Faits :
A.
A.a En application
de l'art. 18 de la loi sur l'entraide pénale internationale du 20 mars 1981 (EIMP, RS 351.1), l'Office
fédéral de la police (ci-après: fedpol), service compétent à l'époque,
a ordonné le 15 avril 1986 le blocage des avoirs en Suisse de Jean-Claude Duvalier, ancien Président
de l'Etat haïtien, en exil en France depuis le 7 février 1986, et de son épouse.
A.b Le 12 juin
1986, l'Etat haïtien a adressé à la Suisse une demande d'entraide pénale visant Jean-Claude
Duvalier, son épouse, leurs proches et leurs familiers.
A.c Après
plusieurs ordonnances, recours et arrêts (pour le détail des faits cf. ATF 136 IV 4), seize
ans plus tard, l'Office fédéral de la justice (ci-après: OFJ), qui avait repris l'affaire,
a estimé le 15 mai 2002, en application de l'art. 2 EIMP, que les garanties reçues du ministre
haïtien de la justice n'étaient pas suffisantes pour assurer aux personnes poursuivies un standard
de protection minimale correspondant à celui offert par le droit des Etats démocratiques. L'OFJ
précisait que la décision finale de l'octroi de l'entraide devait être prise par le juge
d'instruction genevois. Il remarquait également dans sa décision que les griefs d'irrecevabilité
soulevés par l'avocat de Jean-Claude Duvalier au motif que les infractions à la base de la
demande d'entraide étaient frappées de prescription en droit suisse étaient réalisés
mais qu'il revenait au juge de l'entraide, soit le juge d'instruction genevois, de trancher ce point.
B.
B.a Le 14 juin
2002, se fondant sur la sauvegarde des intérêts de la Suisse, le Conseil fédéral
a décidé de bloquer les avoirs de Jean-Claude Duvalier et de son entourage pour une période
initiale de trois ans. Il chargeait également le Département des affaires étrangères
(ci-après: le DFAE) d'assister les parties en vue de rechercher, dans un cadre approprié, une
issue aussi satisfaisante que possible.
B.b Le 3 juin 2005,
la mesure de blocage a été prorogée de 24 mois.
B.c Le 1er
juin 2007, le Conseil fédéral a décidé de prolonger une nouvelle fois le blocage
et le mandat de négociation du DFAE, pour trois mois supplémentaires. Les intéressés
avaient été informés de cette mesure par une lettre datée du 4 juin 2007 du Vice-directeur
de la Direction du droit international public (ci-après: DDIP) du DFAE. Ce courrier se fondait expressément
sur l'art. 184 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18
avril 1999 (Cst., RS 101) et évoquait également le séquestre d'un compte appartenant à
la famille Duvalier obtenu le 29 mai 2007 par devant le Tribunal de première instance de Genève.
De l'avis de la DDIP, les prétentions de tiers étaient non seulement de nature à prolonger
le blocage des fonds revendiqués par la recourante mais encore susceptibles d'en diminuer la quotité
disponible. Pour le surplus, le Vice-directeur de la DDIP invitait ses destinataires à reconsidérer
l'opportunité d'une solution transactionnelle.
B.d Le Président
de la République d'Haïti s'est adressé par courrier du 13 août 2007 à la Présidente
de la Confédération lui demandant la reconduction du gel des avoirs Duvalier pour une période
de 12 mois. A l'appui de sa demande, le Président arguait, en substance, de la ferme volonté
de son Gouvernement dans cette affaire et du lancement prochain par les autorités judiciaires compétentes
de son pays de procédures adéquates contre Jean-Claude Duvalier qui tiendraient compte des
questions de la qualification des infractions et de la prescription.
B.e Le 22 août
2007, le Conseil fédéral a prolongé le blocage pour une nouvelle période de 12 mois.
C.
C.a La Fondation
A._______ (ci-après: la Fondation), de droit liechtensteinois, a été constituée le
22 décembre 1977. Son but est défini au Grundbuch- und Öffentlichkeitsregisteramt de la
Principauté du Liechtenstein de la manière suivante: "Die Stiftung bezweckt die Verwaltung
des Stiftungsvermögens sowie die Ausrichtung von Zuwendungen an Personen, die in einem Reglement
(Beistatut) bezeichnet werden". Elle est gérée par le Dr B._______, unique membre du Conseil
de fondation.
Elle avait été fondée par Simone Ovide
Duvalier, mère de Jean-Claude Duvalier, décédée le 26 décembre 1997.
La Fondation est titulaire du compte n° (...)
auprès d'une succursale genevoise de la banque X._______.
C.b Agissant le
21 septembre 2007 par l'intermédiaire de son mandataire, la Fondation a contesté la mesure
de blocage du 22 août 2007 par devant le Tribunal administratif fédéral, lequel a déclaré
le 14 mars 2008 le recours recevable en ce qui concerne la décision du DFAE et irrecevable contre
l'ordonnance du Conseil fédéral (ATAF 2008/36).
D.
D.a Le 28 janvier
2008, la juge d'instruction genevoise a définitivement déclaré irrecevable la demande
d'entraide judiciaire formée par la République d'Haïti le 12 juin 1986, motif pris que
l'Etat haïtien n'avait pas fourni un engagement suffisant au sens de l'art. 80p
al. 3 EIMP et que les faits reprochés à Jean-Claude Duvalier et aux membres de sa famille étaient
absolument prescrits. Les avoirs restaient bloqués jusqu'au 31 août 2008 en vertu de l'ordonnance
du Conseil fédéral du 22 août 2007.
D.b Le 23 mai 2008,
la République d'Haïti a présenté une demande de réexamen des précédentes
décisions.
D.c Le 27 juin
2008, l'OFJ a ordonné une nouvelle mesure de blocage relevant que les faits poursuivis pouvaient
relever en droit suisse de l'organisation criminelle (art. 260ter
du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP, RS 311.0]) et invitant les détenteurs
des comptes et valeurs à en prouver la provenance licite (cf. art. 72 CP).
D.d Par courrier
chargé du 2 juillet 2008, le directeur de la DDIP a informé le Tribunal administratif fédéral
de la levée par le Conseil fédéral de la mesure du blocage du 22 août 2007.
D.e La Fondation
ayant retiré son recours par acte du 11 juillet 2008, le Tribunal administratif fédéral
a procédé à sa radiation du rôle le 17 juillet 2008 (arrêt du Tribunal administratif
fédéral C-7589/2007).
E.
E.a Par décision
du 11 février 2009, l'OFJ a admis la demande d'entraide du 12 juin 1986 et ses compléments
et a ordonné la remise à la République d'Haïti des avoirs détenus par la Fondation
A._______, lesquels devaient être utilisés de manière transparente au bénéfice
de la population, par le biais de projets humanitaires et sociaux. L'OFJ a considéré que la
prescription devait s'examiner au seul regard du droit suisse et que la Fondation n'avait pas réussi
à renverser la présomption de provenance criminelle des fonds.
E.b Par arrêt
du 12 août 2009, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté le recours formé
à l'encontre de la décision de l'OFJ par la Fondation. En substance, le TPF a admis la qualification
d'organisation criminelle permettant le renversement de la preuve de l'origine délictueuse des fonds
et, s'agissant de la prescription, il a considéré que le blocage s'était poursuivi sans
interruption depuis avril 1986 et qu'en application de l'art. 33a
de l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide internationale en matière pénale
(OEIMP; RS 351.11), la durée de la saisie de valeurs n'était limitée que par la prescription
selon le droit étranger, la prescription selon le droit suisse ne faisait pas obstacle à l'octroi
de l'entraide (arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2009.94 du 12 août 2009).
E.c Par jugement
sur recours de la Fondation du 12 janvier 2010 rendu public le 3 février 2010, le Tribunal fédéral
(TF) a infirmé la décision de l'OFJ du 11 février 2009 sous l'angle de la prescription.
Tout en reconnaissant la qualification d'organisation criminelle, le TF a retenu que l'art. 33a
OEIMP ne s'appliquait pas au cas d'espèce et que le point de départ de la prescription de 15
ans pour participation à une organisation criminelle courait dès la chute du régime Duvalier
en février 1986 et qu'elle était intervenue en février 2001, soit avant la nouvelle demande
d'entraide qui aurait dû être déclarée irrecevable.
F.
F.a Le 3 février
2010, le Conseil fédéral a décidé du blocage des fonds Duvalier sur la base de l'art.
184 al. 3 Cst. au maximum jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la confiscation
et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées
et à la décision de confiscation prise sur la base de celle-ci ou jusqu'au rejet par le parlement
du projet de loi.
F.b Le même
jour, par recommandé et par télécopie, le DFAE agissant par l'entremise du directeur du
DDIP a informé la succursale genevoise de la banque X._______ et le mandataire de la Fondation de
cette décision et du blocage de la relation bancaire en cause.
F.c Agissant le
4 mars 2010 par l'intermédiaire de son mandataire, la Fondation a interjeté recours par devant
le Tribunal administratif fédéral à l'encontre tant de la décision du Conseil fédéral
que de celle du DFAE du 3 février 2010, concluant principalement, sous suite d'une équitable
indemnité de partie, à leur nullité respective, subsidiairement à leur mise à
néant.
F.d Par arrêt
C-1371/2010 du 23 septembre 2013, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision
du 3 février 2010 du DFAE en rejetant le recours du 4 mars 2010 et a déclaré irrecevable
ce même recours dans la mesure où il était dirigé contre la décision du Conseil
fédéral du 3 février 2010.
G.
G.a Le 29 avril
2011, alors que le recours de la Fondation A._______ contre la décision de blocage était encore
pendant, le Département fédéral des finances (ci-après: DFF) dépose auprès
du Tribunal administratif fédéral une action en confiscation fondée sur l'art. 5 et 6
LRAI et dirigée à l'encontre de la Fondation A._______ (défenderesse 1), de Jean-Claude
Duvalier (défendeur 2), de l'hoirie de Simone Ovide Duvalier (défenderesse 3) et de Michèle
Duvalier (défenderesse 4), concluant principalement à ce que les avoirs des défendeurs
soient confisqués au profit de la Confédération suisse.
G.b Par ordonnance
du 6 mai 2011, le Tribunal administratif fédéral accuse réception de l'action, la transmet
au représentant de la défenderesse, Me Reber, lui demandant s'il est mandaté dans cette
procédure, cas échéant également pour les autres parties; à la banque dépositaire
des comptes à confisquer et à l'avocat dépositaire des bijoux de la défenderesse
4, également à confisquer, Me Brosset.
G.c Par lettre
du 17 mai 2011, assortie d'une procuration ad hoc, Me Reber confirme ne représenter que la défenderesse
1. Par courrier du 24 mai 2011, la banque dépositaire indique ne pas vouloir intervenir dans la
procédure.
