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Extrait de l'arrêt de la Cour V
dans la cause A. contre Office fédéral des migrations
E 1928/2014 du 24 juillet 2014

Audition d'un requérant d'asile mineur non accompagné.

Art. 29 LAsi. Art. 7 al. 5 OA 1. Art. 12 Conv. droits enfant.

1.      Aspects spécifiques de la minorité à prendre en considération lors de l'audition d'un mineur, spécialement s'il n'est pas accom­pagné: son âge, son degré de maturité, la complexité de l'affaire et les exigences procédurales particulières quant à la valeur pro­bante de ses déclarations (consid. 2.3.2).

2.      Lignes directrices d'organisations internationales gouvernemen­tales et autres recommandations (consid. 2.3.3). Nécessité, en par­ticulier, de veiller à la formulation des questions posées ainsi que d'adapter le rythme de l'audition (consid. 2.3.3.4).

3.      Appréciation du cas d'espèce, en fonction d'un cumul de facteurs négatifs ayant conduit à l'établissement d'un procès-verbal insuf­fisant pour l'examen de la vraisemblance des déclarations du mineur non accompagné encore éloigné de l'âge de sa majorité (consid. 3.2 et 3.3).

Anhörung eines unbegleiteten minderjährigen Asylsuchenden.

Art. 29 AsylG. Art. 7 Abs. 5 AsylV 1. Art. 12 KRK.

1.      Spezifische Faktoren, die bei der Anhörung eines  unbegleite­ten  minderjährigen Asylsuchenden berücksichtigt werden müs­sen: Alter, Reifegrad, Komplexität der Vorbringen, besondere verfahrensrechtliche Anforderungen hinsichtlich des Beweis­werts der Vorbringen (E. 2.3.2).

2.      Richtlinien internationaler Regierungsorganisationen und andere Empfehlungen (E. 2.3.3). Besondere Anforderungen an die Form der Fragestellung und an den Rhythmus der Befragung (E. 2.3.3.4).

3.      Eine Anhäufung negativer Faktoren führt zur Abfassung eines Einvernahmeprotokolls, aufgrund dessen die Glaubhaftigkeit der Vorbringen eines deutlich von der Volljährigkeit entfernten unbegleiteten Minderjährigen nicht umfassend geprüft werden kann (E. 3.2 und 3.3).

Audizione di un richiedente l'asilo minorenne non accompagnato.

Art. 29 LAsi. Art. 7 cpv. 5 OAsi 1. Art. 12 Conv. diritti fanciullo.

1.      Aspetti specifici alla minore età di cui tenere conto al momento dell'audizione di un minore, in particolar modo qualora non sia accompagnato: la sua età, il suo grado di maturità, la complessità della fattispecie e le esigenze procedurali particolari in merito al valore probatorio delle sue dichiarazioni (consid. 2.3.2).

2.      Linee direttive di organizzazioni internazionali governative ed altre raccomandazioni (consid. 2.3.3). Necessità in particolare di prestare attenzione alla formulazione delle domande poste, così come di adattare il ritmo dell'audizione (consid. 2.3.3.4).

3.      Apprezzamento della fattispecie alla luce di un accumulo di fattori negativi che hanno condotto alla stesura di un verbale d'audizione insufficiente per l'esame della verosimiglianza delle dichiarazioni di un minore non accompagnato ancora lontano dalla maggiore età (consid. 3.2 e 3.3).

 

Le 13 septembre 2013, le recourant, mineur non accompagné âgé de douze ans, a déposé une demande d'asile en Suisse.

Lors de ses auditions, il a déclaré être d'ethnie pashtoun, musulman et avoir vécu dans un village de montagne dans la région de Kaboul avec ses parents et ses frère et soeur cadets. Pour avoir dénoncé trois individus habillés de noir et armés, aperçus dans les rues de son village, aux autorités, lesquelles auraient procédé à l'interpellation de ces personnes, il serait recherché par les Talibans. Ceux-ci auraient enlevé son père. Aussi, il aurait quitté son pays d'origine. Il a produit une carte d'identité afghane (tazkira) et une lettre de menaces à son encontre, déposée à son domicile par les Talibans. Par décision du 16 mars 2014, l'Office fédéral des migrations (ODM) a refusé de reconnaître la qualité de réfugié au recourant, rejeté sa demande d'asile, prononcé son renvoi de Suisse et, constatant que l'exécution de cette mesure ne pouvait pas être raison­na­blement exigée, mis l'intéressé au bénéfice d'une admission provisoire. L'ODM a considéré que les déclarations du recourant étaient insuf­fisam­ment fondées, dépourvues de logique et contradictoires, de sorte qu'elles ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance définies à l'art. 7 LAsi (RS 142.31).

