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Cour III

C-1371/2010

 

 

 


Faits :

A.  

A.a En application de l'art. 18 de la loi sur l'entraide pénale internationale du 20 mars 1981 (EIMP, RS 351.1), l'Office fédéral de la police (ci-après: fedpol), service compétent à l'époque, a ordonné le 15 avril 1986 le blocage des avoirs en Suisse de Jean-Claude Duvalier, ancien Président de l'Etat haïtien, en exil en France depuis le 7 février 1986, et de son épouse.

A.b Le 12 juin 1986, l'Etat haïtien a adressé à la Suisse une demande d'entraide pénale visant Jean-Claude Duvalier, son épouse, leurs proches et leurs familiers.

A.c Après plusieurs ordonnances, recours et arrêts (pour le détail des faits cf. ATF 136 IV 4), seize ans plus tard, l'Office fédéral de la justice (ci-après: OFJ), qui avait repris l'affaire, a estimé le 15 mai 2002, en application de l'art. 2 EIMP, que les garanties reçues du ministre haïtien de la justice n'étaient pas suffisantes pour assurer aux personnes poursuivies un standard de protection minimale correspondant à celui offert par le droit des Etats démocratiques. L'OFJ précisait que la décision finale de l'octroi de l'entraide devait être prise par le juge d'instruction genevois. Il remarquait également dans sa décision que les griefs d'irrecevabilité soulevés par l'avocat de Jean-Claude Duvalier au motif que les infractions à la base de la demande d'entraide étaient frappées de prescription en droit suisse étaient réalisés mais qu'il revenait au juge de l'entraide, soit au juge d'instruction genevois, de trancher ce point.

B.  

B.a Le 14 juin 2002, se fondant sur la sauvegarde des intérêts de la Suisse, le Conseil fédéral a décidé de bloquer les avoirs de Jean-Claude Duvalier et de son entourage pour une période initiale de trois ans. Il chargeait également le Département des affaires étrangères (ci-après: le DFAE) d'assister les parties en vue de rechercher, dans un cadre approprié, une issue aussi satisfaisante que possible.

B.b Le 3 juin 2005, la mesure de blocage a été prorogée de 24 mois.

B.c Le 1er juin 2007, le Conseil fédéral a décidé de prolonger une nouvelle fois le blocage et le mandat de négociation du DFAE, pour trois mois supplémentaires. Les intéressés avaient été informés de cette mesure par une lettre datée du 4 juin 2007 du Vice-directeur de la Direction du droit international public (ci-après: DDIP) du DFAE. Ce courrier se fondait expressément sur l'art. 184 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst., RS 101) et évoquait également le séquestre d'un compte appartenant à la famille Duvalier obtenu le 29 mai 2007 par devant le Tribunal de première instance de Genève. De l'avis de la DDIP, les prétentions de tiers étaient non seulement de nature à prolonger le blocage des fonds revendiqués par la recourante mais encore susceptibles d'en diminuer la quotité disponible. Pour le surplus, le Vice-directeur de la DDIP invitait ses destinataires à reconsidérer l'opportunité d'une solution transactionnelle.

B.d Le Président de la République d'Haïti s'est adressé par courrier du 13 août 2007 à la Présidente de la Confédération lui demandant la reconduction du gel des avoirs Duvalier pour une période de 12 mois. A l'appui de sa demande, le Président arguait, en substance, de la ferme volonté de son Gouvernement dans cette affaire et du lancement prochain par les autorités judiciaires compétentes de son pays de procédures adéquates contre Jean-Claude Duvalier qui tiendraient compte des questions de la qualification des infractions et de la prescription.

B.e Le 22 août 2007, le Conseil fédéral a prolongé le blocage pour une nouvelle période de 12 mois.

C.  

C.a La Fondation A._______ (ci-après: la Fondation), de droit liechtensteinois, a été constituée le 22 décembre 1977. Son but est défini au Grundbuch- und Öffentlichkeitsregisteramt de la Principauté du Liechtenstein de la manière suivante: "Die Stiftung bezweckt die Verwaltung des Stiftungsvermögens sowie die Ausrichtung von Zuwendungen an Personen, die in einem Reglement (Beistatut) bezeichnet werden". Elle est gérée par le Dr B._______, unique membre du Conseil de fondation.