G.d Par ordonnance
du 26 mai 2011, le Tribunal administratif fédéral invite le demandeur à lui communiquer
les documents attestant de la composition de l'hoirie de Simone Ovide Duvalier et à lui indiquer
les démarches qu'elle a entreprises en application de la loi fédérale de procédure
civile fédérale du 4 décembre 1947 (PCF, RS 273) pour découvrir les adresses
toujours inconnues de certaines défenderesses à l'action. Le Tribunal invite aussi la banque
et Me Brosset à se prononcer sur le domicile des défenderesses. Il transmet également,
par l'entremise du Département fédéral de justice et police (DJP), une copie de l'action
au défendeur 2, l'invitant à se prononcer sur la composition de l'hoirie et sur l'adresse manquant
des défenderesses.
G.e Le 30 mai 2011,
Me Brosset répond ne pas être en possession de l'adresse de la défenderesse 4 et ne pas
la représenter. Par lettre du 6 juin 2011, la banque affirme ne pas connaître les adresses
des défendeurs à l'action. Le 8 juin 2011, le DFF explique que ses démarches n'ont permis
que de trouver l'adresse du défendeur 2.
Répondant à l'invitation qui lui a été
faite par ordonnance du 14 juillet 2011, le représentant de la défenderesse 1 explique dans
son courrier du 27 juillet 2011 ne pas être en mesure de donner des informations sur la composition
de l'hoirie de Simone Ovide Duvalier.
G.f Par courrier
du 31 octobre 2011, reçu au Tribunal le 23 novembre 2011 par l'entremise du DFJP, le défendeur
1, Jean-Claude Duvalier, confirme la composition de l'hoirie de sa mère et informe n'avoir pas reçu
copie de l'action.
G.g Par ordonnance
du 2 décembre 2011, la Cour de céans notifie aux défendeurs l'action en confiscation leur
impartissant un délai de 30 jours pour répondre. Elle invite le défendeur 2, auquel elle
s'adresse par l'entremise du DFJP, à désigner un domicile de notification en Suisse et à
communiquer l'adresse des autres défenderesses. Pour les défenderesses dont le domicile est
inconnu, l'action est notifiée par voie de publication dans la Feuille fédérale du 20
décembre 2011 (FF 2011 8521).
G.h Dans sa réponse
à l'action du 16 février 2012, la défenderesse 1 conclut principalement à l'irrecevabilité
de l'action, au motif que la LRAI ne s'appliquerait pas en l'espèce, et subsidiairement à son
rejet. Elle développe notamment des arguments qui ont trait au blocage selon la LRAI et qui ont
été examinés dans l'arrêt C-1371/2010.
G.i Par réplique
du 28 août 2012, le DFF maintient ses conclusions.
G.j Par ordonnance
du 12 septembre 2012, constatant que la notification de l'action par voie diplomatique avait échoué
pour le défendeur 2, le Tribunal administratif fédéral l'invite, par voie de publication
(FF 2012 7502 du 25 septembre 2012), ainsi que les défenderesses 3 et 4, a en prendre connaissance
auprès du greffe avec la réponse de la défenderesse 1 et la réplique du demandeur.
Dans la même ordonnance, elle transmet copie de la réplique du demandeur à la défenderesse
1 lui octroyant un délai de 30 jours pour déposer d'éventuelles observations.
G.k Ayant eu connaissance
par le DFJP que le défendeur 4 avait mandaté un avocat à Port-au-Prince pour la défense
de ses intérêts en Haïti, le Tribunal administratif fédéral s'adresse à
lui, par ordonnance du 2 octobre 2012 restée sans réponse à ce jour, afin de savoir s'il
le représente également dans la présente procédure.
Par ordonnance du 4 juillet
2013, le juge instructeur a communiqué aux parties que la procédure préparatoire était
close et les a invitées à communiquer dans un délai de 30 jours dès publication dans
la Feuille fédérale si elles renonçaient aux débats principaux avec plaidoiries,
à la délibération publique et au prononcé de l'arrêt en public. Les parties
avaient en outre la possibilité de déposer un mémoire conclusif. À défaut de
réponse dans le délai imparti, le jugement serait communiquée par écrit.
Par courrier du 10 juillet 2013, la défenderesse
1 a renoncé aux actes mentionnés ci-dessus. Le demandeur a déposé le 4 septembre
2013 un mémoire conclusif mais a renoncé aux débats principaux avec plaidoiries, à
la délibération publique et au prononcé de l'arrêt en public. Les autres défendeurs
n'ont pas répondu. Une copie du mémoire conclusif du demandeur a été transmise pour
connaissance aux autres parties par ordonnance du 5 septembre 2013.
Le détail des arguments
développés par les parties à l'appui de leur position ainsi que le détail de certains
faits sont repris dans les considérants en droit ci-après, dans la mesure utile à la résolution
du présent litige.
Droit :
1.
1.1 Selon l'art.
35 let. d de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral
(LTAF, RS 173.32), le Tribunal administratif fédéral connaît par voie d'action en première
instance des demandes de confiscation de valeurs patrimoniales conformément à la loi fédérale
du 1er octobre 2010 sur la restitution des
valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI; RS 196.1). Aux
termes de l'art. 5 al. 1 LRAI, le DFF est compétent pour ouvrir, sur demande du Conseil fédéral,
une action en confiscation des valeurs patrimoniales bloquées selon la LRAI.
1.2 Selon l'art.
14 al. 1 LRAI, les valeurs patrimoniales bloquées lors de l'entrée en vigueur de la LRAI sur
la base de l'art. 184 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse
du 18 avril 1999 (Cst., RS 101) parce que la demande d'entraide pénale internationale n'a pas
abouti, restent bloquées jusqu'à décision entrée en force sur leur confiscation conformément
à la présente loi. Le blocage devient toutefois caduc si une action en confiscation n'est pas
ouverte dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la présente loi.
1.3 La LRAI est entrée
en vigueur le 1er février 2011 (RO 2011
279). Le 2 février 2011 (cf. pce 1 action), le Conseil fédéral a chargé le DFF de
déposer une action en confiscation des valeurs patrimoniales de Jean-Claude Duvalier et de son entourage
bloquées par la décision du Conseil fédéral du 3 février 2010 (cf pce 2 action)
sur le fondement de l'art. 184 al. 3 Cst., ce qui fut fait le 29 avril 2011. Ainsi le Tribunal administratif
fédéral est compétent pour connaître de la présente action déposée
dans le délai prescrit par la LRAI.
2.
Selon
l'art. 44 al. 1 LTAF, lorsque le Tribunal administratif fédéral statue en première instance,
la procédure est régie par les art. 3 à 73 et 79 à 85 de la loi fédérale
de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 (PCF, RS 273). Contrairement
à ce que prévoit l'art. 3 al. 2 PCF selon lequel le jugement ne peut se fonder sur d'autres
faits que ceux allégués dans l'instance, le Tribunal administratif fédéral, en vertu
de la règle spéciale de l'art. 44 al. 2 LTAF, établit les faits d'office. En revanche,
il ne peut pas aller au-delà des conclusions de parties (art. 3 al. 2 PCF). Ainsi, devant le Tribunal
administratif fédéral, en procédure d'action, contrairement à la procédure de
recours, la maxime de disposition revêt une grande importance: l'objet du litige est uniquement
défini par les demandes des parties (cf. André Moser/Michael Beusch/Lorenz
Kneubühler, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, Bâle
2008, p. 239 n. 5.14). Le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre
chose que ce qui est demandé (cf. ATAF 2008/16 consid. 2.2 avec les réf.).
3.
3.1 Le Tribunal administratif
fédéral examine la recevabilité de l'action et de tous les actes de procédure (art.
3 al. 1 PCF).
3.2 L'action ouverte
par le DFF (demandeur), dûment habilité par le Conseil fédéral ainsi que la LRAI
l'exige, est dirigée contre la Fondation A._______, titulaire du compte bloqué n° (...)
auprès de la banque X._______ (défenderesse 1); Jean-Claude Duvalier et/ou l'hoirie de feue
Simone Ovide Duvalier, titulaires du compte bloqués n° (...) auprès de la banque X._______
(défendeur 2 et défenderesse 3); Michèle Duvalier née Bennett, propriétaire
de bijoux (clips d'oreilles) saisis en mains de Me Didier Brosset, avocat à Genève (défenderesse
4). L'hoirie de feue Simone Ovide Duvalier est composée de Jean-Claude Duvalier, de Marie Denise
Duvalier, de Simone Françoise Duvalier et de Nicole Duvalier.
3.3
3.3.1 Dans sa réplique
du 28 août 2012 et dans son mémoire conclusif du 4 septembre 2013, le demandeur conteste la
validité du mandat de l'avocat de la défenderesse 1. Il exige non seulement que celui-ci produise
une certification de l'identité de la personne qui lui a conféré ses pouvoirs au nom de
la Fondation A._______, mais que cette personne justifie elle-même de la procuration qu'elle aurait
reçue des ayants droit économiques de la Fondation A._______ pour s'opposer à l'action
en confiscation. Le demandeur tire argument de ce que le 15 janvier 2010, Jean-Claude Duvalier, un des
héritiers de la fondatrice de la défenderesse 1 a lancé un appel aux autorités suisses
directement et par médias interposés pour transférer l'ensemble des avoirs de la défenderesse
1 à la population haïtienne. De plus, le demandeur produit un écrit daté 12 janvier
2008, dont la signature n'est pas authentifiée, par lequel Jean-Claude Duvalier affirme être
le président de la Fondation A._______ et son bénéficiaire économique unique et révoque
à ce titre "tout mandant et pouvoir donnés précédemment à Monsieur B._______"
(cf. pce action 38).
3.3.2 En l'espèce,
le compte bloqué appartient à la Fondation A._______, laquelle a été constituée
le 22 décembre 1977 à (...), sur mandat de Simone Ovide Duvalier. Les avoirs de la Fondation
proviennent d'un transfert en date du 19 décembre 1977 d'avoirs du compte X._______ n° (...)
et de dépôt de titres directement au guichet (cf. annexe 4 pce 14 action). Simone Ovide Duvalier,
née en 1914 et décédée en 1997, a épousé en 1939 François Duvalier
(Papa Doc) lequel fut président de la République d'Haïti de 1957 à 1971. Elle est
également la mère de Jean-Claude Duvalier (Baby Doc), né en 1951 et président de
la République d'Haïti de 1971 à 1986, et fut Gardienne de la Révolution sous le règne
de son fils.
