Extrait
des considérants:
3.
3.1
La politique des autorités suisses en matière de visa joue un rôle très important
dans la prévention de l'immigration clandestine (cf. à ce sujet le Message du 8 mars
2002 concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469, 3493). Aussi, elles ne peuvent accueillir
tous les étrangers qui désirent venir dans ce pays, que ce soit pour des séjours
de courte ou de longue durée, et peuvent donc légitimement appliquer une politique restrictive
d'admission (ATF 135 I 143 consid. 2.2; voir également arrêt du TAF
F-7224/2016
du 10 octobre 2017 consid. 3).
La législation suisse sur les étrangers ne garantit aucun droit ni quant à l'entrée
en Suisse, ni quant à l'octroi d'un visa. Comme tous les autres Etats, la Suisse n'est en principe
pas tenue d'autoriser l'entrée de ressortissants étrangers sur son territoire. Sous réserve
des obligations découlant du droit international, il s'agit d'une décision autonome (cf. FF
2002 3469, 3531, ad art. 3; voir également ATF 135 II 1 consid. 1.1, concernant une autorisation
de séjour; ATAF 2014/1 consid. 4.1.1 et 2009/27 consid. 3).
La réglementation Schengen reprise par la Suisse dans le cadre de la conclusion des Accords
d'association à Schengen limite toutefois les prérogatives des Etats parties à ces
accords, dans le sens où cette réglementation, d'une part, prévoit des conditions
uniformes pour l'entrée dans l'Espace Schengen et la délivrance des visas y relatifs
et, d'autre part, oblige les Etats parties à refuser l'entrée et l'octroi du visa requis si
les conditions prescrites ne sont pas remplies. En outre, lorsque l'autorité compétente pour
se prononcer sur la demande de visa parvient à la conclusion que toutes les conditions auxquelles
est subordonnée l'obtention d'un visa d'entrée sont réunies et qu'il n'existe aucun
motif de refus, le visa doit en principe être délivré au requérant. Il reste
que, dans le cadre de cet examen, ladite autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation,
d'autant que la réglementation Schengen ne confère pas - à l'image de la législation
suisse - de droit à l'entrée dans l'Espace Schengen, ni de droit à l'octroi
d'un visa (ATAF 2014/1 consid. 4.1.1 et 4.1.5; 2011/48 consid. 4.1).
3.2
Les dispositions sur la procédure en matière de visas ainsi que sur l'entrée en
Suisse et la sortie de ce pays ne s'appliquent que dans la mesure où les Accords d'association à
Schengen, qui sont mentionnés à l'annexe 1 ch. 1 LEtr (RS 142.20), ne contiennent pas
de dispositions divergentes (art. 2 al. 4 et 5 LEtr).
3.3
L'ancienne ordonnance du 22 octobre 2008 sur l'entrée et l'octroi de visas (aOEV, RO
2008 5441) a été remaniée et remplacée par l'ordonnance du 15 août
2018 sur l'entrée et l'octroi de visas (OEV, RS 142.204), entrée en vigueur le 15 septembre
2018. L'art. 70 de cette nouvelle ordonnance prévoit que le nouveau droit s'applique
aux procédures pendantes à la date de son entrée en vigueur. C'est ainsi ce nouveau texte
légal qui est applicable au cas d'espèce (arrêt du TAF F-190/2017 du 9 octobre
2018 consid. 4.1).
3.4
S'agissant des conditions d'entrée en Suisse pour un séjour n'excédant pas
90 jours sur toute période de 180 jours, l'art. 3 al. 1 OEV, dont la teneur
correspond à l'art. 2 al. 1 aOEV, renvoie à l'art. 6 du Règlement (UE)
no 2016/399 du Parlement européen
et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement
des frontières par les personnes (Code frontières Schengen, JO L 77/1 du 23.03.2016; modifié
par le Règlement (UE) no 2017/458
du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 modifiant le règlement [UE] no 2016/399
en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes
aux frontières extérieures, JO L 74/1 du 18.03.2017). Les conditions d'entrée ainsi prévues
correspondent, pour l'essentiel, à celles posées par l'art. 5 LEtr. Aussi, la pratique
et la jurisprudence relatives à l'art. 5 LEtr, notamment celles concernant la garantie
de sortie prévue par l'art. 5 al. 2 LEtr, peuvent-elles être reprises in
casu (sur les détails de cette problématique, cf. ATAF 2009/27 consid. 5.2 et 5.3;
voir également arrêt F-190/2017 consid. 4.3 et 8.3). Cette interprétation est
d'ailleurs corroborée par le Règlement (CE) no 810/2009
du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire
des visas (Code des visas, JO L 243/1 du 15.09.2009), aux termes duquel il appartient au demandeur de
visa de fournir des informations permettant d'apprécier sa volonté de quitter le territoire
des Etats membres avant l'expiration du visa demandé (cf. art. 14 par. 1 let. d Code
des visas) et une attention particulière est accordée à cette volonté (cf. art. 21
par. 1 Code des visas).