Elle avait été fondée par Simone Ovide Duvalier, mère de Jean-Claude Duvalier, décédée le 26 décembre 1997.

La Fondation est titulaire du compte n° (...) auprès d'une succursale genevoise de la banque X._______.

C.b Agissant le 21 septembre 2007 par l'intermédiaire de son mandataire, la Fondation a contesté la mesure de blocage du 22 août 2007 par devant le Tribunal administratif fédéral, lequel a déclaré le 14 mars 2008 le recours recevable en ce qui concerne la décision du DFAE et irrecevable contre l'ordonnance du Conseil fédéral (ATAF 2008/36).

D.  

D.a Le 28 janvier 2008, la juge d'instruction genevoise a définitivement déclaré irrecevable la demande d'entraide judiciaire formée par la République d'Haïti le 12 juin 1986, motif pris que l'Etat haïtien n'avait pas fourni un engagement suffisant au sens de l'art. 80p al. 3 EIMP et que les faits reprochés à Jean-Claude Duvalier et aux membres de sa famille étaient absolument prescrits. Les avoirs restaient bloqués jusqu'au 31 août 2008 en vertu de l'ordonnance du Conseil fédéral du 22 août 2007.

D.b Le 23 mai 2008, la République d'Haïti a présenté une demande de réexamen des précédentes décisions.

D.c Le 27 juin 2008, l'OFJ a ordonné une nouvelle mesure de blocage relevant que les faits poursuivis pouvaient relever en droit suisse de l'organisation criminelle (art. 260ter du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP, RS 311.0]) et invitant les détenteurs des comptes et valeurs à en prouver la provenance licite (cf. art. 72 CP).

D.d Par courrier chargé du 2 juillet 2008, le directeur de la DDIP a informé le Tribunal administratif fédéral de la levée par le Conseil fédéral de la mesure du blocage du 22 août 2007.

D.e La Fondation ayant retiré son recours par acte du 11 juillet 2008, le Tribunal administratif fédéral a procédé à sa radiation du rôle le 17 juillet 2008 (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-7589/2007).

E.  

E.a Par décision du 11 février 2009, l'OFJ a admis la demande d'entraide du 12 juin 1986 et ses compléments et a ordonné la remise à la République d'Haïti des avoirs détenus par la Fondation A._______, lesquels devaient être utilisés de manière transparente au bénéfice de la population, par le biais de projets humanitaires et sociaux. L'OFJ a considéré que la prescription devait s'examiner au seul regard du droit suisse et que la Fondation n'avait pas réussi à renverser la présomption de provenance criminelle des fonds.

E.b Par arrêt du 12 août 2009, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté le recours formé à l'encontre de la décision de l'OFJ par la Fondation. En substance, le TPF a admis la qualification d'organisation criminelle permettant le renversement de la preuve de l'origine délictueuse des fonds et, s'agissant de la prescription, il a considéré que le blocage s'était poursuivi sans interruption depuis avril 1986 et qu'en application de l'art. 33a de l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide internationale en matière pénale (OEIMP; RS 351.11), la durée de la saisie de valeurs n'était limitée que par la prescription selon le droit étranger, la prescription selon le droit suisse ne faisait pas obstacle à l'octroi de l'entraide (arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2009.94 du 12 août 2009).

E.c Par arrêt sur recours de la Fondation du 12 janvier 2010 rendu public le 3 février 2010, le Tribunal fédéral (TF) a infirmé la décision de l'OFJ du 11 février 2009 sous l'angle de la prescription. Tout en reconnaissant la qualification d'organisation criminelle, le TF a retenu que l'art. 33a OEIMP ne s'appliquait pas au cas d'espèce et que le point de départ de la prescription de 15 ans pour participation à une organisation criminelle courait dès la chute du régime Duvalier en février 1986 et qu'elle était intervenue en février 2001, soit avant la nouvelle demande d'entraide qui aurait dû être déclarée irrecevable.

F.  

F.a Le 3 février 2010, le Conseil fédéral a décidé du blocage des fonds Duvalier sur la base de l'art. 184 al. 3 Cst. au maximum jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la confiscation et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées et à la décision de confiscation prise sur la base de celle-ci ou jusqu'au rejet par le parlement du projet de loi.

