Cour IV

D-2076/2010

 

 

 


Faits :

A.
A._______, accompagné de son fils, B._______ et de sa fille, C._______, a déposé une demande d'asile en Suisse le 9 août 2009, au Centre d'enregistrement et de procédure (le CEP) de (...).

B.
Il ressort du rapport du 10 août 2009 établi sur la base d'une comparaison dactyloscopique avec l'unité centrale du système européen Eurodac que l'intéressé a été dactyloscopié à deux reprises en Grèce, soit à (...) le (...) mai 2008 et à (...) le (...) juillet 2008.

C.
Entendu au CEP précité le 14 août 2009, le requérant a déclaré être originaire de Kaboul, en Afghanistan, d'ethnie hazara, de religion musulmane et cordonnier de profession. Il s'est dit analphabète. Avant d'arriver en Suisse, il aurait vécu en Iran de 1995 à 2007, avec sa femme aujourd'hui décédée et ses enfants, puis se serait rendu en Turquie. En été 2008, il aurait gagné la Grèce avec ses enfants B._______, C._______ et D._______. Trois à quatre jours après leur arrivée à (...), au mois de juillet 2008, chacun aurait reçu des autorités grecques une décision d'expulsion du territoire national. L'intéressé aurait alors vécu avec B._______ et C._______ dans le camp pour réfugiés de Thessalonique, avant de se rendre à Athènes, où il aurait déposé une demande d'asile et obtenu une "pink card" ou carte rose, de même que ses enfants. Il serait demeuré dans celle ville jusqu'à son départ pour l'Italie, puis la Suisse, le 8 août 2009. Il n'aurait subi aucun contrôle d'identité durant son périple jusqu'en Suisse.

Concernant ses motifs d'asile, A._______ a déclaré avoir quitté l'Afghanistan en raison de persécutions infligées par les Talibans. Il aurait quitté l'Iran pour des motifs similaires. Après l'accession au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, les autorités de ce pays n'auraient en particulier plus prolongé son permis de séjour.

Dans le cadre de cette audition, le requérant a également été entendu sur le prononcé éventuel d'une décision de non-entrée en matière, ainsi que sur son éventuel transfert en Grèce, potentiellement responsable pour traiter sa demande d'asile. Il a mentionné qu'il ne voulait en aucun cas retourner dans ce pays, dès lors que les réfugiés n'y bénéficiaient d'aucune protection.

D.
Le 13 novembre 2009, l'ODM a soumis une demande de reprise en charge de l'intéressé aux autorités grecques, conformément à l'art. 16 par. 1 let. c du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (règlement Dublin II ; JO L50 du 25 février 2003 p. 1 ss).

Par courriel daté du 30 novembre 2009, l'office précité a informé son homologue grec que, faute de réponse de sa part et conformément à l'art. 20 par. 1 let. c du règlement Dublin II, la Grèce était considérée comme l'Etat responsable du traitement de la demande d'asile de l'intéressé.

E.
Par lettre du 24 février 2010, la représentante du requérant a signalé à l'ODM que son mandant devait être considéré comme une personne particulièrement vulnérable, vu notamment son âge, et qu'en raison de son analphabétisme, il dépendait totalement de ses enfants, desquels il ne devait pas être séparé.

Retraçant les difficultés que l'intéressé et sa famille avaient rencontrées dans leur pays d'origine, en Iran et en Grèce, ainsi que les irrégularités de la procédure d'asile grecque et les conditions de vie des requérants d'asile dans cet Etat, violant l'art. 3 de la convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101), elle a produit la photocopie d'une décision grecque d'expulsion du territoire national, datée du 28 mai 2008 ("[...]"), adressée à B._______ qui "accompagne sa soeur C._______", ainsi que la photocopie d'un écrit de D._______, dans lequel il explique les conditions de vie difficiles de sa famille en Grèce.

F.
Par décision du 25 mars 2010, notifiée le 30 mars 2010, l'ODM, se fondant sur l'art. 34 al. 2 let. d de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi, RS 142.31), n'est pas entré en matière sur la demande d'asile de l'intéressé, a ordonné son transfert vers la Grèce et a chargé le canton de Neuchâtel de l'exécution de cette mesure. Il a par ailleurs rappelé qu'un éventuel recours contre cette décision ne déployait pas d'effet suspensif.

L'office a considéré que la Grèce était compétente pour mener la procédure d'asile, conformément à l'accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile introduite dans un Etat membre ou en Suisse (AAD, RS 0.142.392.68) et à l'accord du 17 décembre 2004 entre la Confédération suisse, la République d'Islande et le Royaume de Norvège sur la mise en oeuvre, l'application et le développement de l'acquis de Schengen et sur les critères et les mécanismes permettant de déterminer l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile introduite en Suisse, en Islande ou en Norvège (AAS, RS 0.362.32).

Il a retenu que l'intéressé n'était pas parvenu à établir l'absence de sécurité en Grèce et qu'il était transféré vers un Etat respectant le principe de non-refoulement au sens de l'art. 5 LAsi, ainsi que de l'art. 3 CEDH. L'office a souligné que la Grèce était signataire tant de la convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Conv. réfugiés, RS 0.142.30), de la CEDH, que de la convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Conv. torture, RS 0.105). Il a estimé ne disposer d'aucun indice concret permettant d'admettre que cet Etat ne respectait pas ses obligations de droit international. Les difficultés invoquées par le requérant, relatives à ses conditions de logement dans le camp de Thessalonique, ne pouvaient en particulier être assimilées à des traitements inhumains ou dégradants. Finalement, ni la situation politique en Grèce, ni aucun autre motif ne s'opposait à l'exécution du renvoi du requérant qui, au vu des pièces figurant au dossier, ne risquait pas d'être renvoyé en Afghanistan par les autorités grecques.

G.
Par acte du 31 mars 2010, A._______ a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (le TAF), concluant à son annulation, au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision, à la restitution de l'effet suspensif et à l'assistance judiciaire partielle.

L'intéressé a invoqué une violation du droit d'être entendu et de l'obligation de motiver la décision, ainsi qu'une incompatibilité de ladite décision avec les engagements internationaux de la Suisse.

S'agissant de la violation du droit d'être entendu, il a avancé que le simple énoncé de l'art. 34 al. 2 let. d LAsi, de l'AAD et de l'AAS pour désigner la Grèce comme responsable du traitement de sa demande d'asile ne constituait pas une motivation suffisante. Selon lui, il manquait notamment une référence au règlement Dublin II et une motivation adéquate, dès lors qu'il existait différents délais dans le règlement Dublin II et que ceux-ci pouvaient varier d'une situation à l'autre. Il a également fait valoir que la motivation relative aux conditions de séjour des demandeurs d'asile en Grèce était insuffisante et qu'au demeurant aucun examen sérieux et individualisé n'avait été entrepris dans son cas.

Enfin, l'intéressé a relevé que la décision violait la CEDH dès lors que son transfert vers la Grèce le mettait en grand danger, vu les conditions réservées aux requérants d'asile dans cet Etat, lesquelles devaient être assimilées à des traitements inhumains et dégradants au sens de l'art. 3 CEDH. Il a également fait valoir qu'il encourait un réel risque d'être mis en détention, que les conditions de celle-ci étaient contraires aux principes de l'Etat de droit, que l'accès à la procédure d'asile était jonché de nombreux obstacles et que, dans ces conditions, les requérants d'asile en Grèce n'étaient pas protégés contre un risque de refoulement dans le pays d'origine. L'intéressé s'est notamment référé aux sources suivantes :

- Cour européenne des droits de l'homme (la CourEDH), arrêt S.D. c. Grèce du 11 septembre 2009 ;

- U.S. Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, rapport du 25 février 2009 intitulé 2008 Human Rights Report : Greece ;

- Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, rapport CommDH[2009]6 du 4 février 2009, intitulé Human Rights of Asylum seekers et établi à la suite de sa visite en Grèce du 8 au 10 décembre 2008 ;

- Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), rapport du 15 avril 2008 intitulé UNHCR Position on the Return of Asylum Seekers to Greece under the "Dublin Regulations" ;

- Norwegian Helsiki Committee, rapport établi à Athènes le 9 avril 2008 intitulé Report on the violation of asylum seekers' Human Rights by Greece ;

- Pro Asyl, Frankfurt am Main, rapport du mois d'octobre 2007 intitulé The Truth may be bitter but it must be told.

H.
En date du 31 mars 2010, le TAF a, dans le cadre de mesures provisionnelles, suspendu avec effet immédiat l'exécution du renvoi de l'intéressé.

I.
Invité, par ordonnance du 12 avril 2010, à produire l'original ou une copie de la décision d'expulsion de Grèce le concernant et tout moyen de preuve relatif à sa procédure d'asile dans cet Etat, l'intéressé a, par courrier du 15 avril 2010, indiqué qu'il ne possédait plus ladite décision et qu'il ne pouvait fournir aucun document relatif à sa procédure d'asile en Grèce.