3.5
Si les conditions pour l'octroi d'un visa uniforme pour l'Espace Schengen ne sont pas remplies,
un Etat partie peut accorder l'entrée sur son territoire pour un court séjour pour des motifs
humanitaires, pour sauvegarder des intérêts nationaux ou en raison d'obligations internationales
(visa à validité territoriale limitée; cf. art. 2 let. d ch. 2, art. 3
al. 4 et al. 5, art. 11 let. b OEV, dont la teneur correspond à l'art. 2
al. 4 et à l'art. 12 al. 4 aOEV; art. 32 par. 1 en relation avec l'art. 25
par. 1 let. a et par. 2 Code des visas et art. 6 par. 5 let. c Code frontières
Schengen).
Dans un arrêt rendu le 7 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne
(CJUE) a toutefois précisé qu'une demande de visa à validité territoriale limitée,
introduite par un ressortissant d'un pays tiers pour raisons humanitaires, sur la base de l'art. 25
Code des visas, auprès de la représentation de l'Etat membre de destination, située
sur le territoire d'un pays tiers, dans l'intention d'introduire, dès son arrivée dans cet
Etat membre, une demande de protection internationale et, par suite, de séjourner dans ledit Etat
membre plus de 90 jours sur une période de 180 jours, ne relevait pas de l'application
dudit code, mais en l'état actuel du droit de l'Union, du seul droit national (arrêt de la
CJUE du 7 mars 2017 C-638/16, X et X contre Etat belge, publié au Recueil numérique [Recueil
général] sur < https://curia.europa.eu >).
Par arrêt F-7298/2016 du 19 juin 2017, le Tribunal administratif fédéral
a pris acte de l'arrêt précité de la CJUE. Il a relevé que la pratique développée
par le législateur suisse pour délivrer des visas humanitaires ne pouvait plus s'appuyer sur
la notion retenue à l'art. 2 al. 4 aOEV, en ce sens qu'elle renvoyait à la notion
de visa à validité territoriale limitée telle que définie à l'art. 25 par. 1
Code des visas. Dans la mesure où le législateur suisse avait expressément prévu
un visa humanitaire pour les personnes exposées à une menace sérieuse et que la CJUE avait
conclu qu'il appartenait à chaque Etat de déterminer sur la base de son droit national les
critères d'octroi d'un tel visa, il y avait néanmoins lieu de retenir que la pratique pour
l'octroi de visas humanitaires devait pouvoir continuer de s'appliquer, jusqu'à ce que le législateur
suisse comblât la lacune induite par l'interprétation donnée par la CJUE à
l'art. 25 par. 1 Code des visas (arrêt
F-7298/2016 consid. 4.3).
3.6
Dans le cadre de la révision de l'OEV du 15 août 2018, le Conseil fédéral
a introduit un nouvel art. 4 al. 2 OEV réglant les conditions d'octroi d'un visa humanitaire
à un étranger déposant auprès d'une représentation suisse une demande d'entrée
en Suisse, dont la teneur est la suivante:
Dans des cas dûment justifiés, un étranger qui ne remplit pas les conditions
de l'al. 1 peut être autorisé pour des motifs humanitaires à entrer en Suisse en
vue d'un long séjour. C'est le cas notamment lorsque sa vie ou son intégrité physique
est directement, sérieusement et concrètement menacée dans son pays de provenance.
3.6.1
Au regard des principes applicables en matière de délégation législative,
l'art. 5 LEtr, spécifiquement son al. 4, aux termes duquel le Conseil fédéral
désigne les pièces de légitimation reconnues pour le passage de la frontière
(cf. pour une version antérieure plus détaillée de cette disposition, mentionnant les
visas: RO 2007 5437, 5439), constitue une clause de délégation dont la densité normative
est suffisante pour permettre au Conseil fédéral d'édicter cette disposition réglementaire
de substitution, contenant des normes primaires (cf. art. 164 al. 2 Cst.; ATF 103 IV
192 consid. 2a; arrêt du TF 2C_744/2014 du 23 mars 2016 consid. 7.1).