Les statuts de la Fondation ont été rédigés
en allemand à (...) le 22 décembre 1977 (cf. annexe 2 pce 14 action). Selon l'art. 3, le
but de la Fondation est l'administration des biens de la Fondation ainsi que les donations (Zuwendungen)
en faveur des personnes désignées dans le règlement. L'établissement de ce règlement
incombe au Conseil de fondation (art. 4), lequel est composé d'un ou de plusieurs membres qui exercent
leur mandat pour une durée illimitée (art. 6). Selon l'art. 1 du règlement du 29 novembre
1983, Simone Ovide Duvalier (dite Mme Françoise Duvalier) "possède tous les droits sur
la fortune et les revenus de la Fondation" (cf. pce 148). A sa mort, la fortune de la Fondation
sera partagée en deux parts égales entre ses filles Marie-Denise et Simone Françoise (art.
2 et 3). Selon le régime de signature mis en place le 22 novembre 1983 sur le compte litigieux,
Simone Ovide Duvalier possédait la signature individuelle et ses deux filles, Nicole et Simone Françoise,
la signature collective à deux. En 1984, les droits de Nicole Duvalier furent annulés par sa
mère qui conserva la signature individuelle conjointement à Simone Françoise Duvalier
(cf. annexes 7 à 9 pce 14 action). Selon le formulaire d'identification de l'ayant droit économique
du compte en cause, la Fondation, en tant que titulaire du compte, déclarait le 9 octobre 1992 que
l'ayant droit économique était Simone Ovide Duvalier (cf. annexe 6 pce 14 action). Selon une
nouvelle réglementation intitulée "Status-Annexes de la Fondation A._______, (...)",
signée et datée de la main de Mme Françoise Duvalier le 12 avril 1995 à Nice, Simone
Ovide Duvalier est la seule bénéficiaire des biens de la Fondation (art. 1 et 2). A sa mort,
les biens de la Fondation seront attribués aux porteurs des certificats d'actions - proportionnellement
au nombre de leurs actions - de la société Z._______, (...), dont le capital actions
est composé de 100 actions (art. 3). A cette date, toutes les actions émises le 6 février
1995 étaient en main de Simone Ovide Duvalier (cf. annexe 4-5 pce 148). Selon le formulaire d'identification
de l'ayant droit économique signé le 24 septembre 2002 par la Fondation A._______, l'ayant
droit économique du compte litigieux est "Z._______ (...) dont la possession des actions
est revendiquée par les quatre héritiers de Mme Simone Ovide Duvalier, première bénéficiaire,
décédée, soit Nicole Duvalier (20 juin 1942); Simone née D. (31 mars 1946); Marie-Denise,
née D. le 4 avril 1941; Jean-Claude Duvalier (3 juillet 1951)" (cf. annexe pce 153). La validité
des Statuts-Annexes de 1995 est contestée par les héritiers (pce 148).
3.3.3 Du temps de
son vivant, Simone Ovide Duvalier était la seule bénéficiaire de la Fondation. Elle avait
instauré une procuration en faveur de deux de ses filles qu'elle avait partiellement révoquée
par la suite. Le règlement du 29 novembre 1983 partageait la fortune de la Fondation, à la
mort de sa fondatrice, à parts égales entre deux de ces filles. En 1995, une nouvelle règlementation
intitulée "Statuts-Annexes de la Fondation A._______, (...)" précise qu'à
la mort de Simone Ovide Duvalier, les biens de la Fondation seront attribués aux porteurs des certificats
d'actions proportionnellement au nombre de leurs actions de la société Z._______.,
(...), dont le capital actions est composé de 100 actions émises le 6 février 1995
et alors toutes en main de Simone Ovide Duvalier. L'ayant droit économique des valeurs à confisquer
est donc une société panaméenne dont la possession des actions est revendiquée par
les quatre héritiers de Simone Ovide Duvalier, au titre desquels figure Jean-Claude Duvalier. La
validité des Statuts-Annexes de 1995 est contestée mais Jean-Claude Duvalier n'a jamais apporté
la preuve qu'il serait le seul ayant droit économique de la Fondation A._______.
De surcroît, selon les statuts du 22 décembre
1977 de la Fondation A._______, l'unique organe de la Fondation est le Conseil de fondation qui est composé
d'un ou de plusieurs membres lesquels exercent leur mandat pour une durée illimitée. L'élection
d'un membre s'effectue au sein du Conseil de fondation. En cas de décès, d'incapacité
ou de démission d'un membre du Conseil, les membres restant sont habilités à procéder
à une élection complémentaire. Le Conseil de fondation représente la Fondation de
manière obligatoire pour les ayant droits de la Fondation et les tiers (art. 6 et art. 7). L'art.
6 du règlement de 1983 préserve le droit de Mme François Duvalier "de changer le
Conseil de fondation et de modifier le présent règlement. A sa mort, le Conseil de fondation
ne peut y apporter que des modifications ne portant pas préjudice aux prescriptions essentielles
de ce règlement". L'art. 4 des Statuts-Annexes de 1995 précise que ceux-ci "[...]
sont définitifs et ne peuvent plus être modifiés ni complétés si ce n'est avec
l'accord du bénéficiaire effectif, à l'exclusion des bénéficiaires ultérieurs
qui n'ont que des droits d'expectative". Il n'est pas prévu que les bénéficiaires
ultérieurs puissent révoquer le Conseil de fondation comme le prétend le demandeur.
3.3.4 Le 17 mai 2011,
l'avocat de la défenderesse 1 a présenté devant la Cour de céans une procuration
datée du 16 mai 2011 portant une signature en tout point identique à celle figurant sur la
procuration datée du 24 mars 2010 produite dans l'affaire parallèle C-1371/2010. Cette
procuration était assortie d'une copie de passeport et d'un extrait du 24 mars 2010 certifié
conforme de l'Öffentlichkeitsregister de la Principauté du Liechtenstein attestant que cette
personne, le Dr B._______, est membre unique du Conseil de fondation, avec signature individuelle. Le
signataire de la procuration, agissant en qualité d'organe de la Fondation, est donc habilité
à représenter la défenderesse 1 et à mandater un avocat pour la défense de ses
intérêts, sans qu'il soit nécessaire de recueillir à ce sujet les directives des
bénéficiaires, lesquels n'ont pas la qualité pour agir ou pour défendre, par analogie
avec la jurisprudence bien établie en matière d'entraide qui reconnaît la qualité
pour recourir à l'ayant droit économique d'une personne morale uniquement lorsqu'il est établi
que la société a été dissoute et n'est plus à même d'agir (ATF 123 II 153
consid. 2c, arrêt du Tribunal fédéral 1A.216/2001 du 21 mars 2002 consid. 1.1; arrêt
du Tribunal administratif fédéral B-5053/2010 du 29 septembre 2010 consid. 2.3), ce qui n'est
pas le cas en l'espèce. Il s'ensuit que les pouvoirs de Me Reber, dûment mandaté par l'organe
compétent de la défenderesse 1, ne souffrent d'aucun vice de représentation et qu'en conséquence
sa réponse est versée en procédure.
4.
4.1 La défenderesse
1, la seule à avoir répondu à la demande en confiscation, conclut principalement à
l'irrecevabilité de l'action, motif pris que le cas d'espèce n'est pas couvert par le champ
d'application de la LRAI. A teneur de l'art. 1 LRAI, la loi est subsidiaire et ne s'applique que "lorsqu'une
demande d'entraide judiciaire internationale en matière pénale ne peut aboutir en raison
de la situation de défaillance au sein de l'Etat requérant". La défenderesse
1 affirme que l'entraide n'a pas été refusée par le Tribunal fédéral en raison
de la défaillance de la République d'Haïti, Etat requérant, mais exclusivement au
motif de l'intervention de la prescription (cf. ATF 136 IV 4). Elle remarque également qu'il ressort
du commentaire de l'art. 1 LRAI figurant dans le message du Conseil fédéral du 28 avril 2010
relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine
illicite de personnes politiquement exposées (MCF LRAI; FF 2010 2995, spéc. 3013), que les
valeurs patrimoniales à confisquer doivent avoir été bloquées en Suisse dans le cadre
de la procédure d'entraide, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce puisque les avoirs concernés
sont gelés sur la base de l'art. 184 al. 3 Cst.
4.2 Ces questions,
contrairement à ce que soutient la défenderesse 1, ne se rattachent pas à la recevabilité
de l'action, mais au champ d'application de la loi. La question de l'application de la LRAI au cas d'espèce
a été tranchée dans l'arrêt C-1371/2010. Les griefs développés à ce
sujet par la défenderesse, en particulier celui concernant l'admissibilité de la rétroactivité
de la LRAI, ont été examinés à cette occasion. Cet arrêt a donc confirmé
la validité du blocage décidé le 3 février 2010.
5.
5.1 L'art. 5 al.
2 LRAI énonce les conditions auxquelles doit satisfaire la confiscation des valeurs patrimoniales
pour être prononcée par le Tribunal administratif fédéral:
a. le pouvoir de disposition appartient à une personne politiquement exposée
ou à son entourage;
b. elles sont d'origine illicite;
c. elles ont été bloquées par le Conseil fédéral en
vertu de la présente loi.
5.2 Comme indiqué
ci-dessus dans le consid. 4.2, par renvoi à l'arrêt C-1371/2010, la condition de l'art. 5 al.
2 let. c LRAI est remplie. Restent à examiner les deux autres conditions.
5.3 Le demandeur
expose, au sujet de la première condition, que les trois valeurs patrimoniales dont il requiert
la confiscation sont dans le pouvoir de disposition soit d'une personne politiquement exposée (ci-après:
PPE) soit dans son entourage (points 70 à 77 action).
5.3.1 La notion de
"pouvoir de disposition", dont il est question à l'art. 5 al. 2 let. a LRAI mais aussi
l'art. 2 let. b LRAI s'inspire de celle dont il est question à l'art. 72 CP qui traite de la confiscation
de valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle et qui est applicable par analogie à la restitution
prévue à l'art. 74a EIMP (cf. ATF 136 IV 4 consid. 5, ATF 131 II 169 consid. 9.1). Il s'agit
d'une maîtrise de fait sur les valeurs en question telle que la recouvre la conception d'ayant droit
économique dans le blanchiment d'argent (cf. Madeleine Hirsig-Vouilloz,
in: Commentaire romand Code pénal I, 2009, n. 22 ad art. 72 CP; MCF LRAI FF 2010 3014). Le pouvoir
de disposition dépasse ainsi l'aspect juridique du terme: ce qui est déterminant c'est le pouvoir
effectif sur les valeurs afin d'atteindre la véritable appartenance économique. En effet, il
s'agit d'éviter que les personnes concernées (PPE et leur entourage) recourent à des entreprises
fictives ou à des hommes de paille ou encore profitent de structures juridiques pour gérer
ces biens dans le but d'éluder les règles sur le blocage et la confiscation en leur donnant
une apparence d'honnêteté (cf. pour le crime organisé: Message du Conseil fédéral
sur la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire [Révision du droit
de la confiscation, punissabilité de l'organisation criminelle, droit de communication du financier]
du 30 juin 1993, FF 1993 III 269, spéc. 309). A titre exemplatif, le message cite le détenteur
de compte, l'ayant droit économique, le fondé de pouvoir ou le fondé de procuration (cf.