J.
Invité à se déterminer sur les motifs du recours par ordonnance du 20 avril 2010, l'ODM a, dans sa réponse du 26 avril 2010, contesté que sa décision était insuffisamment motivée. Relevant que toutes les pièces appuyant celle-ci étaient connues de la partie, l'office a estimé qu'il n'était pas nécessaire de faire expressément référence à l'article déterminant du règlement Dublin II. Il a ajouté que le recourant avait été dactyloscopié à deux reprises en Grèce, soit le 27 mai 2008 lors d'une entrée illégale sur son territoire (cat. 2) et le 7 juillet 2008 lors du dépôt d'une demande d'asile (cat. 1) dont l'issue n'était pas connue. Par ailleurs, bien que le UNHCR et différentes organisations de protection des droits de l'homme critiquaient la situation dans laquelle se trouvaient les requérants d'asile en Grèce, l'ODM a estimé, s'agissant du principe de non-refoulement, qu'aucun indice concret ne permettait de conclure que la Grèce ne respectait pas ses obligations découlant du droit international, notamment de la CEDH. Il a nié que l'intéressé devait être considéré comme une personne vulnérable et a souligné que dans l'éventualité où les institutions étatiques n'étaient pas suffisantes pour assurer son hébergement, il pouvait recourir aux organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur place.

K.
Par réplique du 12 mai 2010, le recourant a rejeté les arguments de l'ODM selon lesquels il n'existait pas d'indices concrets permettant de conclure au non-respect, par la Grèce, de ses obligations internationales en matière d'asile, citant à l'appui de ses propos plusieurs références de décisions rendues tant en Allemagne qu'en France et suspendant ou annulant des transferts de requérants d'asile vers la Grèce. Etant personnellement âgé de (...) ans et présentant une santé fragile, il a ajouté que même au regard des critères de l'office fédéral, il devait être considéré comme une personne vulnérable, concluant que l'ODM devait en l'occurrence faire application de la clause de souveraineté prévue à l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin II.

L.
Par courrier du 13 juillet 2010, le recourant a transmis au TAF un certificat médical du 25 juin 2010 le concernant, dont il ressort l'importance d'un suivi régulier en raison de divers problèmes de santé liés notamment à son âge et à une ancienne (...) latente.

M.
Les autres faits et arguments de la cause seront évoqués, si nécessaire, dans les considérants en droit qui suivent.

Droit :

1.  

1.1. En vertu de l'art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS 173.32) et sous réserve des exceptions prévues à l'art. 32 LTAF, le TAF connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA, RS 172.021) prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF.

Sauf demande d'extradition déposée par l'Etat dont le requérant cherche à se protéger, il statue de manière définitive sur les recours formés contre les décisions rendues par l'ODM en matière d'asile et de renvoi (cf. art. 105 en relation avec art. 6a al. 1 LAsi, art. 33 let. d LTAF et art. 83 let. d ch. 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110] ; Arrêt du Tribunal administratif fédéral suisse [ATAF] 2007/7 consid. 1.1 p. 57).

1.2. Le TAF examine librement l'application du droit public fédéral, la constatation des faits et l'opportunité, sans être lié par les arguments invoqués à l'appui du recours (cf. art. 106 al. 1 LAsi et art. 62 al. 4 PA par renvoi de l'art. 6 LAsi et de l'art. 37 LTAF) ni par la motivation retenue par l'autorité de première instance (cf. dans le même sens ATAF 2010/54 consid. 7.1 p. 796 ; Jurisprudence et informations de la Commission suisse de recours en matière d'asile [JICRA] 2002 n° 1 consid. 1a p. 5). Il peut ainsi admettre un recours pour un autre motif que ceux invoqués devant lui ou rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité intimée.

1.3. L'intéressé a qualité pour recourir dès lors qu'il a pris part à la procédure devant l'autorité inférieure et est spécialement atteint par la décision attaquée (cf. art. 48 al. 1 let. a et b PA, applicable par renvois de l'art. 105 LAsi et de l'art. 37 LTAF). Son recours, présenté dans la forme (cf. art. 52 al. 1 PA) et le délai (cf. art. 108 al. 2 LAsi) prescrits par la loi, est recevable.

2.  

2.1. Aux termes de l'art. 34 al. 2 let. d LAsi, en règle générale, l'office n'entre pas en matière sur une demande d'asile lorsque le requérant peut se rendre dans un Etat tiers compétent, en vertu d'un accord international, pour mener la procédure d'asile et de renvoi.

2.2. Les dispositions légales applicables en lien avec l'article précité sont mentionnées de manière détaillée dans le règlement Dublin II (cf. art. 1 ch. 1 AAD), auquel la Suisse a adhéré avec effet au 12 décembre 2008. En l'espèce, il convient en particulier de mentionner les dispositions dudit règlement qui suivent.

Conformément à l'art. 3 par. 1 du règlement Dublin II, les Etats membres examinent toute demande d'asile présentée par un ressortissant d'un pays tiers à l'un quelconque d'entre eux, que ce soit à la frontière ou sur le territoire de l'Etat membre concerné ; la demande d'asile est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

En vertu de l'art. 3 par. 2 et par dérogation au paragraphe 1, chaque Etat membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ; dans ce cas, cet Etat devient l'Etat membre responsable au sens du présent règlement et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ; le cas échéant, il en informe l'Etat membre antérieurement responsable, celui qui conduit une procédure de détermination de l'Etat membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.

Selon l'art. 16 par. 1 let. c, l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile en vertu du règlement Dublin II est tenu de reprendre en charge, dans les conditions prévues à l'art. 20, le demandeur d'asile dont la demande est en cours d'examen et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre Etat.

Conformément à l'art. 20 par. 1 let. b, l'Etat membre requis pour la reprise en charge est tenu de procéder aux vérifications nécessaires et de répondre à la demande qui lui est faite aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de sa saisine. Lorsque la demande est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines.

Selon la let. c de cette même disposition, si l'Etat membre requis ne fait pas connaître sa décision dans le délai d'un mois ou celui de deux semaines mentionnés à la let. b, il est considéré qu'il accepte la reprise en charge du demandeur d'asile.

En vertu de l'art. 29a de l'ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l'asile relative à la procédure (OA 1, RS 142.311), l'ODM examine la compétence relative au traitement d'une demande d'asile selon les critères fixés dans le règlement Dublin II (al. 1) ; s'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande d'asile, il rend une décision de non-entrée en matière après que l'Etat requis ait accepté la prise ou la reprise en charge du requérant d'asile (al. 2) ; l'ODM peut, pour des raisons humanitaires, également traiter la demande lorsqu'il ressort de l'examen qu'un autre Etat est compétent (al. 3).

2.3. Le système Dublin est notamment fondé sur le principe du "one chance only", ou principe de l'unicité de la procédure d'asile, selon lequel les Etats membres déterminent, sur la base des critères objectifs et hiérarchisés prévus au chapitre III du règlement Dublin II, un unique Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile déposée sur leur territoire. L'Etat désigné devra obligatoirement examiner la demande d'asile s'il ne l'a pas déjà fait par le passé.

Tout Etat participant peut toutefois manifester une prérogative souveraine et examiner une demande d'asile même s'il n'est pas responsable en vertu des critères indiqués dans le règlement (cf. ATAF 2010/27 consid. 6.4.6.2 ; Message du Conseil fédéral du 1er octobre 2004 relatif à l'approbation des accords bilatéraux entre la Suisse et l'Union européenne, y compris les actes législatifs relatifs à la transposition des accords ["accords bilatéraux II"], in : FF 2004 5593 ss, spéc. 5738).

2.4. Le règlement Dublin II part également de l'idée que les niveaux de protection pour les demandeurs d'asile en Europe sont équivalents. En effet, le Conseil de l'Union européenne a considéré, dans sa proposition de règlement (COM [2001] 0447), que "les Etats membres ont tous souscrit aux mêmes obligations en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, la protection contre la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants et la protection contre le refoulement". Dit règlement présume, en particulier, expressément que tous les Etats membres sont des pays sûrs et respectent le principe de non-refoulement, tel que défini par la Convention de Genève, de sorte que l'on peut en principe exclure tout risque de refoulement en cascade (cf. ATAF 2010/45 consid. 7.5 ; consid. 2 du règlement Dublin II ; également protocole [n° 29] sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne [JO C 321 du 29 décembre 2006], annexé au traité instituant la Communauté européenne [JO C 340 du 10 novembre 1997]).

