM constate que, d'une
part, celui-là n'a pas rencontré de problèmes avant (...) 2016 et que, de l'autre,
rien d'indique que l'arrestation ou les deux agressions subies soient en lien avec son homosexualité.
Il aurait été libéré après que les autorités avaient reçu les résultats
des examens sanguins, attestant qu'il n'avait pas consommé de drogue, et lui-même
a reconnu que son habillement « normal, comme tout le monde » posait problème.
En outre, il se serait soustrait aux pressions familiales en s'établissant à B._______
et aurait encore vécu plus d'une année dans son pays sans rencontrer de problèmes
concrets avec les membres de sa famille, à l'exception des menaces proférées à
son encontre sur sa page Facebook. Sans minimiser les difficultés rencontrées en ayant dû
vivre loin de sa famille, le SEM considère que le seul fait que l'intéressé n'ait
pas pu vivre sa sexualité ouvertement, n'est pas suffisant pour lui reconnaître la qualité
de réfugié. Au moment de son départ, il n'avait donc pas de raisons objectivement
reconnaissables de craindre d'avoir à subir, selon toute vraisemblance et à brève
échéance, des persécutions du fait de son orientation sexuelle.
4.2 Dans
son recours, l'intéressé conteste la motivation du SEM concernant l'invraisemblance de
ses propos. Il réitère avoir été confus lors de ses auditions, en raison de sa détresse
et des troubles développés suite aux violences subies. Il reproche au SEM d'avoir écarté
l'attestation de l'association Shams, selon laquelle il avait contacté le service d'écoute
et d'orientation et avait bénéficié d'un suivi depuis (...) 2016. On ne
saurait expliquer pourquoi il aurait eu recours au soutien d'une telle association plus d'une
année avant son départ du pays s'il n'avait pas été victime de discriminations
ou de violences. Il relève aussi qu'il ne s'agit pas d'un certificat de complaisance,
car cette organisation est reconnue par la communauté internationale. Contrairement à ce que
le SEM a retenu, il n'aurait en outre pas quitté son pays pour vivre sa sexualité librement,
mais pour fuir les persécutions et les mauvais traitements subis en raison de son homosexualité.
L'intéressé se réfère encore à l'art. 230 du code pénal
tunisien, punissant la sodomie de trois ans d'emprisonnement et à divers articles de presse
traitant de la situation des personnes homosexuelles en Tunisie. Finalement, le fait que sa famille l'ait
contraint à consulter un psychiatre devrait être assimilé à une violence psychologique.
4.3 Dans
sa réponse du 28 janvier 2019, le SEM ne nie pas que le recourant ait vécu des pressions
ou des violences de la part des membres de sa famille, qui peuvent être assimilées à une
pression psychique insupportable, ni que ces traumatismes, résultant de ces violences, aient pu
induire une certaine confusion dans ses propos. Toutefois, des contradictions essentielles ont été
relevées concernant l'agression dont il aurait été victime de la part des membres
de sa famille. L'intéressé n'aurait pas davantage su expliciter comment ceux-ci
auraient pu le localiser. Mis à part cet événement, jugé invraisemblable, le recourant
n'aurait plus rencontré de problèmes avec sa famille suite à son départ à
B._______, où il aurait vécu encore plus d'une année. Aucun élément n'indiquerait
qu'il existerait un quelconque lien entre la dernière agression, dont il aurait été
victime le (...) 2017, durant laquelle il aurait été dévalisé par des inconnus
en rentrant du travail, et son orientation sexuelle.
5.
5.1 En
l'espèce, le Tribunal, à l'instar du SEM, considère que l'agression
dont le recourant dit avoir été victime de la part des membres de sa famille n'est pas
vraisemblable. En effet, même à admettre qu'il se trouvait dans un état psychologique
difficile, il devait être en mesure de savoir si son propre frère avait participé à
cette agression et si celle-ci avait eu lieu à Tunis ou à B._______ (PV d'audition du
6 décembre 2017 [A7/12, p. 7, R 7.02] ; PV d'audition du 26 janvier 2018 [A20/23,
p. 5 et 18, R 41 et 180 à 185]).