F.b Le même jour, par recommandé et par télécopie, le DFAE agissant par l'entremise du directeur de la DDIP a informé la succursale genevoise de la banque X._______ et le mandataire de la Fondation de cette décision et du blocage de la relation bancaire en cause.

F.c Agissant le 4 mars 2010 par l'intermédiaire de son mandataire, la Fondation interjette recours par devant le Tribunal administratif fédéral à l'encontre tant de la décision du Conseil fédéral que de celle du DFAE du 3 février 2010, concluant principalement, sous suite d'une équitable indemnité de partie, à leur nullité respective, subsidiairement à leur mise à néant. Elle invoque la violation de l'art. 184 al. 3 Cst. dont l'application contreviendrait au principe de la séparation des pouvoirs, des art. 26 et 36 Cst. ainsi que 5 et 9 Cst., soit la garantie de propriété en relation avec le principe de la proportionnalité.

F.d Par ordonnance du 18 mars 2010, le Tribunal administratif fédéral invite le mandataire de la recourante à régulariser sa procuration et à s'acquitter d'une avance sur les frais de procédure présumés, ce qui fut fait dans le délai imparti. Les autorités intimées étaient invitées à déposer leur réponse et à produire une copie certifiée conforme de la décision du 3 février 2010 du Conseil fédéral jusqu'au 30 avril 2010.

F.e Par courrier du 27 avril 2010, le DFAE informe le Tribunal administratif fédéral qu'il est habilité à représenter le Conseil fédéral dans la présente affaire, produit une attestation authentifiée de la décision du 3 février 2010.

F.f Dans leur réponse du 21 mai 2010, déposée dans le délai prolongé, les autorités intimées proposent principalement de déclarer irrecevable le recours en tant qu'il est dirigé contre la décision du Conseil fédéral du 3 février 2010 et de rejeter celui à l'encontre de la décision du même jour du DFAE. Sur le fond, elles estiment avoir respecté l'art. 184 al. 3 Cst. et que le blocage est justifié par un intérêt public et qu'il respecte la proportionnalité.

F.g Par ordonnance du 27 mai 2010, le Tribunal administratif fédéral transmet à la recourante copie de la réponse des autorités intimées et clôt l'échange d'écriture.

G.  

G.a Le 1er février 2011, est entrée en vigueur la loi fédérale du 1er octobre 2010 sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI; RS 196.1).

G.b Par ordonnance du 3 février 2011, le Tribunal administratif fédéral offre la possibilité aux parties de compléter leur détermination et/ou de modifier leurs conclusions eu égard à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

G.c Dans sa prise de position du 4 mars 2011, la recourante affirme que l'entrée en vigueur de la LRAI n'est pas de nature à rendre sans objet son recours qui a pour objet la conformité de la mesure de blocage avec l'art. 184 al. 3 Cst. Selon elle, quand bien même il faudrait considérer que le blocage fondé sur l'art. 184 al. 3 Cst. est remplacé ex lege par un blocage fondé sur la LRAI - ce qu'elle conteste - elle dispose d'un intérêt juridiquement protégé à ce que la question de principe de la portée de l'art. 184 al. 3 Cst. et de son utilisation extensive par le Conseil fédéral soit tranchée même si l'intérêt actuel fait défaut puisqu'une telle contestation est susceptible de se reproduire en tout temps. Au demeurant, la recourante estime que la LRAI n'est pas applicable au cas d'espèce.

G.d Par courrier du 7 mars 2011, le DFAE explique que l'art. 14 al. 1 LRAI a pour effet de bloquer les avoirs que le Conseil fédéral avait gelé par décision du 3 février 2010 et que dans ces circonstances l'intérêt actuel et direct de la recourante à la poursuite de la procédure n'est plus établi. Le DFAE relève encore que le Département fédéral des finances a été chargé d'ouvrir une action en confiscation des valeurs patrimoniales de Duvalier et de son entourage.

G.e Par ordonnance du 18 mars 2011, le Tribunal administratif fédéral porte à la connaissance des parties leur écriture respective et clôt l'échange d'écriture.