Cela ne dispense pas pour autant l'Etat requérant d'un examen individuel de la licéité du transfert vers l'Etat requis (cf. arrêt de la CourEDH Conka c. Belgique du 5 février 2002, recueil CourEDH 2002-I, § 59 ss). La fiction de l'équivalence des protections n'est en effet pas toujours acceptable puisqu'elle peut, dans certains cas, entraîner une violation du droit international (cf. Ségolène Barbou des Places, Le dispositif Dublin 2 ou les tribulations de la politique communautaire d'asile, mars 2004, p. 8). Autrement dit, la présomption selon laquelle les niveaux de protection sont équivalents n'est pas toujours vérifiée. Dans les cas où le requérant parvient à "rendre vraisemblable" une violation du principe de l'interdiction de refoulement en cas de transfert vers un Etat membre, il doit être fait application de la clause de souveraineté (cf. Francesco Maiani / Constantin Hruschka, Le partage des responsabilités dans l'espace Dublin, entre confiance mutuelle et sécurité des demandeurs d'asile, Revue suisse pour la pratique et le droit d'asile [Asyl], 2/11, p. 12 s. ; Informationsverbund Asyl e. V. [Hrsg.], Das Dublin-Verfahren, Hintergrund und Praxis, Beilage zum Asylmagazin 1-2/2008, p. 13 ; Barbou des Places, op. cit., p. 12).

2.5. Dans ce contexte, le TAF considère que, saisi d'un recours introduit contre une décision fondée sur l'art. 34 al. 2 let. d LAsi, il lui appartient de statuer sur chaque cas individuellement, sans toutefois devoir se prononcer, d'une manière générale, sur la question de savoir si l'Etat membre requis, en l'occurrence la Grèce, constitue ou non un pays sûr. Dans le cadre de l'application du règlement Dublin II, une telle constatation générale et abstraite n'incombe pas à un Etat membre, mais aux organes de l'Union européenne compétents, en l'occurrence le Conseil européen, lorsqu'elle est soulevée par l'un des Etats membres de l'Union européenne, comme l'a, à juste titre, relevé la Cour constitutionnelle autrichienne (cf. notamment dans l'arrêt du 19 mars 2009 de l'"Asylgerichtshof" S8 402782-1/2008, en particulier point II 3.3). La Suisse ne faisant pas partie de l'Union européenne, de telles décisions seraient à soumettre, dans un premier temps, au comité mixte prévu à l'art. 3 AAD (cf. FF 2004 5749 ch. 2.6.7.2 ; voir également Mathias Hermann, Das Dublin System, [...], Zürich/Bâle/Genève 2008, p. 185 ss). Si les parties contractantes à l'AAD jouissent de l'autonomie dans l'interprétation et l'application de l'acquis de Dublin, il est toutefois dans leur intérêt que les règles instaurées par Dublin soient interprétées et appliquées de manière identique de part et d'autre. Ainsi, si le comité mixte constate une différence substantielle dans l'interprétation et l'application de l'acquis de Dublin entre les autorités ou les juridictions suisses, d'une part, et la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) ou les autorités des Etats membres, d'autre part, il dispose de deux mois pour assurer une interprétation et une application uniformes par les deux Parties. S'il n'y parvient pas, la procédure de règlement des différends est engagée (cf. art. 6 al. 2 AAD ; FF 2004 5757 s. ch. 2.6.7.6). En dehors de telles constatations de portée générale, les Etats membres doivent simplement décider, de cas en cas, si le transfert d'un requérant dans l'Etat membre requis est licite. Si cet examen aboutit à la conclusion que les droits fondamentaux de l'intéressé sont menacés (par exemple, dans l'optique d'un refoulement dans son pays d'origine par un renvoi indirect), l'Etat requérant doit faire usage de la clause de souveraineté prévue par l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin II (cf. ATAF 2010/45 consid. 7.2 ; Christian Filzwieser/Andrea Sprung, Dublin II-Verordnung, 3e éd., Vienne/Graz 2010, K 8 ad art. 3).

2.6. Comme l'a rappelé le TAF, selon la jurisprudence de la CourEDH, il appartient en priorité au requérant d'asile de produire des éléments (ou des motifs substantiels) susceptibles de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'art. 3 CEDH. Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe à l'autorité saisie de dissiper les doutes éventuels à ce sujet (cf. ATAF 2010/45 consid. 7.4.1 ; arrêt de la CourEDH F. H. c. Suède du 20 janvier 2009, § 95 ; arrêt de la CourEDH Saadi c. Italie du 28 février 2008, § 128 s. ; cf. également art. 8 CC, applicable également en droit administratif). Enfin, lorsque l'Etat de destination est un Etat partie à la CEDH qui observe d'une manière générale ses obligations conventionnelles, c'est au plaignant d'apporter à la CourEDH, en ce qui le concerne, "la preuve du contraire" (cf. ATAF 2010/45 idem et réf. cit.).

L'examen ne se limitera toutefois pas systématiquement aux seuls arguments allégués à l'appui du recours, en particulier lorsque la partie n'est pas représentée. Il n'est en effet pas concevable d'attendre notamment du recourant non représenté qu'il allègue seul tous les arguments déterminants quant à son recours dans les cinq jours ouvrables que lui offre la loi (cf. art. 108 al. 2 LAsi). En particulier, lorsqu'il ressort du dossier certains éléments faisant penser que le principe de non-refoulement pourrait être violé, il y a lieu d'en tenir compte d'office, le cas échéant au terme d'une instruction, dès lors que le principe précité relève du droit contraignant (jus cogens).

Concernant spécifiquement l'examen à mener par rapport à la situation des demandeurs d'asile en Grèce, la CourEDH a considéré qu'au vu des nombreux rapports et informations fiables faisant état, de manière concordante et sur la base d'enquêtes sur le terrain, des difficultés pratiques que pose l'application du système "Dublin" en Grèce, des défaillances de la procédure d'asile et des pratiques de refoulement, direct ou indirect, sur une base individuelle ou collective, il est notoire que les requérants n'ont aucune garantie de voir leur demande d'asile examinée sérieusement par les autorités grecques. Partant, il n'y a pas lieu de faire peser toute la charge de la preuve sur le requérant. La CourEDH estime, en d'autres termes, que les Etats ne peuvent se contenter de présumer que le requérant recevra un traitement conforme aux exigences de la CEDH mais doivent, au contraire, s'enquérir au préalable de la manière dont les autorités grecques appliquent en pratique la législation en matière d'asile. Le fait qu'un grand nombre de demandeurs d'asile en Grèce se trouvent dans la même situation que le requérant ne fait pas obstacle au caractère individualisé du risque invoqué, dès lors qu'il s'avère suffisamment concret et probable (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011, § 348 ss, en particulier § 352, 358 et 359).

3.  

3.1. En l'occurrence et au vu des résultats de la comparaison dactyloscopie effectuée par les autorités d'asile suisses, ainsi que des déclarations du recourant, l'ODM a déposé, le 13 novembre 2009, une demande de reprise en charge fondée sur l'art. 16 par. 1 let. c du règlement Dublin II auprès des autorités compétentes grecques. En l'absence d'une détermination quelconque de celles-ci à l'expiration du délai de deux semaines prévu à l'art. 20 par. 1 let. b i.f. du règlement Dublin II, la Grèce est réputée avoir acquiescé à cette requête et est donc l'Etat membre désigné comme responsable par les critères énoncés au chap. III du règlement Dublin II (cf. art. 20 par. 1 let. c du règlement Dublin II). Sur cette base, l'office fédéral a rendu une décision de non-entrée en matière en vertu de l'art. 34 al. 2 let. d LAsi et a prononcé le transfert de l'intéressé en Grèce, après lui avoir donné le droit d'être entendu à ce sujet, conformément à l'art. 36 al. 2 LAsi.

3.2. Dans son recours, en se fondant sur sa propre expérience, ainsi que sur le contenu de plusieurs rapports d'organismes gouvernementaux et non-gouvernentaux, A._______ a fait valoir que son transfert en Grèce constituait une violation des engagements internationaux de la Suisse et a conclu implicitement qu'en dérogation à l'art. 3 par. 1 du règlement Dublin II, vu la violation par la Grèce de l'art. 3 CEDH, l'ODM aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'art. 3 par. 2, 1ère phr., du règlement Dublin II et, par voie de conséquence, entrer en matière sur sa demande d'asile déposée le 9 août 2009.

3.3. Il s'agit dès lors d'examiner s'il existe un empêchement au transfert du recourant vers la Grèce pour des raisons de non-conformité aux engagements de la Suisse relevant du droit international ou, à défaut, pour des raisons relevant du droit interne, à savoir les raisons humanitaires évoquées à l'art. 29a OA 1.