5.2 Pour
le reste, et à l'instar du SEM, le Tribunal considère que le récit du recourant
est vraisemblable. Il en est ainsi notamment de son arrestation en (...) 2016, des problèmes
rencontrés avec les salafistes, de leurs conséquences, soit que sa famille a été
informée de son homosexualité, l'a rejeté et menacé de mort pour le cas où
« il ne changeait pas », de son déménagement à B._______ et des problèmes
qu'il y aurait rencontrés.
5.3 Avec
le SEM toujours, il y a lieu de considérer que les problèmes rencontrés par le recourant,
avant son départ du pays, ne revêtaient pas l'intensité nécessaire pour qu'il
puisse se voir reconnaître la qualité de réfugié, même s'il pouvait ressentir
une pression psychique insupportable à cause de sa famille, à laquelle il a pu se soustraire,
en partie, en s'établissant à B._______.
6.
6.1 En
revanche, la question de savoir si le recourant avait une crainte fondée de persécution en
raison de son homosexualité, au moment de son départ, et à l'heure actuelle, n'a
pas été traitée à satisfaction de droit, notamment car le droit d'être
entendu du recourant a été violé et car les faits essentiels n'ont pas été
correctement établis.
6.2 En
effet, la seule source citée par le SEM dans sa décision est un document interne, non accessible
au public, de sorte que le recourant n'a pas pu en prendre connaissance et se déterminer à
ce sujet. Or le SEM s'est fondé exclusivement sur cette source pour analyser la situation
des personnes homosexuelles en Tunisie. Comme on le verra ci-dessous en outre, le contenu de ce document
ne correspond pas aux sources consultables. Le droit d'être entendu du recourant a donc été
violé.
7.
7.1 Quant
à l'établissement des faits, l'art. 230 du code pénal tunisien, dans
sa version française, dispose que « la sodomie, si elle ne rentre dans aucun des cas prévus
aux articles précédents, est punie de l'emprisonnement pendant trois ans ». Le SEM,
se basant sur le document interne précité, est parti du principe que les autorités faisaient
preuve d'une certaine tolérance dans les grandes villes et que les peines étaient peu
appliquées ; en effet, il était rare que les gens soient arrêtés pour ce motif
car cela supposait un flagrant délit.
Or, selon d'autres sources, accessibles sur internet, la version arabe du code pénal tunisien,
déterminante, dispose que l'homosexualité féminine et masculine est passible d'une
peine de trois ans d'emprisonnement. En outre, et contrairement à l'affirmation du SEM,
l'art. 230 du code pénal tunisien, qui s'applique précisément en l'absence
d'autre disposition topique du code pénal, couvrirait la situation d'acte homosexuel
consenti entre deux adultes en privé, non en public (https://nawaat.org/portail/2018/05/24/jeune-de-ramadan-et-libertes-individuelles-interview-avec-wahid-ferchichi/;
https://inkyfada.com/fr/2015/05/26/article-230-code-penal-criminalisation-anticonstitutionnelle-homosexualite-tunisie/,
consultés le 18 décembre 2019).
En ce qui concerne l'application de cette disposition, diverses sources tendent à montrer
qu'il n'y a pas de statistiques stables sur le nombre de condamnations sur la base de l'art. 230
du code pénal tunisien. L'association Shams, à laquelle le recourant a fait appel, a
dénombré 71 cas pour l'année 2017, 53 en 2018 alors que l'année n'était
pas encore terminée (https://kleineanfragen.de/bundestag/18/8692-menschenrechtliche-lage-in-tunesien,
p. 8, ch. 12 ; https://www.theguardian.com/global-development/2018/nov/1 4/rights-groups-condemn-brutal-and-humiliating-tests-on-gay-men-in-tunisia
; voir également http://kapitalis.com/tunisie/2018/12/03/tunisie-120-personnes-arretees-pour-homosexualite-en-10-mois/,
qui fait état de 120 personnes arrêtées en 2018, consultés le 18 décembre
2019). Le nombre d'arrestations aurait en outre augmenté (127 cas enregistrés en 2018
et 22 cas jusqu'au mois d'avril 2019 [https://www.theguardian.com/global-development/2019/apr/30/tunisia-invokes-sharia-law-in-bid-to-shut-down-lgbt-ri
ghts-group, consulté le 18 décembre
2019]). Selon une autre source, la Tunisie fait partie des pays les plus fermés et conservateurs.