G.f Le 30 mars 2011, la recourante intervient afin d'informer qu'elle n'a pas connaissance d'une action en confiscation. Son courrier est transmis au DFAE pour information par ordonnance du 6 avril 2011.

H. Le 29 avril 2011, le Département fédéral des finances (DFF) dépose auprès du Tribunal administratif fédéral une action en confiscation, laquelle fait l'objet d'une procédure séparée (cf. cause C-2528/2011).

Le détail des arguments développés par les parties à l'appui de leur position ainsi que le détail de certains faits sont repris dans les considérants en droit ci-après, dans la mesure utile à la résolution du présent litige.


Droit :

1.  

1.1 Le Tribunal administratif fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATAF 2007/6 consid. 1 p. 45).

1.2  

1.2.1 En vertu de l'art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal administratif connaît des recours contre les décisions au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA, RS 172.021), prises par les autorités mentionnées à l'art. 33 LTAF et pour autant qu'il n'existe pas de motif d'exclusion selon l'art. 32 LTAF.

1.2.2 Le recours, interjeté le 4 mars 2010, est dirigé à l'encontre de la mesure de blocage du Conseil fédéral basée sur l'art. 184 al. 3 Cst. et contre le courrier du DFAE daté du même jour communiquant notamment à la recourante dite mesure.

Le courrier du DFAE doit être assimilé à une décision au sens de l'art. 5 PA et, étant donné que ce département figure parmi les autorités mentionnées à l'art. 33 let. d LTAF, cette décision peut être attaquée devant le Tribunal de céans.

Le recours est en revanche irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la mesure décidée par le Conseil fédéral. Cette décision doit en effet être qualifiée d'ordonnance contre laquelle un recours n'est pas admissible, d'autant plus que les parties ont la possibilité d'attaquer la décision d'exécution du département. Pour le surplus, il est renvoyé à l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 14 mars 2008 publié dans ATAF 2008/36 consid. 11-13.

Il est vrai qu'aux termes de l'art. 33 let. b ch. 3 LTAF, le recours est recevable même contre les décisions du Conseil fédéral en matière de blocage de valeurs patrimoniales fondé sur la loi fédérale du 1er octobre 2010 sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI, RS 196.1). Cette loi, entrée en vigueur le 1er février 2011, concerne toutefois les blocages ordonnés sur la base de la nouvelle loi. Elle ne saurait donc pas ouvrir une voie de droit contre une décision rendue sous l'ancien droit (pour le droit applicable, voir ci-dessous consid. 2.2).

1.3 En tant qu'elle est titulaire du compte bancaire bloqué par la mesure litigieuse, la recourante est directement touchée par la décision du DFAE du 3 février 2010 de sorte qu'elle a en soi un intérêt digne de protection à ce que celle-ci soit annulée ou modifiée (art. 48 al. 1 PA).

1.4 Pour le surplus, la procuration jointe au dossier a été signée par une personne disposant de pouvoirs de représentation suffisants et le recours a été introduit dans la forme et le délai prescrits (art. 50 et art. 52 PA), si bien qu'il est en principe recevable en tant qu'il concerne la décision du DFAE du 3 février 2010.

2.  

2.1 La décision du DFAE attaquée a été rendue sous l'ancien droit, à savoir avant l'entrée en vigueur de la LRAI.

Selon la doctrine et la jurisprudence, en l'absence d'une disposition légale transitoire, la légalité d'un acte administratif doit en principe être examinée selon le droit en vigueur au moment où il a été édicté et un changement de loi intervenu au cours d'une procédure de recours devant un tribunal administratif n'a donc pas à être pris en considération. Un tel principe souffre une exception lorsqu'une application immédiate du nouveau droit s'impose pour des motifs impératifs, notamment lorsque les nouvelles dispositions ont été adoptées pour des raisons d'ordre public ou pour la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (ATF 129 II 497 consid. 5.3.2 et les réf. citées).