3.4. Sous l'angle de l'examen de la licéité du transfert vers un autre Etat membre du système Dublin, aucune personne ne peut être contrainte, de quelque manière que ce soit, à se rendre dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté serait menacée pour l'un des motifs mentionnés à l'art. 3 al. 1 LAsi, ou encore d'où elle risquerait d'être astreinte à se rendre dans un tel pays (cf. art. 5 al. 1 LAsi, qui reprend le principe de non-refoulement énoncé par l'art. 33 par. 1 Conv. réfugiés ; cf. également art. 6 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques [Pacte II de l'ONU ; RS 0.103.2]). Le principe de non-refoulement exclut également le renvoi indirect, connu également sous le nom de "refoulement en cascade" ou "refoulement en chaîne". En outre, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (cf. art. 3 CEDH, art. 3 Conv. torture ; également art. 7 Pacte II de l'ONU).

L'examen de la licéité du transfert porte également sur la question de savoir si la partie est assurée, dans l'Etat requis, de bénéficier d'une procédure d'asile équitable, qui réponde aux conditions de l'art. 13 CEDH.

3.5. C'est sur ces points que le TAF va, dans les considérants qui suivent, effectuer son analyse. Dans cette perspective, il examinera en premier lieu la situation des requérants d'asile à leur arrivée en Grèce, notamment suite à un transfert "Dublin" (consid. 4.1), la possibilité pour ceux-ci d'y déposer une demande d'asile (consid. 4.2), puis les conditions d'accueil existantes pour les requérants enregistrés (consid. 4.3), le déroulement de la procédure d'asile en première instance et en instance de recours (consid. 4.4) et enfin la situation des requérants d'asile en séjour irrégulier en Grèce, faute d'avoir été enregistrés ou d'avoir obtenu le renouvellement de leur carte de légitimation (carte rose) les autorisant à séjourner légalement en Grèce durant six mois (consid. 4.5).

3.6. A cet effet, le TAF a pris en considération les sources suivantes :

- UNHCR, intervention orale du 1er septembre 2010 devant la CourEDH dans la cause M. S. S. c. Belgique et Grèce ;

- Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, document CommDH[2010]9 du 10 mars 2010, intitulé Third party intervention by the Council of Europe Commissioner for Human Rights (ci-après : intervention Commissaire) ;

- Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, rapport CommDH[2009]6 du 4 février 2009, intitulé Human Rights of Asylum seekers et établi à la suite de sa visite en Grèce du 8 au 10 décembre 2008 (ci-après : rapport Commissaire) ;

- UNHCR, rapport du mois de décembre 2009, intitulé Observations on Greece as a country of asylum (ci-après : rapport UNHCR) ;

- UNHCR, détermination du mois de février 2010 adressée au "Bundesverfassungsgericht" allemand, intitulé Stellungnahme an das Bundesverfassungsgericht zur Verfassungsbeschwerde 2 BvR 2915/09 (ci-après : détermination UNHCR) ;

- U.S. Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, rapport du mois de mars 2010, intitulé 2009 Country Reports on Human Rights Practices - Greece ;

- Amnesty International, rapport du mois de mars 2010, intitulé The Dublin II Trap, Transfers of asylum-seekers to Greece (ci-après : rapport AI) ;

- Human Rights Watch, rapport du mois de novembre 2009, intitulé No Refugee migrants in Greece (dans une moindre mesure).

De plus, il a tenu compte de la pratique de la CourEDH en rapport avec les transferts ordonnés vers la Grèce et d'autres Etats membres en vertu du règlement Dublin II, dans la mesure suivante : arrêt R.U. c. Grèce du 7 juin 2011 ; arrêt M. S. S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 ; arrêt A. A. c. Grèce du 22 juillet 2010 ; arrêt Orsus et autres c. Croatie [GC] du 16 mars 2010 ; arrêt Tabesh c. Grèce du 26 novembre 2009 ; arrêt S. D. c. Grèce du 11 septembre 2009 ; arrêt K. R. S c. Royaume-Uni du 2 décembre 2008 ; arrêt N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008 ; arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008 ; arrêt Müslim c. Turquie du 26 avril 2006 ; arrêt Chapman c. Royaume-Uni [GC] du 18 janvier 2001, recueil CourEDH 2001-I  et arrêt T. I. c. Royaume-Uni du 7 mars 2000, recueil CourEDH 2000-III.

4.
Il ressort de ces sources les informations suivantes :

4.1. Lors de l'arrivée d'un demandeur d'asile en Grèce par voie aérienne (ce qui est généralement le cas pour les requérants d'asile transférés d'un autre Etat membre Dublin), celui-ci est systématiquement mis en détention administrative à l'aéroport international d'Athènes pour une période pouvant varier entre quelques jours et quelques mois. Cette pratique concerne tant les primo-arrivants que les demandeurs d'asile transférés par un Etat membre de l'Union européenne en application du règlement Dublin II. Selon les témoignages recueillis, aucune information n'est donnée sur les raisons de la détention (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 161 ; notamment rapport AI p. 12). En outre, les centres de détention présentent tous, à des degrés divers de gravité, le profil suivant : surpopulation, saleté, espace confiné, absence de ventilation, pas ou peu de possibilité de promenade, absence d'espace de détente, nombre de matelas insuffisant, matelas sales, pas d'accès libre aux toilettes, insuffisance des sanitaires, non respect de l'intimité, accès limité aux soins. De nombreuses personnes interrogées se plaignent également des insultes, notamment racistes, proférées par le personnel et l'usage de la violence physique par les gardiens (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 162 et arrêt de la CourEDH R.U., § 62 ss).

4.2. Lors de la mise en liberté des demandeurs d'asile, la pratique des autorités grecques varie selon le lieu où elles se trouvent. A l'aéroport international d'Athènes, soit les personnes sont munies directement d'une carte rose, soit elles sont orientées à cette fin vers le Service central de police et d'asile de l'Attique, sis à l'avenue Petrou Rali. Il arrive que les primo-arrivants soient directement munis d'un ordre de quitter le territoire dans un délai de quelques jours. En cas d'arrivée et de détention ailleurs dans le pays, la pratique consiste à délivrer un ordre de quitter le territoire et à acheminer les personnes vers une grande ville comme Athènes ou Patras. Aucune information n'est fournie au recourant concernant les procédures, les délais ou la possibilité de contacter un avocat ou une organisation non gouvernementale en vue d'obtenir des conseils juridiques. Une fois autorisés à pénétrer sur le territoire grec, les requérants laissés devant l'aéroport sont livrés à eux mêmes. Selon les rapports cités dans l'arrêt de la CourEDH M. S. S., très peu de demandes d'asile sont introduites directement auprès des services de sécurité en place à l'aéroport international d'Athènes, du fait de l'insuffisance de personnel mais aussi, dans certains cas, du manque d'informations sur l'existence même de ces services. Plusieurs organisations ont aussi constaté que la brochure d'information sur la procédure d'asile n'était pas mise à la disposition des personnes transférées en application du règlement Dublin II et que les services de police faisaient usage d'"astuces" pour décourager les intéressés, en véhiculant, par exemple, la fausse information selon laquelle la fourniture d'une adresse était une condition sine qua non de la poursuite de la procédure (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 167 ss et § 173 ss).

Dès lors, munis du document qui leur a été remis à la libération et sur lequel, s'agissant de requérants "Dublin", il est indiqué en grec qu'ils ont été pris ou repris en charge, les intéressés doivent se rendre au centre d'Athènes où ils devront obtenir la carte rose. Ce document est délivré uniquement par le Service central de police et d'asile de l'Attique. Le délai de trois jours prescrit aux demandeurs d'asile pour s'y rendre s'avère beaucoup trop court. Les bureaux sont, en effet, inaccessibles en pratique, en raison du nombre de personnes en attente et du fait que le dépôt des demandes d'asile ne se fait qu'un seul jour par semaine. Le critère de sélection à l'entrée des bureaux est arbitraire et il n'y a pas de système standard pour admettre en priorité ceux qui veulent entrer dans le bâtiment pour déposer une demande d'asile. Ainsi, il est arrivé que plusieurs milliers de personnes se présentent sur une journée pour 300 à 350 demandes enregistrées par semaine. A l'heure actuelle, environ vingt demandes sont enregistrées chaque jour, bien que jusqu'à 2'000 personnes, toutes demandes confondues, attendent à l'extérieur. Il en résulte des périodes d'attente très longues avant d'obtenir un rendez-vous pour un premier entretien (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 180 ss ; également rapport UNHCR p. 10) et, au final, les chances de pouvoir enregistrer une demande d'asile en Grèce sont estimées à environ 1 % (cf. également, sur les difficultés à obtenir un enregistrement, arrêt de la CourEDH S. D. ; rapport Commissaire p. 7).