MCF LRAI FF 2010 3014 ).
5.3.2
Comme indiqué dans les consid. 3.3.2 - 3.3.4 ci-dessus les défendeurs (ou en tout
cas une partie des défendeurs) sont les ayants-droits économiques des biens bloqués. Peu
importe, à cet égard, qui parmi les défendeurs est réellement le propriétaire
de ces biens.
5.3.3
Il s'ensuit que quel que soit le ou les ayant droits économiques actuels du compte
sur lequel sont déposées les valeurs bloquées et dont est titulaire la Fondation A._______,
ils entrent dans la champ d'application de l'art. 2 let. b LRAI. En effet, quand bien même le droit
dont ils bénéficient n'est qu'une expectative, les défendeurs peuvent exiger du Conseil
de fondation qu'il soit respecté et accompli (cf. art. 5 des statuts; Allgemeines
Treuunternehmen, La fondation de famille dans
le droit liechtensteinois, Vaduz 2000, p. 27). On peut donc considérer qu'ils jouissent du "pouvoir
de disposition" tel que conçu par la loi. La première bénéficiaire, décédée
en 1997, était la femme de François Duvalier et la mère de Jean-Claude Duvalier. A ce
titre, elle appartient sans nul doute - ce qui n'est au demeurant pas contesté - à
l'entourage d'une PPE (cf. art. 2 let. b ch. 2 LRAI). Par ailleurs, comme Gardienne de la Révolution,
elle peut également être considérée comme PPE. Il en va de même des bénéficiaires
ultérieurs: en vertu des Statuts-Annexes de 1995 ceux-ci sont les titulaires des actions de la société
panaméennes que se disputent les héritiers, Jean-Claude Duvalier se prévalant notamment
d'un testament qu'il n'a jamais produit (cf. pce 148). Dans ce cas le pouvoir de disposition appartient
à l'entourage d'une PPE (les soeurs de Jean-Claude Duvalier) et/ou à une PPE (Jean-Claude
Duvalier). Si ces Statuts-Annexes ne sont pas valides, soit le règlement de 1983 trouve à s'appliquer
et les bénéficiaires (les deux filles de Simone Ovide qui sont aussi les deux soeurs de
Jean-Claude) sont toujours pour des raisons familiales dans l'entourage d'une PPE, soit la jouissance
revient aux héritiers légaux du fondateur-premier bénéficiaire (cf. Allgemeines
Treuunternehmen, op. cit. p. 27) et la situation
est identique.
5.3.4 Quant aux clips
d'oreilles, ils ont été saisis en 1988 par le juge d'instruction de Genève, alors qu'ils
se trouvaient en dépôt pour une réparation auprès de la société W._______.
Cette société a été dissoute par décision de l'assemblée générale
du 9 janvier 1998 (...) et radiée le 4 mars 1999 (...). Selon Me Didier Brosset, liquidateur
de W._______, ces cilps sont propriété de Michèle Bennett Duvalier et se trouvent en port-franc
à Genève, sous la garde de la société Y._______, société transitaire (cf.
pce 9 TAF). Michèle Bennett Duvalier, née le 15 janvier 1953, a été l'épouse
de Jean-Claude Duvalier de 1980 à 1990 et fait partie, à ce titre, de l'entourage d'une PPE.
Toutes les valeurs à confisquer se trouvent ainsi
dans le pouvoir de disposition d'une PPE ou de son entourage.
5.4
5.4.1 L'art. 5 al.
2 let. b LRAI exige que les valeurs à confisquer soient d'origine illicite, ce qui suppose l'existence
d'une infraction. Toutefois, la condamnation pénale de la personne (PPE ou entourage) n'est pas
nécessaire à l'application de la LRAI. L'art. 6 LRAI consacre le renversement du fardeau de
la preuve s'agissant de l'origine illicite des valeurs patrimoniales qui est présumée à
deux conditions cumulatives:
a. le patrimoine de la personne qui
a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales a fait l'objet d'un accroissement
exorbitant en relation avec l'exercice de la fonction publique de la personne politiquement exposée;
b. le degré de corruption de
l'Etat d'origine ou de la personne politiquement exposée en cause était notoirement
élevé durant la période d'exercice de la fonction publique de celle-ci.
Au sujet de la première condition, le message précise
qu'il s'agit d'une disproportion entre le revenu généré par la fonction et le patrimoine
en cause telle qu'elle ne s'explique pas selon l'expérience normale et le contexte du pays (cf.
MCF LRAI FF 2010 2995 p.3020). Si ces deux conditions sont satisfaites, la présomption est établie
et il appartiendra à la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs bloquées de
la renverser en démontrant avec une vraisemblance prépondérante l'acquisition licite de
ses avoirs (art. 6 al. 2 LRAI).
5.4.2 Pour étayer
sa démonstration de l'accroissement exorbitant du patrimoine de Jean-Claude Duvalier et de son entourage
ainsi que son degré notoirement élevé de corruption et celui de la République d'Haïti
durant l'exercice de son mandat public, le demandeur se réfère largement aux considérants
de l'arrêt par lequel le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté le recours formé
par la Fondation A._______ à l'encontre de la décision de l'Office fédéral de la
justice (ci-après: OFJ) qui ordonnait dans la procédure d'entraide la remise à la République
d'Haïti des avoirs détenus en Suisse par la famille Duvalier, au nombre desquels figuraient
les fonds déposés sur le compte de la Fondation (arrêt du TPF RR.2009.94 du 12 août
2009).
5.4.3
5.4.3.1 Aux considérants
3.2.2 et 3.2.3 de son arrêt, le TPF analyse la manière systématique de détourner
les ressources de l'Etat à leur profit par les membres du clan Duvalier qui avaient érigé
un véritable système de captation des deniers publics:
"En tout état de cause, les exactions commises en Haïti sous
la "présidence à vie" de François, puis de Jean-Claude DUVALIER sont une réalité
évidente; il en va de même du fait que ces régimes dictatoriaux ont donné lieu au
pillage systématique des caisses de la République d'Haïti, au bénéfice du Chef
de l'Etat, de ses proches et de ses complices au sein des entités publiques (Amnesty International,
op. cit.; Leslie J-R Péan, Haïti: économie politique de la corruption, Tome IV, L'ensauvagement
macoute et ses conséquences [1957-1990], Paris 2007, not. p. 270 ss, 302 ss, 472 ss; Sauveur Pierre
Etienne, L'énigme haïtienne, Echec de l'Etat moderne en Haïti, Ed. des Presses de l'Université
de Montréal, Québec 2007, p. 228 ss; Etzer Charles, Le pouvoir politique en Haïti de 1957
à nos jours, Paris 1994, p. 86 ss; Kern Delince, Les forces politiques en Haïti, Manuel d'histoire
contemporaine, Paris 1993, not. p. 244 ss et 282 ss).
Aux termes du rapport de la Banque mondiale de 1997 sur le développement
dans le monde, "en 1957, le gouvernement démocratiquement élu de François DUVALIER
(Papa Doc) a porté [la] logique [de l'Etat prédateur] à un niveau inégalé, commençant
par une purge sans précédent dans la société civile, dans l'armée héritée
du régime précédent, dans l'opposition politique ainsi que dans l'administration en général.
Au cours des deux mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir, DUVALIER avait fait mettre en prison
cent opposants politiques. L'Eglise catholique était perçue comme une menace et plusieurs chefs
spirituels ont été chassés du pays. Les médias ont été réduits au
silence par l'expulsion des journalistes étrangers et, en 1958, un texte a autorisé la puissance
publique à abattre les reporters accusés de diffuser de "fausses nouvelles". Les
parents d'étudiants en grève étaient obligatoirement emprisonnés. Après la levée
de l'immunité parlementaire en 1959, DUVALIER a dissous le Sénat et la Chambre des Députés.
Du matériel militaire moderne a été entreposé dans le sous-sol du palais présidentiel
et plus de deux cents officiers ont été limogés au cours des onze premières années
d'exercice par DUVALIER. En 1964, celui-ci se déclarait Président à vie. Les piliers économiques
de l'Etat prédateur étaient l'expropriation, l'extorsion, le "prélèvement inflationniste"
et la corruption. [...] D'importantes ressources étaient consacrées à la propre protection
de DUVALIER (30% de l'ensemble des dépenses de l'Etat au cours de la première moitié des
années 60). L'agriculture, notamment la culture du café, était lourdement taxée.
Selon certaines sources, DUVALIER aurait fait sortir du pays plus de 7 millions de dollars par an à
des fins personnelles. Des dessous-de-table considérables étaient également versés
dans le cadre d'opérations avec des investisseurs étrangers pour des projets qui souvent ne
voyaient jamais le jour. La pratique de l'extorsion - sous l'appellation euphémique de donations
"volontaires" - a été institutionnalisée dans le cadre du Mouvement de rénovation
nationale. Un pseudo régime d'assurance-vieillesse, assorti d'une déduction de 3%, a été
créé et les fonctionnaires étaient tenus d'acheter, pour quinze dollars, un livre contenant
les discours de DUVALIER. Une caisse autonome recevait le produit des impôts et des redevances,
qui ne figurait pas au budget et ne faisait l'objet d'aucune comptabilité. Après avoir régné
pendant près de trente ans sur le pays, la dynastie des DUVALIER est tombée en 1986, lorsque
Jean-Claude DUVALIER (Bébé Doc), qui avait succédé à son père s'est exilé
en France avec un pactole évalué à 1,6 milliards de dollars. L'Etat prédateur qui
a marqué l'histoire du pays est pour beaucoup à l'origine de l'état désastreux de
l'économie haïtienne" (Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde,
1997, l'Etat dans un monde en mutations, Washington, D.C. 1997, p. 168).
S'agissant en particulier du pillage des caisses de la République d'Haïti
opéré par Jean-Claude DUVALIER entre 1971, date de son accession à la tête de l'Etat,
et le 7 février 1986, date de sa fuite en France, la Commission interaméricaine des Droits
de l'homme estime que l'ancien "Président à vie" de la République d'Haïti
a laissé derrière lui une situation économique catastrophique, largement due au pillage
systématique des ressources de l'Etat haïtien, par lequel il se serait procuré une fortune
personnelle estimée entre USD 400'000'000.-- et 900'000'000.-- (Rapport annuel 1985-1986 de la Commission
interaméricaine des Droits de l'homme, chap. IV, Haïti)."
5.4.3.2 Le TPF a
jugé que ce comportement était constitutif de l'infraction de participation ou de soutien à
une organisation criminelle au sens de l'art. 260ter
du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP, RS 311.0).