2.2 En l'espèce, les conditions pour une application immédiate de la LRAI sont données. En effet, la question de savoir si une mesure est nécessaire à la sauvegarde des intérêts de la Suisse dans ses relations avec l'étranger renferme une composante politique. Il s'agit ici de préserver la sécurité et l'intégrité de la place financière helvétique afin qu'elle ne soit pas perçue comme un refuge pour les fortunes d'origine criminelle. Dans son message du 28 avril 2010 relatif à la LRAI (FF 2010 2995, spéc. 3027 [ci-après: MCF LRAI], le Conseil fédéral expose que "Le projet de loi est né des difficultés rencontrées par le Conseil fédéral pour clore les cas d'entraide judiciaire avec des «Etats défaillants». L'art. 2 formalise dans une loi fédérale la pratique du Conseil fédéral fondée sur l'art. 184, al. 3, Cst. en matière de blocage. Par conséquent, cette loi a vocation à donner une issue aux cas de blocage par le Conseil fédéral fondés sur l'art. 184, al. 3, Cst. qui, par hypothèse, seraient encore pendants au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi". De surcroît, la volonté que la LRAI s'applique aux valeurs appartenant à la recourant résulte tant du message que des débats parlementaires (notamment: MCF LRAI FF 2010 2995, spéc. 3011; BO 2010 E 698, BO 2010 N 1180, 1183, 1185, 1191). Compte tenu de ces intérêts publics prépondérants, la LRAI s'applique donc à la présente cause.

2.3 Pour être complet, on relèvera qu'au 1er février 2011, soit au moment de l'entrée en vigueur de la LRAI, le gel d'avoirs et de ressources économiques institué sur la base de l'art. 184 al. 3 Cst. concernait les comptes et valeurs et objets de Jean-Claude Duvalier et son entourage (mesure du 3 février 2010), de certaines personnes originaires de la Tunisie (ordonnance du 19 janvier 2011, RS 946.231.175.8) et de la Côte d'Ivoire (ordonnance du 19 janvier 2011, RS 946.231.128.9). Les mesures à l'encontre de certaines personnes originaires de la République arabe d'Égypte et ou celles à l'encontre de la Libye sur ce même fondement sont ultérieures à l'entrée en vigueur de la LRAI (2 février 2011 pour l'Egypte [RS 946.231.132.1] et 21 février 2011 pour la Libye, remplacé le 30 mars 2011 par une ordonnance fondée sur la loi sur les embargos [LEmb, RS 946.231]; RS 946.231.149.82). Toutefois, seuls les blocages des fonds de la recourante et de ceux dans le pouvoir de disposition d'autres membres du clan Duvalier étaient dictés par le motif qu'une demande d'entraide pénale internationale n'avait pas abouti, ainsi que l'exige l'art. 14 al. 1 LRAI. En effet, la LRAI est une solution subsidiaire à l'EIMP et ne s'applique que lorsqu'une demande d'entraide judiciaire internationale en matière pénale ne peut aboutir en Suisse en raison de la situation de défaillance au sein de l'Etat requérant dans lequel la personne politiquement exposée (PPE) exerce ou a exercé sa fonction publique (cf. art. 1 LRAI).

3.  

3.1 L'art. 14 LRAI figure dans la section 6 de la loi, dans les dispositions finales, sous le titre marginal "Dispositions transitoires" et a la teneur suivante: "Les valeurs patrimoniales qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont bloquées par le Conseil fédéral sur la base de l'art. 184, al. 3, de la Constitution parce que la demande d'entraide pénale internationale n'a pas abouti restent bloquées jusqu'à décision entrée en force sur leur confiscation conformément à la présente loi (al. 1). L'al. 2 prévoit que "le blocage est caduc si une action en confiscation n'est pas ouverte dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la présente loi". En l'espèce, le 29 avril 2011, le DFF a déposé auprès du Tribunal administratif fédéral une action en confiscation (cf. cause C-2528/2011). Le blocage ordonné le 3 février 2010 continue dès lors de déployer ses effets même après l'entrée en vigueur de la LRAI sur la base de l'art. 14 al. 1 LRAI.

3.2 L'art. 14 LRAI, qui attache des conséquences à des situations antérieures à sa mise en force, n'a pas prêté à discussion lors des débats devant le Conseil des Etats, premier Conseil à s'être penché sur le projet (cf. BO 2010 E 702), ni devant le Conseil national (BO 2010 N 1198), en dehors de la position de principe du député Nidegger qui refusait l'entrée en matière au nom d'une minorité de la Commission, pour différents motifs notamment du fait que "la non-rétroactivité était battue en brèche par des mesures transitoires [...]" (BO 2010 N 1181).