S'il a introduit une demande d'asile et dispose de la carte rose, le demandeur sera autorisé à séjourner en Grèce. Il le sera toutefois pour une durée limitée de six mois, dès lors que toute la procédure doit être recommencée à l'échéance de la validité de ladite carte, sans quoi il risque de tomber dans l'illégalité. Pour les demandeurs provenant d'un Etat Dublin et donc au bénéfice d'un document attestant de ce fait, la possibilité de pénétrer dans l'enceinte du poste de police de Petrou Rali est théoriquement facilitée. Cependant, différents rapports relèvent que les gardes à l'entrée de ce bureau n'en tiennent généralement pas compte.

4.3. S'agissant des infrastructures d'accueil pour requérants d'asile enregistrés, elles sont insuffisantes : pour l'année 2008, les douze centres répartis sur l'ensemble du territoire grec (dont huit sont gérés par des ONG et quatre par l'Etat) proposaient 811 places au total, alors que le nombre de demandes d'asile enregistrées s'élevait à 20'000 (cf. rapport UNHCR p. 14). En février 2010, la capacité d'accueil s'élevait à onze centres d'hébergement offrant un total de 741 places et était également manifestement insuffisante par rapport au nombre annuel de demandes d'asile. A lui seul le camp de fortune de Patras hébergeait jusqu'en juillet 2009 environ 3'000 personnes, principalement des Irakiens et des Afghans, dans des conditions inacceptables du point de vue des normes d'hébergement et d'hygiène (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 244 ; également rapport Commissaire p. 8). Pour cette raison, les autorités n'y donnent accès, dans les limites des disponibilités, qu'aux personnes vulnérables (familles, femmes seules, enfants). Les demandeurs d'asile adultes et de sexe masculin n'ont à peu près aucune chance de recevoir une place dans un centre d'accueil (cf. rapport UNHCR p. 14). La construction d'un centre d'une capacité de 1'000 personnes, annoncée par le Gouvernement en 2008, n'avait pas été entamée en février 2010 (cf. rapport Commissaire et intervention Commissaire p. 8) et le centre de Thessalonique, qui était réservé aux femmes, a été fermé en mars 2010. Un seul de ces centres (ne comptant que 10 places) est exclusivement réservé aux personnes ayant des problèmes psychiatriques (cf. rapport UNHCR p. 14).

Quelle que soit la façon dont les requérants arrivent en Grèce, il apparaît qu'aucune information ne leur est fournie sur les possibilités d'hébergement et en particulier sur la nécessité de déclarer l'absence d'adresse aux autorités, condition sine qua non pour que ces dernières entament des démarches en vue de trouver un logement. Si les intéressés n'ont pas de famille ni de relation en Grèce et qu'ils ne disposent pas des moyens pour se procurer un logement, ils sont à la rue. Ainsi un grand nombre de candidats à l'asile, sans-abri, principalement des hommes seuls mais aussi des familles, ont envahi des lieux publics, comme le "camp de fortune" de Patras, évacué et rasé en juillet 2009, ou l'ancienne cour d'appel et certains parcs à Athènes. D'une manière générale, pour s'assurer d'un minimum de subsistance, ces personnes dépendent de la société civile, de la Croix-Rouge et parfois des institutions religieuses. D'après une étude menée de février à avril 2010, tous les demandeurs d'asile "Dublin" interrogés par le UNHCR étaient sans-abri. Ceux-ci vivaient donc en grand nombre dans des parcs ou des immeubles désaffectés. La possession d'une carte rose n'est pas déterminante pour obtenir une aide étatique (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 168 s., 244 s. et 258).

L'accès au marché du travail est en outre grandement entravé pour les demandeurs d'asile bénéficiant d'une carte de légitimation. Outre les difficultés personnelles qu'ils rencontrent dues à l'absence de connaissances de la langue grecque, à l'absence de tout réseau de soutien et au contexte général de crise économique, d'importants obstacles bureaucratiques rendent difficile la délivrance d'un permis de travail temporaire. L'obtention d'un numéro d'identification fiscale requiert, par exemple, la preuve d'une résidence permanente, ce qui empêche l'accès des sans-abri au marché du travail (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 172 et 261).

En matière de santé, les personnes au bénéfice d'une carte rose sont généralement prises en charge gratuitement par les hôpitaux, les pharmacies et les médecins (cf. a contrario le témoignage figurant à la p. 39 du rapport AI). Il semble cependant que les autorités sanitaires, dont le personnel soignant, ne soient pas toujours conscientes de leurs obligations de fournir aux demandeurs d'asile un traitement médical gratuit et des risques sanitaires supplémentaires encourus par cette population (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 172).

4.4. Lorsque le requérant a pu faire enregistrer sa demande d'asile, le premier entretien se déroule le plus souvent dans une langue qu'il ne comprend pas, du fait du caractère nettement insuffisant des services d'interprètes. L'entretien est superficiel et se résume en substance à demander à l'intéressé les raisons pour lesquelles il est venu en Grèce, sans qu'aucune question ne soit posée directement concernant ses motifs d'asile. De plus, en l'absence d'aide juridictionnelle, l'intéressé ne peut prendre en charge les frais d'un conseil juridique et est très rarement accompagné d'un avocat (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 181 et arrêt de la CourEDH R.U., § 76).

Les rapports dénoncent également les défaillances de la procédure d'examen des demandes d'asile, rendant la chance de voir celles-ci admises très réduite. Dans la grande majorité des cas, les candidats sont déboutés en première instance, parce que considérés comme demandant l'asile pour des motifs économiques. D'après une recherche menée par le UNHCR en 2010, sur 202 décisions prises en première instance, 201 étaient négatives et rédigées de manière stéréotypée sans référence aucune aux données relatives aux pays d'origine, sans spécifier quels éléments motivaient la décision et sans aucun raisonnement juridique. Le manque de formation, de qualification et/ou de compétence des policiers chargés de l'examen des demandes d'asile est également dénoncé. En 2008, d'après le UNHCR, sur les soixante-cinq officiers de la préfecture de police de l'Attique chargés de l'examen des demandes d'asile, seuls onze étaient spécialisés en matière d'asile. En outre, selon plusieurs témoignages, il est arrivé que la décision de rejet de la demande avec indication du délai d'appel soit notifiée dans un document rédigé en grec qui accompagne la délivrance ou le renouvellement de la carte rose. Cette dernière étant renouvelable tous les six mois, les intéressés ne comprenaient pas qu'ils avaient en fait été déboutés et qu'ils pouvaient introduire un recours. Or, si le recours n'est pas interjeté dans le délai imparti, l'intéressé est écarté de la procédure. Il se retrouve alors en situation d'illégalité et risque d'être arrêté et détenu en vue de son expulsion.  Le Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe et le UNHCR soulignent en outre que la procédure de notification pour "les personnes de résidence inconnue" ne fonctionne pas en pratique et que de nombreux candidats à l'asile ne peuvent suivre le résultat de leurs demandes et laissent écouler les délais.

En outre, les délais d'examen des demandes d'asile en première instance et en appel sont très longs. D'après le UNHCR, en juillet 2009, le retard dans le traitement des demandes en première instance concernaient 6'145 affaires et 42'700 affaires en appel. D'après les informations fournies par le ministre grec de la Protection citoyenne au Commissaire, le nombre total de demandes d'asile pendantes avait atteint 44'650 en février 2010 (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 183 ss).

Concernant la deuxième instance, jusqu'en juillet 2009 elle relevait de commissions d'avis des réfugiés, auxquelles participait le UNHCR (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 115 ss et 189). Cette instance n'était pas indépendante mais fonctionnait sous la juridiction du Ministère de l'intérieur (cf. rapport AI p. 27 s.). Ensuite, il était possible de saisir le Conseil d'Etat d'un recours en annulation. Bien que 42'700 procédures fussent pendantes devant l'instance de recours le 31 juillet 2009 (cf. rapport UNHCR p. 26), le rôle de deuxième instance des commissions d'avis des réfugiés a été supprimé par décret présidentiel no 81/2009 (article 5). Depuis lors, en cas de rejet de la demande, les requérants n'ont plus d'autre solution que de saisir directement le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de la décision prise en première instance. Cette procédure semble toutefois être coûteuse et longue (en moyenne cinq ans et demi). Elle n'est par ailleurs pas automatiquement suspensive de l'ordre d'expulsion et nécessite l'engagement d'une procédure séparée de demande de sursis dont la durée moyenne est de dix jours à quatre ans. Le contrôle exercé par le Conseil d'Etat n'est au surplus pas suffisamment étendu pour examiner les éléments essentiels d'un grief tiré d'une violation de la Convention (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 190). En outre, dans la mesure où elle a un caractère cassatoire et non réformatoire, une éventuelle admission du recours oblige l'intéressé à recommencer toute la procédure d'asile et, par voie de conséquence, à se représenter tous les six mois auprès du centre de police de Petrou Rali (cf. rapport UNHCR p. 25).