Conformément à l'art. 4 al. 2 OEV, le visa octroyé n'est dorénavant
plus un visa de court séjour comme sous l'empire de l'art. 2 al. 4 aOEV, mais un visa
de long séjour (visa national D). En revanche, le champ d'application, les critères matériels
pour l'octroi du visa et les compétences demeurent inchangés. En effet, si le mot " notamment "
suggère que d'autres critères que le risque de menace concrète et sérieuse pour la
vie ou l'intégrité physique du requérant sont susceptibles de justifier l'octroi
d'un visa humanitaire, tant l'expression " dans des cas dûment justifiés "
(in begründeten Fällen; [i]n casi motivati) que
les versions germano- et italophones plus pertinentes du mot " notamment "
précité (insbesondere; in particolare) indiquent que
cet octroi doit être conditionné à des critères très restrictifs et à une
motivation spécifique au cas par cas. Il reste per-
mis, en conséquence et
mutatis mutandis, de se référer à la jurisprudence ayant prévalu sous le régime
de l'aOEV (voir également Département fédéral de justice et police, Rapport explicatif
relatif à la révision totale de l'ordonnance sur l'entrée et l'octroi de visas [OEV],
SEM [éd.], 2018,
p. 4-7 [ci-après: Rapport explicatif OEV] < https://www.sem.admin.ch/
dam/data/sem/aktuell/gesetzgebung/vo-eu-grenz-kuestenwache/erlaeuter
ungen-vev-f.pdf >,
consulté en octobre 2018).
3.6.2
Il est vrai que la terminologie choisie par le nouvel art. 4 al. 2 OEV en vue d'expliciter
sa ratio legis, à savoir " pour des motifs humanitaires " (aus
humanitären Gründen; per motivi umanitari), peut prêter à confusion à
l'aune des " raisons humanitaires " ou " motifs humanitaires "
justifiant l'octroi d'un visa à validité territoriale limitée en vertu de l'art. 25
par. 1 let. a Code des visas et de l'art. 6 par. 5 let. a et c Code frontières
Schengen (cf. aussi art. 3 al. 4 OEV: " pour des motifs humanitaires, pour sauvegarder
des intérêts nationaux ou en raison d'obligations internationales ").
Or, il y a lieu de soigneusement distinguer ces différentes bases normatives. En effet,
l'octroi d'un visa au sens des art. 25 par. 1 let. a Code des visas, art. 6 par. 5
let. a et c Code frontières Schengen et art. 3 al. 4 OEV s'inscrit dans le cadre
des visas de court séjour n'excédant pas 90 jours
sur toute période de 180 jours autorisés par le droit de Schengen (consid. 3.5);
dans ce contexte, l'entrée en Suisse peut être autorisée, par exemple, en cas de maladie
grave ou de décès d'un parent ou d'une personne proche (Rapport explicatif OEV, p. 6;
cf. pour une affaire concernant ce type de visa de court séjour, actuellement pendante devant la
Cour européenne des droits de l'Homme [Cour EDH], M. N. et autres c. Belgique, 3599/18, introduite
le 10 janvier 2018).
En revanche, les " motifs humanitaires " au sens de l'art. 4 al. 2
OEV débouchent sur la délivrance d'un visa de long
séjour (visa national D), à l'instar des visas qui prévalaient sous l'empire de l'art. 2
al. 3 aOEV, et qui ont été précisés par la jurisprudence y relative. Il s'agit
là de visas qui échappent entièrement au droit de Schengen. Par ailleurs, les " motifs
humanitaires " qui sont visés dans ce cadre restrictif sont remplis, en particulier,
lorsque l'intéressé a l'intention d'introduire, dès son arrivée en Suisse, une demande
de protection internationale (arrêt C-638/16; voir aussi Rapport explicatif OEV, p. 6
ad art. 4 al. 2).
3.6.3
A l'aune de ce qui précède, un visa (national) humanitaire au sens de l'art. 4
al. 2 OEV peut, partant, être octroyé si, dans un cas d'espèce, il est manifeste
que la vie ou l'intégrité physique d'une personne ou de ses biens juridiques ou intérêts
essentiels d'une importance équivalente (p. ex. l'intégrité sexuelle) sont directement,
sérieusement et concrètement menacés dans son pays d'origine ou de provenance. L'intéressé
doit ainsi se trouver dans une situation de détresse particulière qui exige l'intervention
des autorités et justifie l'octroi d'un visa d'entrée en Suisse. Tel peut être le cas,
par exemple, dans les situations de conflit armé particulièrement aiguës ou pour échapper
à une menace personnelle réelle et imminente. Cela étant, si l'intéressé se
trouve déjà dans un Etat tiers, on peut considérer en règle générale qu'il
n'est plus menacé, si bien que l'octroi d'un visa humanitaire pour la Suisse n'est plus indiqué
(ATAF 2015/5 consid. 4.1.3 et arrêt du TAF F-5845/2017 du 8 juin 2018 consid. 5).