Aux trois ans d'emprisonnement prévus à l'art. 230 du code pénal, s'ajoute
la discrimination à laquelle sont confrontées les personnes LGBT, tant par les autorités
que par la société (https://www.gay.it/attualita/news/tunisia-gay-abusi-test-anali-condanne-sodomia,
consulté le 18 décembre 2019). Le nombre de personnes arrêtées sans être
condamnées sur la base de l'art. 230 du code pénal tunisien serait de surcroît
nettement supérieur (https://landinfo.no/wp-content/uploads/2018/03/Tunisia-Forhold-for-homofile.pdf,
p. 2, consulté le 18 décembre 2019).
En outre, selon certaines sources, les personnes suspectées d'être homosexuelles
sont maltraitées par la police et lors de leur détention ; elles peuvent être forcées
de subir des examens anaux, pour « prouver » leur homosexualité (https://www.hrw.org/news/2018/11/08/tunisia-privacy-threatened-homosexuality-arrests
; https://www.lemonde.fr/series-d-ete-2018-long-format/article/2018/08/14/la-longue-marche-des-homosexuels-tunisi
ens-vers-l-emancipation_5342371_5325928.html, https://www.theguardia n.com/global-development/2019/apr/30/tunisia-invokes-sharia-law-in-bid-to-shut-down-lgbt-rights-group,
consultés le 18 décembre 2019).
En raison de la pénalisation de l'homosexualité en Tunisie, les personnes considérées
comme homosexuelles font l'objet d'attaques, mais ne dénoncent en principe pas ces faits,
de peur d'être elles-mêmes condamnées pourhomosexualité (https://www.amnesty.org/download/Documents/MDE
3028142015FRENCH.PDF, p.39 ,http://kapitalis.com/tunisie/2019/01/30/sf ax-agresse-et-viole-un-homo-se-fait-arreter-pour-homosexualite/,
https://w ww.alaraby.co.uk/english/indepth/2019/3/7/tunisian-victim-jailed-for-sodo my,
consultés le 18 décembre 2019). C'est précisément ce qu'a expliqué
le recourant, à savoir que, suite à son agression par des salafistes, l'association Shams
lui a déconseillé de porter plainte, car il risquait de se faire lui-même arrêter
(PV d'audition du 26 janvier 2018, [A20/23, p. 6, 8 et 9 R 41, 64, 75 à 78]).
Il ressort de ce qui précède que l'état de fait de la décision attaquée,
concernant le contenu de l'art. 230 du code pénal tunisien, son application et les conséquences
pour les personnes homosexuelles n'a pas été correctement établi.
7.2 Le
SEM considère également que les attaques dont le recourant a été victime ne doivent
pas être mises en lien avec son homosexualité mais avec son habillement uniquement. Or, sur
ce sujet, une brève recherche permet de montrer que les forces sécuritaires tunisiennes se
fondent précisément sur l'apparence des personnes, qu'elles pensent être homosexuelles
- en raison de leur habillement notamment - pour les arrêter. De manière générale,
les personnes homosexuelles subissent une discrimination généralisée, vivent dans la crainte
d'être arrêtées et sont particulièrement exposées à la violence en
raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelle ou présumée
(http://kapitalis.com/tunisie/2018/12/03/tunisie-120-personnes-arretees-pour-homosexualite-en-1 0-mois/ ;
https://www.amnesty.org/download/Documents/MDE302814201 5FRENCH.PDF, p. 37ss, 40 notamment, consultés
le 18 décembre 2019).