Pour ce qui est de l'accès à la CourEDH, bien que tout demandeur d'asile puisse en théorie introduire devant elle une requête et une demande d'application de l'article 39 du règlement de la CourEDH (mesures provisoires), il apparaît que les carences précitées sont telles pour les demandeurs d'asile que l'accès à celle-ci est quasiment impossible (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 182).

4.5. S'agissant des étrangers qui n'ont pas pu faire enregistrer leur demande d'asile ou dont la carte de légitimation n'a pas été renouvelée, leur situation en Grèce est considérée comme irrégulière et ils encourent le refoulement indirectement vers la Turquie ou directement vers leur pays d'origine. Il ressort en effet des rapports consultés, ainsi que régulièrement de la presse, que les autorités grecques expulsent, parfois collectivement, tant des candidats à l'asile avant l'enregistrement de leur demande d'asile que des demandeurs d'asile dont la demande a été enregistrée et qui possèdent la carte rose. Les expulsions vers la Turquie se font soit à l'initiative unilatérale des autorités grecques et interviennent à la frontière, soit dans le cadre de l'accord de réadmission entre la Grèce et la Turquie. Il est établi que plusieurs des personnes expulsées ont ensuite été renvoyées par la Turquie en Afghanistan sans considération de leur demande d'asile. Plusieurs rapports insistent sur le risque sérieux de refoulement dès la décision de rejet de la demande d'asile du fait que le recours devant le Conseil d'Etat n'est pas suspensif de plein droit (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 192 s., 282 et 314). En matière de santé, la situation est également problématique pour les demandeurs d'asile séjournant illégalement en Grèce, puisque les médecins n'ont pas le droit de donner des soins aux personnes en situation irrégulière (cf. rapport AI p. 39 s., citant l'art. 84 de la loi 3386/2005 grecque sur l'entrée, la résidence et l'accès aux prestations sociales en Grèce des citoyens provenant d'un Etat tiers).

4.6. Comme mentionné précédemment, l'interdiction de refoulement repose sur l'idée que l'intéressé sera l'objet, dans le pays où il viendrait à être transféré, de tortures, de peines ou de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'art. 3 CEDH. Pour tomber sous le coup de cette disposition, le traitement doit présenter un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (cf. arrêt de la CourEDH S. D., § 45).

4.7. L'UNHCR a rappelé, dans sa détermination en rapport avec la procédure d'asile en Grèce adressée à la Cour constitutionnelle fédérale allemande ("Bundesverfassungsgericht"), qu'un refoulement indirect ne peut être exclu qu'à condition qu'il existe, dans l'Etat compétent, une possibilité effective d'accéder à une procédure d'asile juste. La CourEDH est du même avis. Elle a relevé dans l'arrêt en la cause T. I. (consid. A2c), puis dans l'arrêt M. S. S. (§ 298), que pour l'Etat requérant, la question essentielle consiste à déterminer s'il existe en l'espèce des garanties effectives, quelles qu'elles soient, qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, de l'Etat requis vers son pays d'origine. L'art. 13 CEDH consacre le droit à un recours effectif. Cette norme ne peut être invoquée qu'en rapport avec une violation alléguée de manière plausible et défendable d'un droit protégé par la Convention (absence d'indépendance) (cf. Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 2e éd., ch. 1214, p. 568). Elle peut en l'espèce être combinée avec l'art. 3 CEDH, dès lors que l'absence de recours effectif a pour conséquence de priver les requérants des garanties minimales pour s'opposer à un refoulement. De l'avis de la CourEDH, ce droit garantit l'existence, en droit interne, d'un recours permettant de faire valoir les droits et libertés garantis par la Convention. La portée de l'obligation que l'article 13 CEDH fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit être "effectif", en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'Etat défendeur. L' "effectivité" d'un "recours" au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. De même, l' "instance" dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul. Enfin, compte tenu de l'importance que la CourEDH attache à l'article 3 CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l'effectivité d'un recours au sens de l'article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l'article 3, ainsi qu'une célérité particulière ; il requiert également que les intéressés disposent d'un recours de plein droit suspensif (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 288 ss et réf. citées ; également ATAF 2010/1, spéc. consid. 5).

Dans l'arrêt T. I., qui traite d'un transfert "Dublin" d'un requérant d'asile du Royaume-Uni vers l'Allemagne, la CourEDH a considéré que celui-ci ne violait ni l'art. 3 CEDH ni l'art. 13 CEDH, dès lors que l'intéressé pouvait déposer dans ce pays une nouvelle demande d'asile, qu'aucun renvoi ne pouvait avoir lieu sans que les autorités allemandes ne rendent préalablement une décision susceptible de recours et que le gouvernement avait donné des assurances convaincantes que le requérant ne risquait pas un refoulement dans son pays d'origine.

Dans l'arrêt M. S. S., relatif à un requérant d'asile transféré, en application de la même réglementation, de la Belgique vers la Grèce, la CourEDH a conclu à une violation par la Grèce de l'article 13 combiné avec l'article 3 CEDH, en raison des défaillances de sa procédure d'asile nationale menée dans le cas de l'intéressé et du risque que celui-ci était susceptible d'encourir en cas de renvoi en Afghanistan, ainsi qu'à la violation, par la Belgique, de l'art. 3 CEDH en raison de l'exposition du requérant à ces défaillances et à ce risque.

La CourEDH a considéré, dans cet arrêt, que la législation grecque relative à la procédure d'asile n'est pas appliquée en pratique, que dite procédure est caractérisée par des défaillances structurelles d'une ampleur telle que les requérants d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés de la Convention sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence de recours effectif ils ne sont pas protégés, in fine, contre un renvoi arbitraire vers leur pays d'origine (cf. § 300 et 321). La CourEDH a relevé, en particulier, les carences développées préalablement (cf. consid. 4.1 à 4.5 supra) liées à l'information insuffisante des demandeurs d'asile sur les procédures à suivre, les difficultés d'accès aux bâtiments de la préfecture de police de l'Attique, l'absence de système de communication fiable entre les autorités et les intéressés, le manque de formation du personnel responsable des entretiens individuels, la pénurie d'interprètes et le défaut d'assistance judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d'asile d'être accompagnés d'un avocat. Elle a également mentionné le manque de communication entre les autorités et le requérant qui, combiné avec les dysfonctionnements de la procédure de notification pour "les personnes de résidence inconnue", rend fort aléatoire la possibilité pour le requérant de suivre le résultat de sa demande afin de ne pas laisser expirer le délai de recours.

En outre, l'obligation pour les requérants d'asile de se procurer puis de faire renouveler tous les six mois leur carte de légitimation à un seul endroit du pays, ouvert un jour par semaine, rend l'accès à la procédure d'asile quasiment impossible. L'obtention ou le renouvellement de cette carte ne met en outre pas les requérants à l'abri de certains dysfonctionnements du système. En plus de l'obligation semestrielle de recommencer toutes les démarches, sous peine de basculer dans l'illégalité et sans avoir de garantie qu'elles aboutissent à nouveau, ils n'ont que très peu de chance de voir leurs demandes d'asile admises, vu le taux particulièrement faible d'admission de 0,06%. Le déroulement de la procédure, en langue grecque, généralement sans que la présence d'un interprète soit assurée, ne permet pas aux requérants de comprendre les éléments essentiels de celle-ci et d'exprimer pleinement leurs motifs d'asile. Quant à l'unique instance de recours auprès du Conseil d'Etat - après l'abrogation de l'instance d'appel - elle est dissuasive vu son coût et son caractère purement cassatoire, le requérant devant en cas de gain de cause reprendre la procédure depuis le début. Finalement, les carences constatées au niveau des décisions rendues tant en première qu'en deuxième instance (caractérisées par l'usage de considérants-types non individualisés), ne permettent pas d'admettre qu'une procédure d'asile juste et équitable est, dans tous les cas, garantie.

La procédure de renouvellement de la carte rose a également pour conséquence de créer un grand nombre de clandestins, lesquels encourent un risque réel d'être refoulé dans leur état d'origine ou de provenance. Le risque de refoulement indirect de requérants vers la Turquie puis le pays d'origine, sans considération des motifs d'asile, est également réel, que l'initiative du refoulement soit unilatérale ou qu'elle découle de l'accord de réadmission signé entre la Grèce et la Turquie (cf. arrêt de la CourEDH M. S. S., § 192 s., 282 et 314).

Le type de procédure de recours ouvert en Grèce est, au demeurant, contraire à la volonté du Parlement et du Conseil européen qui ont exigé, dans leur directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait de la protection internationale dans les Etats membres (JO L 326 du 13 décembre 2005 ; cf. aussi proposition d'amendement de la directive, par la Commission européenne, adoptée le 21 octobre 2009 [COM [2009] 554 final]), que soit offerte une possibilité de réexamen complet et ex nunc des décisions de première instance par une juridiction. Ces organes de l'Union européenne ont du reste précisé que la notion de recours effectif exige le réexamen des éléments tant de fait que de droit.