"Jean-Claude Duvalier disposait de complices placés à la tête
des départements de l'Etat et des entreprises publiques. Ces complices usaient de leurs pouvoirs
de décision pour transférer des fonds publics propriété des organismes qu'ils dirigeaient
sur les comptes privés du Chef de l'Etat et de ses proches (v. supra consid. 3.2.2), notamment de
Simone DUVALIER et de Michèle BENNETT-DUVALIER (v. supra consid. 3.2.2/c). La structure mise en
place par le Chef de l'Etat à cette fin disposait en outre de blanchisseurs de fonds au sein du
Ministère des finances, de la Banque de la République et de la Banque nationale de Crédit
[...]. La structure formée par ces personnes pouvait en outre durer indépendamment d'une
modification de la composition de ses effectifs, même les plus haut placés. Ainsi, à la
mort de François DUVALIER, les mécanismes de pillage systématique des caisses de l'Etat
et les exactions on perduré sous la "présidence à vie" de Jean-Claude DUVALIER,
dont l'accession au pouvoir avait été garantie par son père (v. supra let. A). Le but
principal de cette structure consistait à user du pouvoir absolu du Chef de l'Etat afin de faire
régner un climat de terreur en Haïti et de procurer à ses membres des revenus considérables
par le détournement systématique des fonds publics, soit par des moyens criminels, au sens
de l'art. 260 ter ch. 1 CP. Au nombre des membres de cette structure figurent le Chef de l'Etat et ses
proches, en leur qualité d'organisateurs ou de bénéficiaires de l'activité criminelle
(soit en premier lieu François, Simone, Jean-Claude et Michelle DUVALIER), ainsi que les nombreux
fonctionnaires qui, moyennant une commission ou par crainte de sanctions, transféraient les fonds
publics propriété des organismes qu'ils dirigeaient sur les comptes privés du Chef de
l'Etat et de ses proches. Cette structure organisée constitue dès lors manifestement une organisation
criminelle l'art. 260 ter ch. 1 CP" (consid. 3.3.2).
5.4.3.3 Appliquant
le principe développé par le Tribunal fédéral qui veut que dans le cas où la
remise est demandée en relation avec des fonds provenant de l'activité, à l'étranger,
d'une organisation criminelle au sens de l'art. 260ter
CP, l'art. 74 a al. 3 EIMP doit être interprété
à la lumière de l'art. 72 CP (ATF 131 II 169), le TPF a présumé que les avoirs détenus
par les personnes participant ou ayant apporté leur soutien à l'organisation criminelle étaient
soumis au pouvoir de disposition de cette organisation et pouvaient donc être confisqués à
moins que la preuve du contraire soit rapportée. Dans son consid. 4.2, le TPF a estimé que
la Fondation A._______ (défenderesse 1) n'avait pas été en mesure de faire valoir quelque
argument propre à renverser cette présomption.
5.4.3.4 Certes, l'arrêt
du 12 août 2009 du TPF ainsi que la décision du 11 février 2009 de l'OFJ ont été
annulés par le Tribunal fédéral le 12 janvier 2010 (ATF 136 IV 4), mais pour l'unique
motif que la requête d'entraide était irrecevable en raison de la prescription. Pour le surplus,
le Tribunal fédéral a jugé que l'arrêt du TPF en ce qui concerne la qualification
d'organisation criminelle et les présomptions opérées ne portait pas le flanc à la
critique (cf. consid. 4.2 et 5).
Il s'ensuit que le degré de corruption tant de l'Etat
d'origine que des PPE en cause peut être considéré comme notoirement élevé.
5.4.4
5.4.4.1 S'agissant
de l'accroissement exorbitant du patrimoine de Jean-Claude Duvalier et de son entourage durant sa présidence,
il faut considérer la situation suivante.
Le compte de la défenderesse 1 a été ouvert
en 1977. Ce qui n'est pas contesté. Les avoirs de la défenderesse proviennent de titres libellés
dans différentes monnaies (dollars américains, canadiens, francs suisses, deutsch mark) déposés
au guichet de la banque X._______ le 28 juin 1977 (cf. pce 42 action) et des avoirs du compte n°
(...) transféré le 19 décembre 1977 (pce 1 réponse action). Au 31 décembre
1977, selon un relevé bancaire, la valeur approximative des titres déposés sur le compte
litigieux était de 11'791'872 francs (pce 46 action), soit 5'883'051 USD en valeur de l'époque
(cf. historique des taux de change: http://fxtop.com>cours
historiques). Au 31 décembre 1983, le récapitulatif des valeurs en dépôt sur ce compte
se composait de placements fiduciaires, d'obligations et de notes pour un montant de 8'511'200 USD, soit
18'541'795 francs en valeur de l'époque. Différents retraits et virements ont été
effectués sur ce compte, parfois pour de gros montants (2'117'000 USD) notamment au profit de Simone
Françoise Duvalier (et non Nicole comme l'indique le demandeur sans doute par lapsus calami), soeur
de Jean-Claude Duvalier (pce 48 et 49 action). Selon le courrier qu'adresse la banque au titulaire du
compte le 23 avril 1996 pour l'informer du blocage signifié par l'ordonnance de perquisition et
de saisie du juge d'instruction genevois, les avoirs se composaient alors dans les différentes rubriques
de 79'360.40 francs, 215.89 USD et de titres pour une valeur approximative de USD 2'399'000, soit un
montant total en valeur de l'époque de 4'462'188 francs (pce 7 réponse action). Le relevé
de fortune au 31 décembre 2010 laisse apparaître un solde de fortune de 5'882'562 USD, soit
5'504'831 francs (pce 23 action).
Le compte (...), celui-là même qui avait
été transféré sur le compte de la défenderesse 1 à sa fondation, a été
ouvert le 10 septembre 1971 et est enregistré dans les livres de la banque au nom de Jean-Claude
Duvalier et/ou Madame Simone Duvalier (pce 25 action). Au 31 décembre 2010 il était crédité
d'un montant de 1'785.25 francs (pce 24 action).
La valeur des bijoux de Michèle Duvalier n'est pas
connue.
5.4.4.2 Concernant
ses propres avoirs, la défenderesse 1 affirme que le compte qui a servi à alimenter le sien
aurait été ouvert le 7 septembre 1971 par Simone Ovide Duvalier. Or, la preuve qu'elle apporte
à ce sujet concerne un autre compte (cf. pce 2 réponse à l'action). Elle soutient également
qu'à sa fondation le capital était inférieur à celui qui existait au moment du blocage
de 1986 et que les avoirs en compte ne sont que le résultat des plus-values réalisées
au cours de près de 40 ans de gestion. Or cela semble incorrect déjà parce que le capital
a diminué de 1977 à 1986, notamment en raison de retraits importants sur le compte. Pour avoir
une idée précise des fluctuations, il faudrait examiner les différents relevés annuels
(que la Cour ne possède pas) et tenir compte de l'évolution du taux de change (en 1977 1 USD
= 2 CHF; en 1986 1 USD = 1,82 francs; en 2010 1 USD = 0,94 francs). Mais cela ne présente pas un
intérêt déterminant pour l'issue de la présente affaire. En effet, les variations
de fortune sur un compte importent peu, ce que la LRAI exige c'est l'existence d'une disproportion entre
le revenu généré par la fonction publique et le patrimoine en cause. Il faut encore dire
à ce sujet que l'ordonnance de perquisition et de saisie signifiée par le juge d'instruction
genevois en 1986 avait aussi permis de découvrir d'autres comptes ouverts par Jean-Claude Duvalier
et Michèle Bennett auprès de la banque X._______ et de la banque V._______, mais aucun de ces
avoirs n'avaient pu être saisis car les déposants avaient préalablement retiré les
fonds (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1A.58/1989 du 19 septembre 1989 consid. b).
Par attestation du 18 février 2011, Ronald Baudin,
le ministre de l'économie et des finances de la République d'Haïti, a certifié que
Jean-Claude Duvalier a émargé au budget de l'Etat d'avril 1971 à février 1986, à
titre de Président de la République. Son salaire mensuel s'élevait d'avril 1971 à
septembre 1984 à 10'000 gourdes (HTG) puis est passé à 17'500 HTG. 10'000 HTG équivalaient
dans les années 80 à environ 2'000 USD ou 3'200 francs (cf. pce 45 action) Le Ministre atteste
également que conformément à la législation en vigueur, Madame Simone Duvalier, Première
Dame de la République et Mère du Président Jean-Claude Duvalier, n'a perçu aucun
salaire de l'Etat Haïtien entre 1957 (élection de son mari François Duvalier à la
présidence) et 1986 (pce 43 action). On peut inférer avec le demandeur qu'il en fut de même
pour Michèle Bennett Duvalier lorsqu'elle fut Première Dame. Ce qui ressort également
des budgets de fonctionnement de l'Etat qui révèlent que la Première Dame (Michèle
Bennett Duvalier) et la Gardienne de la Révolution (Simone Ovide Duvalier) ne bénéficiaient
que des services de personnel de collaboration (secrétaire privé) et d'exécution (chauffeur
privé) (pce 44 action).
5.4.4.3 Ces traitements
n'expliquent pas la présence de 11'791'872 francs sur le compte de la Fondation A._______ à
sa création en 1977 par Simone Ovide Duvalier. Ce montant doit plutôt être mis en relation
avec le pillage systématique des caisses de l'Etat mis en place par la famille Duvalier. L'argent
était détourné via la délivrance, par divers organismes responsables de tâches
publiques de chèques établis à l'ordre des "oeuvres sociales du Président
à vie de la République", de celles de la Gardienne de la Révolution ou de Madame
Jean-Claude Duvalier. Or, selon les considérants de l'arrêt du TPF précité, ces entités
étaient fictives; elles n'avaient aucune activité, ne tenaient aucune comptabilité et
ne disposaient d'aucun compte bancaire.
"Au dos des chèques établis à leur ordre figurait généralement
un endossement par Jean-Claude DUVALIER, son épouse Michèle BENNETT-DUVALIER ou sa mère
Simone DUVALIER. Les fonds publics ainsi détournés étaient tirés sur les comptes
des organismes publics dans les banques haïtiennes, puis versés sur les comptes privés
du "Président à vie" et de ses proches. Ces fonds étaient ensuite convertis
en dollars, soit par retrait en dollars auprès de la caisse de la Banque de la République,
soit par ordre de conversion donné par téléphone du palais présidentiel au Gouverneur
de la Banque de la République, soit encore par établissement, par la Banque Nationale de Crédit,
d'un chèque sur une banque américaine auprès de laquelle la Banque Nationale détenait
un compte en dollars (act. 6.1, annexe 2, p. 10 sv.). L'argent détourné était ensuite
déposé dans des banques étrangères, notamment suisses (act. 6.1, annexe 2, p. 5 et
12; act. 6.2, p. 19 sv.). Pour la seule période entre 1983 et le début de l'année 1986,
l'autorité requérante a ainsi pu établir, suite à la saisie de documents bancaires
et de liasses de chèques, l'existence de transferts à l'étranger de fonds publics détournés
de cette manière à hauteur de USD 36'007'730.--. Au nombre des bénéficiaires de ces
détournements figurent notamment Jean-Claude DUVALIER, son épouse Michèle BENNETT-DUVALIER,
sa mère Simone DUVALIER, F., G. et H., ces trois derniers étant respectivement à la tête
du Département des finances, de la Banque centrale et du Ministère de l'intérieur haïtiens"
(consid. 3.2.2 c)
S'agissant de la fortune de Michèle Bennett Duvalier,
elle provenait visiblement des fonds publics de l'Etat haïtien. Le demandeur a produit des copies
de chèques tirés sur la Banque de la République d'Haïti du compte de la Loterie de
l'Etat haïtien en faveur de la Fondation Michèle B. Duvalier qu'elle signait et endossait elle-même
en portant la mention cash (pce 50-51 action).