En revanche, cette disposition a suscité de nombreuses critiques dans la doctrine, principalement en lien avec les articles de la LRAI sur la confiscation, mesure considérée par certains comme une peine et qui bénéficierait de ce fait des garanties découlant du principe de la légalité et donc de l'interdiction de la rétroactivité. L'effet rétroactif de l'art. 14 al. 1 LRAI contreviendrait ainsi à l'art. 7 CEDH (cf. Ursula Cassani, Les avoirs mal acquis, avant et après la chute du "potentat", in: Revue suisse de droit international et de droit européen [RSDIE] 2010 p. 465, spéc. 460-479; Etienne Grisel, Vers une loi fédérale sur la "restitution des avoirs illicites", in: Sandrine Giroud/Alvaro Borghi (éd.), Etat de droit et confiscation internationale, Genève/Lugano/Bruxelles 2010, p. 209 ss; Bernard Bertossa, La restitution des valeurs issues de la corruption, in: Ursula Cassani/Anne Héritier Lachat [dir.], Lutte contre la corruption internationale The never ending story, Zurich/Bâle/Genève 2011, p. 137 note 7; Alizée Lecouturier, La "Lex Duvalier", in: Jusletter 12 novembre 2012, Rz 115 ss; Marnie Dannacher, Diktatorengelder in der Schweiz, Bâle 2012, p. 157-160). Cette question de la compatibilité de l'art. 14 LRAI avec l'art. 7 CEDH peut rester ouverte au stade du blocage, lequel ne revêt aucun caractère pénal, et sera examinée dans la procédure en confiscation laquelle fait l'objet d'une procédure séparée (C-2528/2011).

3.3  

3.3.1 S'agissant des griefs concernant l'interdiction de la rétroactivité soulevés par la recourante, il convient de relever ce qui suit, étant entendu qu'à teneur de l'art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités (y compris le Tribunal administratif fédéral, cf. ATAF 2008/48 consid. 5.3) sont de toute façon tenus d'appliquer les lois fédérales.

3.3.2 L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur. En effet, le droit intertemporel prescrit que les règles applicables sont, en principe, celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 137 V 105 consid. 5.3.1, ATF 136 V 24 consid. 4.3, André Moser/Michael Beusch/Lorenz Kneubühler, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, Bâle 2008, p. 91 n° 2.202; Pierre Moor/Alexandre Flückiger/Vincent Martenet, Droit administratif: les fondements généraux, vol. I, 3ème éd., Berne 2012, p. 184). En revanche, si les faits ayant pris naissance sous l'empire de l'ancien droit, déploient encore des effets sous le nouveau droit, on parle de rétroactivité improprement dite, laquelle est généralement admise, sous réserve des droits acquis (cf. ATF 137 II 371 consid. 4.2, ATF 122 V 405 consid. 3b; ATAF 2009/3 consid. 3.2).

3.3.3 Dans le cas d'espèce, au moment de l'entrée en vigueur de la LRAI, les fonds litigieux étaient déjà bloqués en vertu d'une mesure du Conseil fédéral basée sur l'art. 184 al. 3 Cst. Ce blocage était valable en tout cas jusqu'à l'entrée en vigueur de la LRAI et, par le biais de l'art. 14 LRAI, même après le 1er février 2011. La situation n'était donc pas complètement révolue au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Il s'agit par conséquent d'un cas de rétroactivité improprement dite, laquelle est admise. Cette solution se justifie d'autant plus que l'art. 14 LRAI a une validité limitée dans le temps: d'une part, il suppose qu'une action en confiscation soit intentée dans un délai d'un an, d'autre part, il indique que les avoirs restent bloqués jusqu'à décision sur l'action en confiscation.

4.  

4.1 L'art. 14 LRAI étant applicable au cas d'espèce, il reste à examiner si le blocage ordonné par le DFAE le 3 février 2010 était conforme aux dispositions légales en vigueur au moment de la décision attaquée, à savoir l'art. 184 al. 3 Cst. En effet, la décision de blocage peut continuer de déployer ses effets après l'entrée en vigueur de la LRAI seulement si elle était conforme à la disposition constitutionnelle.