4.8. Les conditions de détention ont été examinées par la CourEDH dans plusieurs arrêts. Elle a, à ce sujet, considéré que l'art. 3 CEDH impose à l'Etat de s'assurer que la détention s'effectue dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (cf. arrêt M.S.S., § 221 et réf. citée).

La CourEDH a notamment jugé dans l'arrêt S. D. (§ 49 à 54), qu'enfermer un demandeur d'asile pendant deux mois dans une baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir à l'extérieur, de téléphoner et sans pouvoir disposer de draps propres et de produits d'hygiène suffisants, constituait un traitement dégradant au sens de l'article 3 CEDH. De la même manière, une période de détention de six jours, dans un espace confiné, sans possibilité de promenade, sans espace de détente, en dormant sur des matelas sales et sans accès libre aux toilettes, a été considéré comme inacceptable au regard du même article (cf. ibidem, § 51). Tel a également été le cas d'une détention pendant trois mois d'un demandeur d'asile dans l'attente de l'application d'une mesure administrative, dans des locaux de police, sans aucune possibilité d'activité récréative et sans restauration appropriée (cf. arrêt Tabesh, § 38 à 44). Une détention de trois mois d'un demandeur d'asile, dans un endroit surpeuplé où la propreté et les conditions d'hygiène étaient déplorables, où aucune infrastructure n'était prévue pour les loisirs et les repas, où l'état de délabrement des sanitaires les rendaient quasi inutilisables, où les détenus dormaient dans des conditions de saleté et d'exiguïté extrêmes a également été retenu comme constituant un traitement dégradant prohibé par l'article 3 CEDH (cf. arrêt A. A., § 57 à 65). Dans l'arrêt M. S. S. (§ 223 à 234), la CourEDH a retenu que la durée des détentions subies, de quatre jours en juin et d'une semaine en août 2009, étaient inacceptables dans les conditions prévalant au centre de détention attenant à l'aéroport d'Athènes et compte tenu de la vulnérabilité spécifique du requérant, inhérente à sa qualité de demandeur d'asile, du fait de son parcours migratoire et des expériences traumatiques qu'il pouvait avoir vécues en amont. Pris ensemble, les sentiments d'arbitraire, d'infériorité et d'angoisse qui y sont souvent associés, ainsi que d'une profonde atteinte à la dignité, que provoquent indubitablement ces conditions de détention, constituent, selon la CourEDH, un traitement dégradant contraire à l'art. 3 CEDH.

Dans l'arrêt R.U., la CourEDH a retenu la violation des art. 3 et 13 CEDH par la Grèce, concernant un requérant d'asile d'origine turque détenu durant deux mois en vue d'être expulsé dans des conditions similaires à celles relatées dans l'arrêt de la CourEDH S.D., sans avoir bénéficié d'aucun traitement médical pour ses affections, alors que sa demande d'asile était encore pendante au stade du recours et que l'intéressé avait présenté des éléments probants à l'appui de celle-ci concernant, en particulier, des tortures subies dans son pays d'origine. Elle a confirmé le constat retenu dans l'arrêt M.S.S., selon lequel la législation grecque en matière de procédure d'asile n'est pas appliquée en pratique, que la procédure y afférente est caractérisée par des défaillances structurelles d'une ampleur telle que les demandeurs d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés de la Convention sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence de recours effectif ils ne sont pas protégés in fine contre un renvoi arbitraire vers leur pays d'origine. Dans le cas d'espèce, la CourEDH a également retenu le caractère irrégulier de la détention au sens de l'art. 5 § 1 let. f CEDH, dès lors que le requérant, qui ne pouvait être expulsé avant l'examen de sa demande d'asile, rendait la détention dépourvue de fondement en droit interne.

4.9. Concernant les conditions minimales d'existence garanties par la CEDH, la CourEDH a jugé que l'art. 3 CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de sa juridiction (cf. arrêt Chapman, § 99). Il ne saurait non plus en être tiré un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (cf. arrêt Müslim, § 85).

S'agissant des demandeurs d'asile démunis, la CourEDH a rappelé que l'obligation de leur fournir un logement et des conditions matérielles décentes fait à ce jour partie du droit positif et pèse sur les autorités grecques en vertu des termes mêmes de la législation nationale qui transpose le droit communautaire, à savoir la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres (dite "directive Accueil" ; JO L 31 du 6 février 2003), ainsi que leur besoin d'une protection spéciale, s'agissant d'un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable (cf., mutatis mutandis, arrêt Orsus et autres, § 147).

Elle a, en particulier, considéré que la situation d'un requérant en Grèce, ayant vécu pendant des mois dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, sans disposer d'aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels, sans avoir, à aucun moment, été dûment informé des possibilités de logement qui s'offraient à lui - à supposer qu'elles existent - et dans l'angoisse permanente d'être agressé et volé, est constitutive d'un traitement humiliant témoignant d'un manque de respect pour sa dignité et que de telles conditions d'existence, combinées avec l'incertitude prolongée dans laquelle il était resté et l'absence totale de perspective de voir sa situation s'améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l'art. 3 CEDH, constatant dès lors sa violation. La carte de légitimation n'a pas été considérée en l'espèce comme d'une quelconque utilité pratique pour faciliter l'accès du demandeur d'asile au marché du travail, vu les obstacles administratifs existants, les difficultés personnelles du requérant dues à l'absence de connaissance de la langue grecque et de tout réseau de soutien, ainsi que le contexte général de crise économique (cf. arrêt M. S. S., § 254 ss).

4.10. S'agissant du risque de violation de l'art. 3 CEDH en rapport avec les requérants souffrant de maladies graves, la CourEDH a retenu, dans l'arrêt N., que les non-nationaux qui sont sous le coup d'un arrêté d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le territoire d'un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l'assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par l'Etat qui les expulse. Le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour constituer une violation de l'article 3 CEDH. La décision d'expulser un étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'Etat contractant est susceptible de soulever une question sous l'angle de l'article 3 CEDH, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses. La CourEDH ajoute que consiste en de telles circonstances très exceptionnelles le fait que le requérant est très gravement malade et paraît proche de la mort, qu'il n'est pas certain qu'il puisse bénéficier de soins médicaux ou infirmiers dans son pays d'origine et qu'il n'a là-bas aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social. Finalement, elle relève encore que l'article 3 CEDH ne fait pas obligation à l'Etat contractant de pallier lesdites disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde sur les Etats contractants (cf. arrêt de la CourEDH N., § 42 et 44).

Il ressort en outre des informations relatives à la Grèce que les personnes au bénéfice d'une carte rose ont droit à des soins gratuits, mais que les autorités sanitaires, dont le personnel soignant, ne sont pas toujours conscientes de leurs obligations, ni d'ailleurs des risques sanitaires supplémentaires encourus par la population des demandeurs d'asile. Pour les personnes séjournant illégalement, la situation est encore plus problématique puisque les médecins n'ont pas le droit de donner des soins aux personnes en situation irrégulière, selon la loi grecque (cf. consid. 4.5 supra). Par conséquent, le transfert vers la Grèce de personnes très gravement malades ne disposant pas d'autorisation de séjour n'est en principe pas compatible avec l'art. 3 CEDH. Pour les autres personnes atteintes dans leur santé, il doit, dans tous les cas, être exigé de l'Etat requérant qu'il reçoive de la Grèce des garanties suffisantes que le demandeur d'asile bénéficiera effectivement d'une prise en charge médicale. Au regard des difficultés auxquelles ces personnes sont exposées lors de leur arrivée à l'aéroport d'Athènes (cf. consid. 4.1 supra), puis lors de l'enregistrement de leur demande d'asile - lequel peut dans certains cas s'avérer impossible - et du renouvellement de celle-ci (cf. consid. 4.2 supra), une conjonction de facteurs négatifs est en effet susceptible d'entraîner une violation de l'art. 3 CEDH.

4.11. Vu ce qui précède et en particulier la présence d'indices sérieux de non-respect, par les autorités grecques, de leurs obligations découlant du droit international - en particulier des art. 3 et 13 CEDH, ainsi que de l'art. 33 Conv. réfugié -, en cas de transfert de requérants d'asile dans cet Etat, le TAF constate l'existence d'une pratique avérée de violation de certaines normes de droit international, par la Grèce, en lien avec la détention des requérants d'asile à leur arrivée sur son territoire, les conditions d'accueil et de prise en charge de ceux-ci, ainsi que par rapport à l'accès à la procédure d'asile et au déroulement de celle-ci.