Alors que les défendeurs 2, 3 et 4 n'ont déposé
aucune observation, la défenderesse 1 se contente d'affirmer que son compte a été constitué
par les propres avoirs de sa fondatrice Simone Ovide Duvalier. Elle n'apporte aucun indice la
vraisemblance prépondérante suffit selon la LRAI que ses avoirs auraient été
acquis licitement. Elle allègue que la fortune de la Fondation a pour unique origine le transfert
de tous les avoirs et du dossier titre du compte n° (...) alors même qu'il est démontré
que de nombreux titres ont été déposés pour une somme conséquente directement
au guichet en juin 1977. Quand bien même seul le compte précité aurait alimenté celui
de la Fondation à sa création, la défenderesse 1 ne démontre que ce compte d'origine
échappe à la présomption légale.
En résumé, il peut être constaté que
les conditions de l'art. 5 al. 2 let. b LRAI sont en l'espèce remplies. La défenderesse 1 n'avance
pas dans sa réponse à l'action des arguments permettant de renverser la présomption de
l'illicéité de l'origine des valeurs patrimoniales prévue à l'art. 6 al. 1 LRAI mais
se limite à contester la constitutionnalité de la loi et la confiscation dans le cas concret.
La question de savoir si ces griefs doivent être examinés dans le cadre d'une action en confiscation
- qui concerne en principe le droit à la confiscation des valeurs patrimoniales bloquées
- peut rester ouverte pour ce qui est des procédures à venir parce que de toute façon
ces griefs sont infondés, comme on le verra dans les considérants suivants.
6.
6.1 La défenderesse
1 soutient que la présomption de l'art. 6 al. 1 LRAI viole la présomption d'innocence garantie
par l'art. 6 par. 2 CEDH et par l'art. 32 al. 1 Cst.
6.2 A titre préliminaire,
il s'agit de considérer la recevabilité de ce grief. En effet, le demandeur affirme qu'en contestant
la présomption d'illicéité instaurée par l'art. 6 LRAI, la défenderesse 1 s'en
prend en fait à une disposition légale adoptée par le Parlement, ce qui serait irrecevable
en vertu tant de l'art. 190 Cst. que de l'art. 189 al. 4 Cst.
L'art. 190 Cst. prescrit que le Tribunal fédéral
et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international.
Cette disposition fonde une restriction importante du contrôle des normes en Suisse, en ce sens
que les lois formelles de la Confédération et le droit international doivent en principe être
appliquées nonobstant leurs rapports avec la Constitution et entre eux (cf. ATAF 2009/6 consid.
4.2.4.1; ATF 131 II 562 consid. 3.2, ATF 131 V 256 consid. 5.3, ATF 129 II 249 consid. 5.4 ;
Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit
constitutionnel suisse, vol. I, 2e éd.,
Berne 2006, p. 653 ch. 1857). Toutefois, la jurisprudence et la doctrine consacrent le principe de la
primauté du droit international sur le droit interne (ATF 131 V 66 consid. 3.2, ATF 125 II 417 consid.
4d, ATF 122 II 234 consid. 4e, ATF 122 II 485 consid. 3a, ATF 119 V 171 consid. 4a, et les arrêts
cités; Auer/Malinverni/Hottelier, op. cit. p. 653 ss; Arthur
Haefliger/Franck Schürmann, Die Europäische Menschenrechtskonvention
und die Schweiz, 2e édition, Berne 1999, p. 39 et les références de doctrine). Ce principe
découle de la nature même de la règle internationale, hiérarchiquement supérieure
à toute règle interne (ATF 122 II 485 consid. 3a). Il en résulte que le juge ne peut pas
appliquer une loi fédérale qui violerait un droit fondamental consacré par une convention
internationale (ATF 125 II 417 consid. 4.d, ATF 119 V 171 consid. 4b, et les références; Auer/Malinverni/Hottelier,
op. cit., p. 653 ch 1881; Haefliger/Schürmann, op. cit., p. 41).
Il s'ensuit que la Cour doit examiner la pertinence du
grief soulevé par la défenderesse 1 au sujet de la violation de la présomption d'innocence.
6.3
6.3.1
Le fondement de la présomption d'innocence se trouve à l'art. 6 par. 2 CEDH qui
prévoit que "toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie". Le contenu
matériel de cette disposition est identique à celui de l'art. 32 al. 1 Cst. qui affirme que
"toute personne est présumée innocente jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet
d'une condamnation entrée en force" (cf. ATF 131
I 272 consid. 3.2.3.1; Pierre Cornu, Présomption d'innocence
et charge de la preuve, Revue jurassienne de jurisprudence [RJJ] 2004 p. 25-75, p. 26).
6.3.2 Selon la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: Cour EDH), si le principe de la présomption
d'innocence consacré par l'art. 6 par. 2 CEDH figure parmi les éléments du procès
pénal équitable exigé par le par. 1 de la même disposition, il ne se limite pas à
une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée est plus étendue:
il commande qu'aucun représentant de l'Etat ou d'une autorité publique ne
déclare une personne coupable d'une infraction avant que sa culpabilité ait été
établie par un «tribunal» (Cour EDH, arrêt Allenet
de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A no 308, §§ 35-36,
arrêt Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, du 10 octobre 2000,
§§ 41-42,). En principe, donc, la présomption d'innocence n'est invocable que dans les
procédures pénales. Toutefois le champ d'application de l'art. 6 par. 2 CEDH ne se limite pas
aux procédures pénales qui sont pendantes. En effet, il peut s'étendre aux décisions
de justice prises après l'arrêt des poursuites ou après un acquittement, dans la
mesure où les questions soulevées dans l'affaire en cause constituent un corollaire et
un complément des procédures pénales concernées dans lesquelles le requérant
a la qualité « d'accusé » (cf. Cour EDH, décision
Matos Dinis c. Portugal, no 61213/08, du 2 octobre 2012 § 35 et les références
citées). La Cour EDH a eu l'opportunité de clarifier son approche sur les modalités
d'application du principe de la présomption d'innocence aux procédures non pénales.
Ainsi, pour qu'une question puisse se poser sous l'angle de la présomption d'innocence,
il faut que la procédure litigieuse présente avec l'accusation pénale « un
lien manifeste justifiant que l'on étende à [cette procédure] le champ d'application
de l'article 6 § 2 » (Cour EDH, arrêt Y. c. Norvège,
no 56568/00, du 11 février 2003 § 43, a contrario, arrêt Ringvold
c. Norvège, no 34964/97, du 11 février 2003, § 41).
6.3.3 La notion d'"accusation
en matière pénale", dont il est question à l'art. 6 CEDH, revêt une portée
autonome, indépendante des catégorisations utilisées par les systèmes juridiques
nationaux des Etats membres (Cour EDH, arrêt Adolf c. Autriche
du 26 mars 1982 , série A n° 49, p. 12, § 30).
Cette notion doit être définie, conformément à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg,
d'après trois critères (cf. arrêt de principe de la Cour EDH, arrêt
Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A, vol. 22, § 82; en outre ATF 134
I 140 consid. 4.2). En premier lieu, la qualification de la règle concernée, en droit interne,
est prise en considération. Ce point de vue ne revêt cependant qu'une importance relative.
Le deuxième critère a une portée plus étendue et est considéré comme le
plus important (cf. Cour EDH, arrêt Jussila c. Finlande,
no 73053/01, du 23 novembre 2006, § 38), il s'agit de la nature de l'acte incriminé. En examinant
ce critère, divers facteurs peuvent être pris en considération, comme ceux de savoir si
la règle juridique a une fonction répressive ou dissuasive (cf. Cour EDH, arrêt Öztürk
c. Allemagne du 21 février 1984, Série A n° 73, p. 21, § 49, arrêt Bendenoun
c. France, du 24 février 1994, Série A n° 284, § 47), si la condamnation à
toute peine dépend du constat de culpabilité (cf. Cour EDH, arrêt Benham
c. Royaume-Uni, du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 56)
ou encore si l'infraction donne lieu à l'inscription au casier judiciaire, bien que ce soit là
le reflet d'une classification interne (cf. Cour EDH, arrêt Ravnsborg
c. Suède, du 23 mars 1994, Série A n° 283-B, § 38). Le troisième critère
se détermine par rapport au degré de sévérité de la sanction encourue (par exemple:
Cour EDH, arrêt Campbell et Fell c.
Royaume Uni du 28 juin 1984, série A, vol. 80, § 72). Les deux derniers critères
sont alternatifs (cf. Cour EDH arrêt Öztürk c. Allemagne
précité, §54 et arrêt Lutz c. Allemagne,
du 25 août 1987, Série A n° 123, p. 23, § 55) mais une approche cumulative est toutefois
possible, voire nécessaire, lorsque l'examen séparé de chaque critère ne permet pas
d'aboutir à un résultat clair quant à l'existence d'une accusation en matière pénale
(cf. Cour EDH arrêt Bendenoun c. France précité,
§ 47).
6.3.4 S'agissant
de mesures de confiscation portant atteinte aux droits de propriété de tiers, en l'absence
de toute menace de poursuites pénales contre ces derniers, la Cour EDH a jugé que ces mesures
n'équivalent pas à la détermination du bien-fondé d'une accusation en matière
pénale (cf. Cour EDH, [saisie d'un avion] arrêt Air Canada
c. Royaume-Uni du 5 mai 1995, Série A n° 316-A, p. 20, § 50 à 54, [confiscation
de pièces d'or] arrêt AGOSI c. Royaume-Uni du
24 octobre1986, Série A n° 108, p. 22, §§ 65-66).
6.4
6.4.1 Selon la défenderesse
1, la nature pénale ou non d'une mesure de confiscation dépend largement du fait de savoir
si cette mesure implique ou non l'imputation d'une infraction. En substance, elle estime que comme l'infraction
en amont n'est pas établie puisque ni Jean-Claude Duvalier ni son entourage n'ont été
condamnés, le système du renversement du fardeau de la preuve concernant l'origine illicite
des fonds de la LRAI porte atteinte au principe de la présomption d'innocence.