Dans le cas d'espèce, le recourant a dit avoir rencontré des problèmes en raison
de son habillement. Même si lui-même considère qu'il s'habille « normalement »,
il ressort clairement de ses auditions qu'il a rencontré des problèmes avec les salafistes
précisément car ceux-ci lui demandaient de changer de tenue vestimentaire (PV d'audition
du 6 décembre 2017 [A7/12, p.7, 7.02] ; PV d'audition du 26 janvier 2018 [A20/23, p.
5, 8, 9 et 15 R 41 et 64, 66, 67, 71, 76 et 141 à 144]). Contrairement à l'avis du SEM,
il ressort également de son audition que sa tenue vestimentaire et son piercing lui ont causé
des problèmes à B._______, où il s'est fait agresser verbalement et physiquement
notamment (PV d'audition du 26 janvier 2018 [A20/23, p. 6 et 15, R 41 et 141 à 144]).
7.3 Ainsi,
l'affirmation du SEM, selon laquelle le recourant n'avait pas de raison objectivement reconnaissable
de craindre d'avoir à subir, selon toute vraisemblance et à brève échéance,
des persécutions du fait de son orientation sexuelle, car le seul fait de ne pas avoir pu vivre
sa sexualité ouvertement n'était pas suffisant pour la reconnaissance de la qualité
de réfugié, ne repose pas sur un état de fait correctement établi. Comme l'intéressé
le souligne dans son recours, il ne s'agissait pas pour lui de vouloir vivre sa sexualité
ouvertement, mais de fuir des persécutions et mauvais traitements subis en raison de son homosexualité.
Savoir si ceux-ci sont pertinents en matière d'asile ne peut, en l'état, être
décidé.
L'état de fait n'ayant pas été correctement établi, l'analyse
du SEM sur l'éventuelle crainte fondée du recourant au moment de son départ, voire
en cas de retour dans son pays, est ainsi erronée.
8.
8.1 Les
recours contre les décisions du SEM en matière d'asile et de renvoi sont en principe des recours
en réforme, exceptionnellement des recours en annulation (art. 61 al. 1 PA). Toutefois, la réforme
présuppose un dossier suffisamment mûr pour qu'une décision puisse être prononcée,
étant précisé qu'il n'appartient pas à l'autorité de recours de procéder
à des investigations complémentaires d'ampleur excessive.
8.2 En
l'espèce, la cause n'est pas suffisamment instruite pour que le Tribunal puisse se prononcer.
Par ailleurs, l'étendue des mesures d'instruction à effectuer dépasse celles qu'il incombe
à l'autorité de recours d'entreprendre. Partant, une cassation se justifie (Philippe
Weissenberger/ Astrid Hirzel, commentaire ad art.
61 PA in : Praxiskommentar VwVG, Waldmann/Weissenberger
[éd.], 2016, no 16 p. 1264 ;
Madeleine Camprubi, commentaire ad art. 61 al. 1 PA in :
VwVG - Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, Auer/Müller/Schindler
[éd.], no 11 p. 773 ss ;
voir aussi ATAF 2012/21 consid. 5).
9.
Eu
égard à ce qui précède, il y a lieu d'admettre le présent recours et d'annuler
intégralement la décision du SEM pour violation du droit d'être entendu et établissement
incomplet de l'état de fait pertinent sur la base de l'art. 106 al. 1 let. b LAsi et
de lui renvoyer la cause pour nouvelle décision.
10.
10.1 L'intéressé
ayant eu gain de cause, il n'est pas perçu de frais de procédure (art. 63 al. 2
PA).
10.2 Conformément
à l'art. 64 al. 1 PA et aux art. 5 à 7 du règlement du 21 février
2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral
(FITAF, RS 173.320.2), la partie qui a obtenu gain de cause a droit à des dépens pour les frais
nécessaires qui lui ont été occasionnés par le litige.
10.3 En
l'absence d'un décompte de prestations, il se justifie de fixer l'indemnité
globale, ex aequo (art. 14 al. 2 FITAF), à 600 francs à titre de dépens.
(dispositif : page suivante)