Partant, la présomption prévue expressément par le règlement Dublin II, selon laquelle tous les Etats membres sont des pays sûrs et respectent le principe de non-refoulement, tel que défini par la Convention de Genève  (cf. consid. 2 du règlement Dublin ; voir également le protocole [n° 29] sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne [JO C 321 du 29 décembre 2006], annexé au traité instituant la Communauté européenne [JO C 340 du 10 novembre 1997]), disparaît dans le cas de la Grèce et, partant, le devoir des autorités suisses d'aider le requérant à apporter la preuve de son exposition à un risque sérieux, par une instruction d'office, s'accroît.

4.12. Dans sa pratique actuelle, développée suite à l'arrêt de la CourEDH M.S.S., l'ODM a, dans la majeure partie des cas où un recours était encore pendant contre une décision prononçant le transfert de requérants d'asile vers la Grèce, annulé celles-ci dans le cadre d'un échange d'écritures et fait application de la clause de souveraineté. Dans un nombre limité de cas, nonobstant dit arrêt, il a toutefois maintenu sa décision considérant que le transfert en Grèce était tout de même licite.

4.13. Dans de tels cas, l'instance de recours statuera, dans chaque cas d'espèce et au terme d'un examen fouillé de l'ensemble du dossier, sur les risques concrets et avérés encourus par le requérant en cas de transfert en Grèce. Elle se prononcera en particulier sur les risques de violations relatifs aux art. 3 et 13 CEDH en tenant compte des éléments développés dans les considérants ci-dessus, ainsi que des arguments et moyens de preuve déterminants avancés par la partie dans le cadre de son recours.

Cela étant, le développement qui précède ne plaide pas pour autant pour une considération générale de l'illicéité de celui-ci (cf. également consid. 2.5). A titre exceptionnel, il est envisageable que la licéité du transfert soit admise, au terme d'une analyse individualisée, dans les cas particuliers où il est établi que le requérant échappera, en cas de transfert en Grèce, aux conditions déplorables de détention à l'arrivée, décrites préalablement, aux risques de refoulement direct ou indirect, ainsi qu'à une violation de l'art. 13 CEDH. Le transfert pourra notamment s'avérer licite dans le cas d'une personne au bénéfice d'une autorisation de séjour au sens large qui la mettrait à l'abri d'une détention à son arrivée en Grèce et d'un refoulement. Il est rappelé que l'admission de la licéité du transfert ne signifie pas pour autant que le transfert ne puisse être exclu pour des motifs humanitaires prévus à l'art. 29a al. 3 OA 1. Une attention spécifique sera notamment portée s'agissant des personnes particulièrement vulnérables, telles que les personnes mineures ou âgées, les femmes seules, les familles avec enfant, les personnes traumatisées ou nécessitant des soins médicaux.

5.  

5.1. En l'espèce, A._______, a déclaré avoir quitté l'Afghanistan en 1995 en raison de persécutions infligées par les Talibans. Il se serait réfugié en Iran et y aurait vécu jusqu'en 2007. Après l'accession au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, les autorités de ce pays n'auraient toutefois plus prolongé son permis de séjour et il aurait à nouveau dû fuir, en Turquie d'abord, puis en Grèce.

L'intéressé est veuf, âgé de (...) ans et présente certains problèmes de santé. Analphabète, il se trouve en Suisse avec deux de ses quatre enfants, lesquels ont subvenu à ses besoins essentiels lors de ses séjours en Turquie et en Grèce.

Après avoir quitté la Turquie, il a été recueilli, avec ses deux enfants, par les garde-côtes grecs. Selon ses déclarations, il n'aurait à aucun moment été interrogé sur ses motifs d'asile mais uniquement questionné sur ses données personnelles. Quelques jours après son arrivée, il aurait reçu une décision d'expulsion semblable à celle, datée du 28 mai 2008, reçue par son fils et déposée en original au dossier de ce dernier (cf. dossier  [...]). Après avoir reçu cette décision, l'intéressé et ses enfants auraient erré en différents endroits du pays.

5.2. Le recourant a déclaré avoir reçu une carte rose des autorités grecques, ce qui laisse supposer qu'il a introduit une demande d'asile. Par la production de l'original de la décision d'expulsion relative à son fils - incluant probablement également sa fille -, il a toutefois rendu vraisemblable qu'un ordre d'expulsion lui avait également été notifié quelques jours seulement après son arrivée sur le territoire grec et sans qu'il n'ait jamais pu exposer ses motifs d'asile. Son récit correspond au phénomène à grande échelle et à la réalité vécue par un grand nombre de demandeurs d'asile, que la CourEDH a constaté dans son arrêt M. S. S. Il n'y a, dès lors, pas lieu de mettre en doute ses allégations.

Partant, en cas de transfert vers la Grèce, l'intéressé risque d'être incarcéré durant un certain laps de temps à son arrivée à l'aéroport d'Athènes, en attendant que les autorités grecques déterminent le statut dont il disposait antérieurement à son départ pour la Suisse et sans tenir compte de sa vulnérabilité spécifique inhérente à sa qualité de demandeur d'asile. Par la suite et pour autant que le recourant puisse renouveler sa demande d'asile, il devrait à nouveau se rendre au poste de police de Petrou Rali pour se faire enregistrer, faute de quoi il retomberait dans l'illégalité. Sans que cela soit déterminant, l'appartenance de l'intéressé à la catégorie de personnes vulnérables rendrait son accès à la procédure d'asile en Grèce encore plus difficile. En outre, le risque d'expulsion, en particulier vers la Turquie, sans qu'aucun examen préalable des dangers que cela comporterait pour l'intéressé n'ait eu lieu, est hautement probable, vu en particulier la décision d'expulsion qui lui a vraisemblablement été adressée avant même l'examen de ses motifs d'asile. Les carences que connaît la Grèce en matière d'asile, tant du point de vue procédural qu'institutionnel, ainsi que les accords récents passés avec son voisin turc confirment ce risque (cf., à ce sujet, décision cosignée par le ministre grec, Michalis Chryssohoïdis, et son homologue turc, Besir Atalay, prévoyant notamment "l'application efficace" d'un protocole de réadmission conclu il y a dix ans, soit la loi n° 2926 du 27 juin 2001 concernant l'accord entre la République de Grèce et la République de Turquie, sur la collaboration entre le Ministère de la sécurité publique de la République de Grèce et le Ministère de l'Intérieur de la République de Turquie dans la lutte contre le crime, en particulier dans les domaines du terrorisme, de la criminalité organisée, du trafic de drogue et de l'immigration illégale). Le TAF estime que cette situation est intolérable pour un Etat de droit.

5.3. Par conséquent, au vu de l'ensemble des circonstances du cas, un transfert de l'intéressé vers la Grèce constituerait, de la part de la Suisse, une violation tant de l'art. 3 que de l'art. 13 CEDH. Il est dès lors illicite.

5.4. Il découle de ce qui précède, que le grief fait à l'ODM d'une violation du droit d'être entendu, en l'absence d'une motivation suffisante de sa décision querellée, est fondé. Il en va de même pour ce qui a trait à la violation du droit fédéral et à l'établissement inexact et incomplet de l'état de fait déterminant (cf. art. 106 al. 1 let. a et b LAsi).

L'ODM ne pouvait, en l'espèce, pas s'appuyer uniquement sur la présomption selon laquelle les autorités grecques respecteraient leurs obligations internationales en matière d'asile et devait motiver les raisons pour lesquelles il estimait que le transfert du recourant était licite, malgré les carences notoires précédemment relevées.

6.
Partant, le recours de l'intéressé est admis et la cause est renvoyée à l'ODM pour que cet office fasse application de la clause de souveraineté de l'art. 3 par. 2 du règlement Dublin II et entre en matière sur la demande d'asile du recourant.

7.
Dès lors que le transfert en Grèce du recourant est illicite, il n'y a pas lieu de déterminer si sa situation est également susceptible de constituer un cas d'application des motifs humanitaires au sens de l'art. 29a al. 3 OA 1.

 

8.1. Vu l'issue de la cause, il n'y a pas lieu de percevoir des frais de procédure.

8.2. Par ailleurs, dans la mesure où le TAF a admis le recours de l'intéressé, celui-ci peut prétendre à l'allocation de dépens aux conditions de l'art. 7 al. 1 et 2 du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral (FITAF, RS 173.320.2).

8.3. La mandataire du recourant a produit une note d'honoraires d'un montant de Fr. 2'206.25 datée du 31 mars 2010. Cette note concerne la procédure du recourant et celles de ses deux enfants actuellement pendantes devant le TAF, sous référence (...) et (...).

Dès lors que, postérieurement à la production de sa note de frais, la mandataire a encore produit plusieurs actes sous forme de courriers divers, le montant total des dépens est augmenté et arrêté à Fr. 2'506.50. Sachant que l'activité de la mandataire a été déployée dans le cadre de trois procédures, le recourant se verra allouer des dépens en proportion, soit Fr. 835.50, représentant un tiers du montant total précité.

 

 

 

 

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