6.4.2
6.4.2.1
La LRAI n'est pas une loi pénale. Son objectif est d'apporter une solution aux difficultés
d'application de la loi sur l'entraide pénale internationale du 20 mars 1981 (EIMP, RS
351.1), dont les exigences apparaissent trop strictes et entrainent une prolongation des procédures
pour la récupération des avoirs des dictateurs déchus (cf. ATF 136 IV 4 consid. 7). Or,
les garanties de procédures découlant de l'art. 6 CEDH ne sont pas applicables aux procédures
d'entraide judiciaire, dont la nature est administrative et dont le but n'est pas d'examiner la culpabilité
des personnes en cause (ATF 136 IV 4 consid. 4.3, arrêt du Tribunal fédéral 2A.484/2004
du 19 janvier 2005 consid. 1.2; ATAF 2010/40 consid. 5.4.2). La décision d'exécuter une demande
d'entraide judiciaire ne statue pas sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale
ni sur une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil (Cour EDH arrêt
M. c. Suisse, no 11514/85 du 1er
décembre 1986 in: Jurisprudence des autorités administratives de
la Confédération [JAAC] 51.73). La LRAI peut donc être considérée comme une
loi administrative subsidiaire à une autre loi administrative (EIMP).
6.4.2.2 Dans
son message, le Conseil fédéral prend le soin de préciser à plusieurs reprises que
les mesures prévues par la LRAI sont de nature administrative: "Comme la mesure de confiscation
prévue par le projet de loi n'est pas une sanction pénale, il n'importe
pas que l'acte illicite commis lors de l'acquisition soit encore punissable au moment de
la confiscation", "Le troisième alinéa [de l'art 5 LRAI] rappelle le principe selon
lequel la prescription pénale n'empêche pas le prononcé de mesures administratives.
Dans ce sens, il serait donc également possible que la loi trouve à s'appliquer, en conjonction
avec l'art. 14, à un état de faits ayant débuté avant l'entrée en
vigueur de celle-ci" (FF 2010 2995, 3011 et 3019).
6.4.2.3 Dans un paragraphe
qu'il consacre à la LRAI, Nobel affirme: "Die Strafbarkeit der
unrechtmässigen Handlung im Einziehungszeitpunkt ist unerheblich, da der Massnahme administrativer
Charakter zukommt." (Peter Nobel, Schweizerisches Finanzmarktrecht und
internationale Standards, 3ème éd., Berne, 2010, p. 1115 ch. mar. 122).
6.4.2.4
Dans un arrêt du 12 décembre 2012, le Tribunal pénal fédéral répond
à un recourant qui se prévaut de la LRAI pour tirer argument de sa légitimation: "[...]
Zweitens bezieht sich das RuVG nicht auf Strafverfahren, sondern dient der verwaltungsrechtlichen Vorbereitung
(Art. 2 lit a RuVG) eines allenfalls einmal eintreffenden Rechtshilfeersuchens nach dem Bundesgesetz
über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (IRSG, SR 351.1) oder der verwaltungsrechtlichen
Einziehung nach Art. 5 RuVG" (arrêt du TPF BB.2012. 174-177 consid. 3.4).
6.4.2.5 Ainsi, selon
le premier critère de la jurisprudence Engel, la règle
peut être qualifiée, en droit interne, de nature administrative. Cette thèse est renforcée,
sans que cela soit déterminant, par les voies de droit qui donnent compétence au Tribunal administratif
fédéral de statuer, tant comme autorité de recours à l'encontre du blocage qu'en
qualité de première instance pour le prononcé de la confiscation.
6.4.3
6.4.3.1 S'agissant
du deuxième critère de la jurisprudence Engel qui se
rapporte à la nature même de l'acte incriminé, les mesures de confiscation requises par
le demandeur ne nécessitent pas la condamnation préalable de la PPE et/ou de son entourage.
Les personnes impliquées ne font pas l'objet d'une "accusation pénale" dans la mesure
où aucun reproche de cet ordre n'est formulé à leur égard. Contrairement à ce
que soutient la défenderesse 1, le mécanisme de présomption ne concerne pas la commission
d'une infraction à proprement parler, qui serait imputée par ce biais à la personne concernée,
mais vise la provenance illicite des fonds (dans le même sens: Alizée
Lecouturier, La "Lex Duvalier", in: Jusletter du 12 novembre 2012, RZ 100). La Cour
de céans doit uniquement rechercher si les biens à confisquer sont d'origine illicite -
laquelle peut-être présumée - mais elle ne s'interroge pas sur la culpabilité
de l'auteur. Cela est d'autant plus vrai pour les fonds appartenant à la défenderesse 1 laquelle
même s'il était reconnu un caractère pénal à la mesure confiscatoire, n'est
menacée d'aucune poursuite pénale, si bien que la présomption d'innocence n'entre pas
en jeu. En effet, la procédure de confiscation - dans le sens de la jurisprudence CEDH Agosi
précité - est alors menée contre un tiers. Or, le droit à être présumé
innocent ne vaut qu'en rapport avec l'infraction précise dont le prévenu est accusé (Cour
EDH, arrêt Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, du 5 juillet
2001, § 35). On peut donc se demander si la défenderesse 1 est habilitée à se prévaloir
de l'art. 6 par. 2 CEDH. De plus, selon le Tribunal fédéral, lorsque la mesure de confiscation
est menée indépendamment de la procédure pénale proprement dite, ou lorsqu'elle frappe
une personne qui n'est pas accusée, la présomption d'innocence n'est pas opposable (ATF 132
II 178 consid. 4.1).
6.4.3.2 Les mesures
de confiscation constituent sans aucun doute un instrument de lutte contre la criminalité. Contrairement
au Code pénal suisse qui distingue la confiscation de sécurité (art. 69 CP) de la confiscation
de compensation (art. 70 CP), la LRAI ne prévoit qu'une seule mesure dont l'objectif est multiple.
Son caractère répressif n'est certes pas totalement absent. En effet, la mainmise sur des valeurs
d'origine illicite vise à concrétiser l'adage selon lequel le crime ne doit pas payer. Toutefois,
la confiscation ne constitue pas une sanction personnelle mais une mesure réelle (in
rem) prononcée dans le cadre d'une procédure qui - ainsi qu'il a déjà
été dit - n'examine pas la culpabilité de l'auteur de l'infraction en amont. La
confiscation supprime l'avantage procuré par un enrichissement illégitime et s'inscrit dans
un processus qui a pour objectif le rétablissement d'une situation de droit par la restitution de
ces avoirs à la population qui en a été spoliée. Ainsi, la LRAI est moins destinée
à punir qu'à réparer.
6.4.3.3 Le type et
la gravité de la sanction constituent le troisième critère de la jurisprudence Engel
à analyser. En l'occurrence, il ne s'agit pas de sanction proprement dite puisque la règle
n'impute pas d'infraction. Il s'agit plutôt d'examiner les conséquences de la mesure incriminée.
Celle-ci prive les défenderesses de la propriété des avoirs jusque-là simplement
saisis. La sévérité des conséquences ne suffit toutefois pas à lui conférer
les caractéristiques de sanction pénale auxquelles elle ne peut donc être comparée.
6.5 Vu ce qui précède,
la Cour constate que la confiscation ne constitue pas une mesure dont le caractère pénal est
prépondérant et ne saurait ainsi être assimilée à une "accusation en matière
pénale" si bien que les garanties spécifiques en matière pénale (art. 6 par.
2 et art. 32 Cst.) ne peuvent pas être invoquées.
6.6
6.6.1 Il sied encore
de préciser pour être complet que si la confiscation prévue dans la LRAI devait tout de
même être qualifiée d'"accusation en matière pénale", les garanties
procédurales mises en place par l'art. 6 al. 2 LRAI pour renverser la présomption sont suffisantes
au regard de l'art. 6 CEDH.
6.6.2 En effet, la
Cour EDH considère que le droit pour une personne poursuivie au pénal d'être présumée
innocente se déduit non seulement de l'art. 6 par. 2 CEDH mais également de la notion générale
de procès équitable de l'art. 6 par. 1 CEDH. Ce droit oblige l'accusation à supporter
la charge de la preuve (Cour EDH, arrêt Phillips c. Royaume-Uni
précité, § 40). Il n'est toutefois pas absolu, car "tout système juridique
connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment pas
obstacle en principe, mais en matière pénale, elle oblige les Etats contractants à ne
pas dépasser à cet égard un certain seuil. [...] L'art. 6 par. 2 ne se désintéresse
donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives.
Il commande aux Etats de les enserrer dans les limites raisonnables prenant en compte la gravité
de l'enjeu et préservant les droits de la défense" (arrêt Salabiaku
c. France du 7 octobre 1988, série A, vol. 141, § 28, également cf. arrêt
Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A, vol.
243, § 32-33 et arrêt Phillips c. Royaume-Uni précité,
§ 40).
6.7 Or, en l'espèce,
la présomption légale n'a pas été utilisée pour déclarer les défendeurs
coupables d'une infraction mais pour établir l'origine illicite des avoirs à confisquer. En
outre, la présomption est appréciée par un tribunal dans le cadre d'une procédure
qui offre la possibilité aux parties de produire des preuves. Mais surtout, les défendeurs
à l'action en confiscation ont la faculté de renverser la présomption légale en démontrant,
sur le simple critère de la vraisemblance prépondérante, que les avoirs en question ont
été acquis de manière licite. Ainsi, quand bien même la confiscation tomberait dans
le domaine pénal de la CEDH, la manière dont la présomption a été appliquée
n'enfreint pas les règles de base régissant l'équité des procédures au sens
de l'art. 6 CEDH.
7.
Dans
un autre grief, la défenderesse 1 soutient que l'application de l'art. 14 LRAI à ses avoirs
viole l'interdiction de la rétroactivité que consacre l'art. 7 par. 1 CEDH, motif pris, en
substance, que la confiscation constituerait une nouvelle peine alors que l'état de fait était
complètement révolu une année avant l'entrée en vigueur de la LRAI.
7.1 L'art. 7 par.
1 CEDH stipule que:
"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui,
au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après
le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte
que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise".
Cette disposition consacre des principes qui ont caractère
de droits absolus, à savoir qui ne peuvent faire l'objet de dérogation: il ne peut y avoir
d'infraction pénale sans que le comportement délictueux ait été prévu comme
tel par une disposition de loi; il ne peut y avoir infliction d'une peine sans que celle-ci ait été
prévue par la loi pénale; il ne peut y avoir sanction et assujettissement à une peine
se rapportant à une action qui, au moment où elle a été commise, n'avait pas été
considérée comme punissable par la loi pénale (cf. Michele de Salvia,
Compendium de la CEDH: les principes directeurs de la jurisprudence relative à la Convention européenne
des droits de l'homme, vol. 1 Jurisprudence 1960 à 2002, Strasbourg 2002, p. 387).