4.2 Il est admis que l'art. 184 al. 3 Cst. permet un gel des avoirs équivalant à un séquestre sans que cela ne constitue en principe une restriction grave à la propriété garantie par l'art. 26 Cst. (cf. ATF 130 I 360 consid. 1.2 et les références citées, arrêt du Tribunal fédéral 1P. 694/2005 du 10 janvier 2006 consid. 2.2 et la référence citée), une mesure de blocage prise sur cette base n'est toutefois que provisoire; cette disposition ne pouvant directement servir à une confiscation et à une restitution des fonds gelés (cf. Sandrine Giroud-Roth/Laurent Moreillon, Restitution spontanée des fonds bloqués à des Etats défaillants, Pratique juridique actuelle [PJA] 3/2009 p. 283).

4.3 In casu, eu égard au fait que la procédure d'entraide avait échoué, le droit en vigueur au moment du blocage constitutionnel ne permettait plus ni de confisquer ni de restituer les fonds gelés. Or, une saisie ne peut se justifier que tant que subsiste une probabilité de confiscation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1S. 33/2005 du 5 décembre 2005 consid. 2.1, 1P. 405/1993 du 8 novembre 1995 consid. 3 paru à La Semaine judiciaire [SJ] 1994 I 102). Le Tribunal fédéral a déjà observé que les mesures prises sur la base de l'art. 184 al. 3 Cst. sont souvent "praeter legem" et se substituent en quelque sorte à des lois qui n'existent justement pas (ATF 131 III 652 consid. 2; cf. également Giovanni Biaggini, Entwicklungen und Spannungen im Verfassungsrecht Versuch einer Standortbestimmung zehn Jahre nach Inkrafttreten der Bundesverfassung vom 18. April 1999, Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht [ZBl] 1/2010 p.12). Mais le recours à l'art. 184 al. 3 Cst. ne peut être qu'extraordinaire et ne doit pas devenir la règle à chaque fois que les autorités se trouvent dans une impasse, pour tenter de gagner du temps. Cela reviendrait à leur octroyer un pouvoir discrétionnaire ce que les principes de l'Etat de droit réprouvent. Ainsi, si cette manière de faire, qui consiste à prolonger artificiellement un état de fait afin de le soumettre à une loi qui n'existe pas encore en usant extensivement de l'art. 184 al. 3 Cst., peut soulever des doutes, il n'en reste pas moins qu'elle peut être admise en l'espèce compte tenu de la latitude de l'autorité inférieure. En outre, on ne peut pas passer sous silence la volonté claire du législateur de soumettre la présente affaire à la LRAI et de garder, à tout le moins provisoirement, les fonds de la recourante bloqués jusqu'à décision sur l'action en confiscation par le biais de l'art. 14 LRAI.

5.  

5.1 Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être rejeté et la décision attaquée du DFAE confirmée. Le recours est en revanche irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision du Conseil fédéral de la même date (cf. consid. 1.2.2 ci-dessus),

5.2 Selon l'art. 63 al. 1 PA, en règle générale, les frais de procédure sont mis à la charge de la partie qui succombe. En l'espèce, la recourante succombe entièrement, si bien qu'il se justifie de lui faire supporter les frais de procédure, d'un montant de 12'000 francs. Ce montant est compensé par l'avance de frais déjà versée de 12'000 francs.

5.3 En vertu de l'art. 64 al. 1 PA, l'autorité de recours peut allouer, d'office ou sur requête, à la partie ayant entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables et relativement élevés qui lui sont occasionnés. Au vu de ce qui précède, la recourante n'a pas droit à des dépens.

La présente décision peut être attaquée devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par la voie du recours en matière de droit public, dans les trente jours qui suivent la notification (art. 82 ss, 90 ss et 100 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]). Le mémoire doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, les motifs et les moyens de preuve, et être signé. La décision attaquée et les moyens de preuve doivent être joints au mémoire, pour autant qu'ils soient en mains du recourant (art. 42 LTF).

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