Par acte du 10 avril 2014, l'intéressé a formé recours contre la décision précitée, en tant qu'elle refusait de lui reconnaître la qualité de réfugié et rejetait sa demande d'asile, devant le Tribunal administratif fédéral. Il a invoqué que l'audition sur les motifs d'asile n'avait pas été conduite de manière adéquate eu égard à son jeune âge, lequel n'avait pas été contesté par l'autorité inférieure.

Le Tribunal administratif fédéral a admis le recours et renvoyé l'affaire à l'ODM pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

Extrait des considérants:

2.3                En ce qui concerne plus particulièrement l'audition de requé­rants d'asile mineurs, il y a lieu de prendre en considération ce qui suit.

2.3.1           L'art. 12 ch. 1 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (RS 0.107, ci-après: Conv. droits enfants) dispose que les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de dis­cernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. Le chiffre 2 de cette dis­position prévoit qu'à cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possi­bilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de pro­cédure de la législation nationale. Comme le Tribunal fédéral en a jugé (cf. ATF 133 I 286 consid. 3.2; 124 III 90 consid. 3a), cette norme conventionnelle est de caractère « self-executing » (sur cette notion, cf. ATAF 2010/27 consid. 5.2).

Cette norme ne confère pas à l'enfant le droit inconditionnel d'être en­tendu oralement et personnellement dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant. Elle garantit seulement qu'il puisse faire va­loir d'une manière appropriée son point de vue, par exemple dans une prise de position écrite de son représentant (ATF 124 II 361 consid. 3c et réf. cit.). Cela vaut également en droit d'asile. S'il a le discernement, à sa­voir la capacité et la maturité nécessaires pour comprendre la signifi­ca­tion et le but d'une procédure d'asile ainsi que pour exposer ses motifs de persécution, l'enfant devra avoir la possibilité d'exprimer son opinion lors d'une audition conforme à l'art. 29 LAsi.

2.3.2           Selon l'art. 7 al. 5 de l'ordonnance 1 sur l'asile du 11 août 1999 (OA 1, RS 142.311), les personnes chargées de l'audition de requérants d'asile mineurs tiennent compte des aspects particuliers de la minorité. Celles-ci doivent ainsi prendre en considération l'âge de l'enfant, sa ma­turité (en particulier sa capacité de comprendre les questions, de se sou­venir et de communiquer), la complexité de l'affaire et des exigences procédurales particulières quant à la valeur probante des déclarations. En outre, il appartient à l'ODM de prendre les mesures adéquates pour que l'enfant se sente à l'aise (cf. dans le même sens: Sylvie Cossy, Le statut du requérant d'asile mineur non accompagné dans la procédure d'asile, 2000, n. 628).

2.3.3           Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a formulé des lignes directrices et recommandations en matière d'audition de mineurs, spécialement de mineurs non accompagnés, qui fi­gurent dans des documents auxquels l'ODM lui-même se réfère dans son Manuel de procédure d'asile, au chapitre consacré aux requérants d'asile mineurs non accompagnés (Manuel de procédure d'asile de l'ODM, chap. J § 1, 1er janvier 2007, p. 5 s.). Il s'agit en particulier du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 1992, par. 213 ss, < http://www. unhcr.ch/fileadmin/user_upload/unhcr_ch/Mandat/Handbuch_fr.pdf >, consulté le 10.07.2014), des Principes directeurs concernant les enfants non accompagnés (HCR, Guidelines on policies and procedures in dealing with unaccompanied children seeking asylum, 1997, < http:// www.unhcr.org/3d4f91cf4.html >, consulté le 10.07.2014, ci-après: Prin­cipes directeurs concernant les enfants non accompagnés), ainsi que des Principes directeurs pour l'audition de mineurs non accompagnés et la préparation de dossiers sur leurs antécédents sociaux (HCR, Guidelines for interviewing unaccompanied minors and preparing social histories, 1985, < http://www.refworld.org/docid/47fdfae5d.html >, consulté le 10.07.2014; HCR, Guidelines for interviewing unaccompanied refugee children and adolescents and preparing social histories, 1990). Il convient de s'en inspirer parce que, d'une part, ils émanent d'une organisation internationale gouvernementale qui dispose de l'expertise nécessaire et qui collabore avec la Confédération (cf. art. 113 LAsi; art. 12 et 22 par. 2 Conv. droits enfants) et que, d'autre part, ils contri­bu­ent, dès lors qu'ils sont censés être appliqués dans la pratique de l'ODM, à assurer une égalité de traitement. S'y ajoutent les Principes directeurs inter-agences relatifs aux enfants non accompagnés ou séparés de leur famille, adoptés par six organisations internationales, gouver­ne­mentales et non gouvernementales, dont le HCR, et édités par le Comité International
de la Croix-Rouge en juillet 2004 (CICR, 2004, p. 34, < http://www.icrc.org/fre/resources/documents/publication/p1101.htm >, consulté le 10.07.2014; cités par Alice Edwards, Les dimensions de l'âge et du genre en droit international des réfugiés, in: La protection des réfugiés en droit international, 2008, p. 87), qui complètent de manière appropriée les textes du HCR.