7.2 L'art. 7 CEDH
impose la légalité des incriminations et des peines, ainsi que la non-rétroactivité
des dispositions d'incrimination. Après avoir longtemps limité l'application de cette disposition
aux infractions pénales, la Cour EDH a, en 1995 dans l'arrêt Welch,
étendu le champ de cette disposition à toutes les peines: "la notion de «peine»
contenue dans cette disposition possède, comme celles de «droits et obligations de caractère
civil» et d'«accusation en matière pénale» figurant à l'article
6 par. 1, une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par l'article 7,
la Cour doit demeurer libre d'aller au-delà des apparences et d'apprécier elle-même
si une mesure particulière s'analyse au fond en une «peine» au sens de cette clause"
(Cour EDH, arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995,
série A n° 307-A, § 27). Dans le même arrêt, la Cour EDH précise que le
libellé de l'art. 7 par. 1 CEDH, seconde phrase, indique que le point de départ de toute
appréciation de l'existence d'une peine consiste à déterminer si la mesure
en question est imposée à la suite d'une condamnation pour une "infraction"
(arrêt Welch c. Royaume-Uni précité § 28).
Pour ce faire, elle applique les trois critères dégagés dans sa jurisprudence Engel.
7.3 Dans le cas d'espèce,
l'examen de l'application de l'art. 6 par. 2 CEDH à l'aune de la jurisprudence Engel
a déjà démontré que l'imposition de la mesure de confiscation n'était pas tributaire
du prononcé préalable d'une condamnation pénale. Ainsi on ne se trouve pas dans le cadre
d'une "accusation en matière pénale", la confiscation n'ayant pas un caractère
punitif prépondérant quand bien même elle cause un préjudice important aux titulaires
des fonds concernés. L'art. 7 CEDH ne s'applique donc pas. Dans la jurisprudence EDH citée
par la défenderesse 1, les constellations étaient différentes puisque le juge prenait
en compte le degré de culpabilité de l'accusé pour fixer le montant de l'ordonnance de
confiscation, ce qui n'est pas prévu dans le cas particulier.
7.4 Quand bien même
on devrait retenir que la confiscation fondée sur la LRAI représentait malgré tout une
peine car prononcée dans un contexte "d'accusation en matière pénale", la rétroactivité
de celle-là ne serait pas établie. En effet, le but de l'art. 7 CEDH est que nul ne soit soumis
à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires (Cour EDH, arrêt Streletz,
Kessler et Krenz c. Allemagne, no 34044/96, 35532/97 et 44801/98, du 22 mars 2001, § 88).
Il s'agit donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu
aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l'acte punissable
et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Cour
EDH, arrêt Coëme et autres c. Belgique, no 32492/96,
32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, du 22 juin 2000, § 145). Or, la LRAI a pour effet de faire
renaître la possibilité de confisquer des avoirs qui ne l'étaient plus par l'effet d'une
prescription acquise au regard de l'EIMP. En aucun cas, elle réprime par une mesure inconnue de
la législation une action qui n'était pas répréhensible auparavant. Si les défenderesses
pouvaient effectivement s'attendre à pouvoir continuer à jouir de leurs biens, ce n'est que
par l'écoulement du temps qui leur a été favorable, et non parce que leurs actes n'encouraient
aucune sanction au moment de leur commission.
8.
La
défenderesse 1 se plaint également d'une violation de la séparation des pouvoirs au motif
que le Conseil fédéral a délibérément empêché que soit mise en oeuvre
une décision du Tribunal fédéral
8.1 Avant
d'être un principe, la séparation des pouvoirs est un modèle d'organisation étatique
qui règle le partage des compétences entre les organes législatif et exécutif et
garantit notamment l'indépendance des juges. Le modèle devient principe une fois concrétisé
dans l'ordre constitutionnel (Pierre Moor/Alexandre
Flückiger/Vincent Martenet, Droit administratif, vol. I, 3e éd.,
Berne 2012, ch. 3.1.1, p. 436). Le Tribunal fédéral le
considère comme un principe du droit constitutionnel fédéral non écrit qui résulte
de la répartition des tâches étatiques entre divers organes (JAAC 53.54; cf. aussi ATF
134 I 269 consid. 3.3.2). Ce principe ne confère pas au citoyen un droit de portée générale
à ce qu'aucun acte de l'Etat ne soit pris en violation des règles de compétence; il le
protège seulement contre une atteinte étatique à ses droits personnels qui résulterait
d'une procédure où les règles de compétence n'ont pas été respectées
(ATF 123 I 41 consid. 5a, ATF 122 I 90 consid. 2b, ATF 113 Ia 390 consid. 2b/dd).
8.2 En l'espèce,
le blocage basé initialement sur l'art. 184 al. 3 Cst. empêche en effet l'exécution d'un
jugement qui lève une saisie prononcée au titre de l'entraide judiciaire. Le Tribunal fédéral
a statué sur cette question en toute indépendance, sans intervention d'une autorité exécutive.
Ensuite, le Conseil fédéral a fondé sa décision sur un article constitutionnel qui
lui donne cette compétence en matière d'affaires étrangères, ceci en attendant que
le pouvoir législatif approuve une loi ad hoc, ce qui fut fait le 1er
octobre 2010. Cette manière de faire, si elle peut être discutable d'un point de vue politique,
ne saurait être constitutive d'une violation de la séparation des pouvoirs. Chaque organe a
usé de ses prérogatives, dans la limite de ce que la loi autorise.
9.
La
défenderesse 1 reproche également aux autorités un comportement contradictoire en violation
du principe de la bonne foi. Elle fait valoir en substance que les autorités fédérales
ont de manière répétée adopté des attitudes contradictoires en introduisant
des mesures temporaires de blocage sans cesse prorogées puis en refusant de se soumettre à
une décision du Tribunal fédéral.
9.1 Aux termes de
l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir conformément aux règles
de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire
ou abusif. De ce principe découle notamment, en vertu de l'art. 9 Cst., le droit de toute personne
à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'Etat (cf. ATF 137 I 69 consid. 5.2, ATF
136 I 254 consid. 5.2). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime
qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite
d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration
(cf. ATF 131 II 627 consid. 6.1).
9.2 Outre le fait
que ce reproche concerne plus le blocage que la confiscation, l'argumentation de la défenderesse
1 tombe à faux. Pour qu'il y ait contradiction, il faudrait tout d'abord qu'il s'agisse de la même
autorité (Moor/Flückiger/Martenet,
op. cit., ch. 6.4.2.3 p. 930 et les références citées), ce qui n'est pas le cas en l'espèce
les mesures de blocage ayant été prononcées par différentes autorités, sur des
bases légales différentes. De surcroît, le recourant n'a pas établi avoir pris des
dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir un préjudice, ce qui est également
une des conditions pour admettre une violation de l'interdiction de comportement contradictoire (cf.
ATF 137 I 69 consid. 2.5; Moor/Flückiger/Martenet,
op. cit., ch. 6.4.2.3 p. 930). Par conséquent, ce grief est également rejeté.
10.
S'agissant
du grief de la violation de la garantie de la propriété et de la proportionnalité, du
moment que la LRAI s'applique au cas d'espèce et que les conditions de la confiscation sont données,
il n'y a pas lieu de l'examiner. En effet, toute confiscation porte atteinte au droit de la propriété.
C'est même le but poursuivi. A l'appui de ses allégations, la défenderesse 1 soutient
notamment que la mesure ne serait pas proportionnelle au but poursuivi parce que ses avoirs avaient pour
origine la fortune personnelle de Simone Ovide Duvalier. On ne peut que lui rétorquer que l'art.
6 al. 2 LRAI lui offre la possibilité de démontrer avec une vraisemblance prépondérante
que cette fortune était d'origine licite, ce qu'elle n'a pas fait. Là encore, force est de
constater que ses reproches ne sont pas fondés.
11.
Au
vu de ce qui précède, compte tenu que les conditions posées par la loi sont satisfaites,
la Cour admet l'action en confiscation et ordonne la confiscation des valeurs patrimoniales suivantes:
- le compte no (...) auprès de la banque X._______,
dont la Fondation A._______ est titulaire, à charge de la banque X._______ de les transférer
à la Confédération suisse dans les 30 jours après l'entrée en force du présent
arrêt, sous commination de la peine prévue à l'art. 292 CP;
- le compte no (...) auprès de la banque X._______,
dont Jean-Claude Duvalier et/ou l'hoirie de feue Simone Ovide Duvalier sont titulaires, à charge
de la banque X._______ de les transférer à la Confédération suisse, sous commination
de la peine prévue à l'art. 292 CP;
- les bijoux (clips d'oreilles) appartenant à Michèle
Bennett Duvalier, en dépôt auprès de Y._______, à charge de Me Brosset de les transférer
à la Confédération suisse, sous commination de la peine prévue à l'art. 292
CP.
12.
12.1 A teneur de
l'art. 44 LTAF, lorsque le Tribunal administratif fédéral statue en première instance
dans une procédure régie par la PCF, l'attribution des frais et des dépens est réglée
par les art. 63 à 65 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure
administrative (PA, RS 172.021).
12.2 Selon l'art.
63 al. 1 PA, en règle générale, les frais de procédure sont mis à la charge
de la partie qui succombe. Les défendeurs, qui succombent, supporteront solidairement les frais
de justice, arrêtés à 12'000 francs, qu'ils verseront sur le compte du Tribunal une fois
le présent arrêt entré en force.
12.3 Compte tenu
de l'issue du litige, il n'est pas alloué de dépens (art. 7 al. 1 FITAF a
contrario).
13.
Le
présent arrêt peut être attaqué devant le Tribunal fédéral (art. 83 let.
a de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]
a contrario, voir aussi MCF LRAI; FF 2010 3008 et 3026). Pour être complet, il convient de mentionner
qu'aux termes de l'art. 71 PCF le jugement acquiert force de chose jugée dès qu'il est prononcé.
Toutefois, cette disposition ne concerne visiblement que le Tribunal fédéral et pas le Tribunal
de céans (cf. art. 1 PCF).
La présente décision peut être attaquée devant le Tribunal
fédéral, 1000 Lausanne 14, par la voie du recours en matière de droit public, dans
les trente jours qui suivent la notification (art. 82 ss, 90 ss et 100 de la loi fédérale
du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]). Le mémoire doit être
rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, les motifs et les moyens de preuve,
et être signé. La décision attaquée et les moyens de preuve doivent être joints
au mémoire, pour autant qu'ils soient en mains du recourant (art. 42 LTF).