2.3.3.1     Il ressort de ces documents de référence que l'audition d'un requérant d'asile mineur doit être menée par une personne profession­nel­le­ment qualifiée, formée spécialement à cet effet et disposant de connais­sances relatives au développement psychologique, émotionnel et physi­que et au comportement des enfants (cf. ch. 5.12 des Principes di­recteurs concernant les enfants non accompagnés).

2.3.3.2     Dans ces documents de référence, l'accent est mis sur l'atmos­phère accueillante qui doit régner dès le début de l'audition et sur l'atti­tude empathique de l'auditeur, nécessaires à la création d'un climat de confiance qui permettra au mineur de parler de son vécu.

Il est recommandé de commencer l'audition en clarifiant les buts de l'au­dition et en expliquant les règles applicables, d'une manière simple et compréhensible. Chacune des personnes assistant à l'audition doivent être présentées au mineur et leurs rôles expliqués. Il est impératif de souligner l'importance de dire la vérité, mais aussi de s'assurer que le mineur com­prenne qu'il n'y a pas de réponses correctes ou incorrectes, et qu'il est possible qu'il ne puisse pas répondre à toutes les questions.

L'auditeur est invité à observer le comportement de l'enfant et à noter toute forme de communication non verbale (geste, silence). Il doit faire preuve d'une écoute bienveillante et rester neutre. Le contact visuel est également d'une importance prépondérante: en présence d'un interprète, l'auditeur doit diriger ses questions vers le jeune requérant directement, et se montrer attentif à ses réponses.

Les lignes directrices insistent sur la nécessité de formuler les questions de manière ouverte durant l'audition, pour favoriser le récit libre; ce n'est que dans un second temps qu'il s'agit éventuellement de poser, à titre complémentaire, des questions précises.

Les particularités liées à la culture d'origine de l'enfant (notamment les conceptions de temps et d'espace) ainsi qu'à l'âge doivent être prises en considération. Il est admis que ce n'est qu'à partir de l'âge de douze ans environ qu'un enfant est capable d'envisager des événements indé­pen­dants de sa propre vie, de suivre un raisonnement logique, de penser en termes abstraits et de formuler des hypothèses (...).

Si le jeune requérant ne parvient pas à parler de certains événements en raison des émotions qui y sont liées, il est conseillé de changer de sujet et d'y revenir plus tard durant l'audition. Le HCR note que de nombreux requérants d'asile mineurs sont traumatisés par les expériences qu'ils ont vécues: à cet égard, il est indispensable de prendre en compte les émo­tions ressenties par le mineur (en particulier les sentiments de culpa­bilité et de peur), ainsi que la possibilité d'un déni de certains événements trop violents.

Enfin, il est recommandé de terminer l'audition sur une discussion por­tant sur des thèmes plus légers, indépendants du vécu passé, de façon à permettre au mineur de se détendre et de retrouver une sensation de sécurité.

2.3.3.3     Ces différentes phases d'audition se retrouvent dans la méthode de l'audition non suggestive par étapes progressives, préconisée par la doctrine spécialisée pour l'audition de mineurs. Cette méthode comprend sept étapes: la mise en relation, la discussion sur la vérité, l'introduction du sujet de l'audition, le récit libre, les questions ouvertes, les questions spécifiques et la fin de l'audition (cf. Gérard Niveau et al., Mise en oeuvre du protocole d'évalution de crédibilité SVA dans le contexte médico-légal francophone, Swiss archives of neurology and psychiatry, 164(3): 99 106, 2013,  http://www.sanp.ch/docs/sanp/2013/03/fr/sanp-00151.pdf >, consulté le 10.07.2014; Claudio Mascotto, La vérité sort-elle de la bouche des enfants?, plaidoyer 4/2008 p. 56 ss, spéc. 58).

2.3.3.4     S'agissant de l'adaptation des questions posées durant l'audition à l'âge d'un requérant d'asile mineur, certaines autorités nationales com­pétentes en matière de migration ont émis les recommandations suivantes (cf. Directorate of Immigration Finland, Guidelines for interviewing [separated] minors, 2002, p. 6 s.; US Citizenship and Immigration Servi­ces [USCIS], Asylum Officer Basic Training: Guidelines for Children's Asylum Claims, 2009, p. 26 ss):

-              utiliser des phrases courtes et des mots simples,

-              éviter l'utilisation de termes juridiques, de métaphores ou d'expres­sions, ainsi que la forme passive,

-              ne poser qu'une seule question à la fois,

-              formuler des questions ouvertes,

-              laisser cours au récit libre, puis poser des questions plus précises,

-              éviter de poser des séries de questions sans aucun lien entre elles et annoncer les changements de thématique,

-              bannir les questions commençant par « pourquoi » (spécialement pour les jeunes enfants) et celles appelant des hypothèses ou un rai­sonnement abstrait,

-              éviter les questions subjectives,

-              s'abstenir de mettre explicitement en doute les réponses reçues,

-              expliquer la répétition de questions portant sur les mêmes thèmes,

-              ne pas forcer un mineur à répondre à une question.

Il est également recommandé de demander au mineur interrogé de définir lui-même les termes utilisés afin de vérifier quel sens il a voulu leur donner. L'auditeur doit régulièrement reformuler les réponses pour vé­rifier qu'il a bien compris les propos du mineur et poser plusieurs fois les questions liées à des faits importants sous différents angles de vue, afin de contrôler les réponses reçues.

En ce qui concerne le rythme de l'audition, les lignes directrices précitées mettent en lumière qu'un enfant aura parfois besoin d'un peu plus de temps qu'un adulte pour formuler une réponse, d'où l'importance de res­pecter les silences durant l'audition. Une pause est nécessaire au moins toutes les demi-heures.

2.3.4           Il ressort de la doctrine que de nombreux autres éléments sont à prendre en considération lors de l'audition d'un mineur.

Ainsi, des facteurs d'ordre affectif peuvent influencer les déclarations d'un jeune requérant d'asile: par crainte de ne pas être cru, il peut être amené à modifier les faits dans le but de paraître plus crédible ou à cen­surer, voire oublier certains événements traumatisants (cf. Pierre-André Charvet, L'expertise de crédibilité, Jusletter du 31 mars 2014, p. 3 n. marg. 11).

Sur le plan cognitif, plus un enfant est jeune, moins sa mémoire en­registrera des détails et moins il aura les outils cognitifs nécessaires à une reconstruction logique des événements. L'écoulement du temps entre les événements et le moment où il doit les relater doit aussi être pris en compte. D'autre part, des études ont démontré que le récit libre et les questions ouvertes donnaient lieu à des réponses plus longues, plus détaillées et plus exactes que d'autres types de questions, dès lors qu'elles favoriseraient le rappel de l'information enregistrée par la mémoire. L'auditeur doit également s'adapter aux compétences de langage de l'enfant: selon les experts, il est rare qu'un enfant demande à un adulte d'expliciter une question mal comprise, et encore plus rare qu'il fasse remarquer une erreur de compréhension de la part de la personne qui l'interroge. Les mineurs sont enfin très sensibles à la suggestibilité et auront tendance à mentir ou à adapter leur récit en fonction des questions posées, en particulier s'il s'agit de questions fermées et suggestives, pour donner la réponse qui, selon eux, est attendue (cf. Marie Arnaud, L'audition de l'enfant victime d'abus sexuels: la Suisse, bonne élève?, 2011, p. 10 ss et réf. cit.; Charvet, op. cit., p. 4 n. marg. 13 s.).

2.4 3.1              (...)

3.2                Il y a donc lieu de vérifier si l'audition sur les motifs d'asile de l'intéressé a été conduite de manière adéquate eu égard à son âge, à son degré de maturité et aux principes mentionnés dans les considérants pré­cédents.

3.2.1           De manière générale, la lecture du procès-verbal amène à la conclusion que l'audition a été conduite de manière identique à celle d'un adulte.

3.2.2           En ce qui concerne le déroulement de cette audition, la phase in­troductive a été très brève: l'auditrice a présenté les personnes présentes, puis fourni des explications standardisées sur le but et le déroulement de l'audition, sans adapter son langage ni vérifier que le recourant l'avait bien comprise. La décision de l'auditrice de ne donner la parole au représentant légal qu'en fin d'audition, outre qu'elle ne comporte pas de réelle justification, n'était pas de nature à créer d'emblée un climat de confiance.

L'auditrice a commencé par poser au recourant la question de savoir s'il allait bien. Immédiatement après que celui-ci ait répondu qu'il souffrait de l'absence de nouvelles de ses parents et qu'il était inquiet du sort de son père emmené par les Talibans, l'auditrice a abordé la question des éventuels contacts avec sa famille en Afghanistan et du contexte familial dans lequel il a vécu. Selon la déclaration du 9 avril 2014 de son tuteur, ces questions ont d'emblée généré une forte émotion chez le jeune re­courant, ce qui ne figure pas expressément au procès-verbal, mais reste perceptible à sa lecture; que cette première question ait submergé d'émo­tion le recourant est compréhensible vu les circonstances de l'affaire. Le procès-verbal n'indique cependant aucune réaction empathique de l'audi­trice, qui aurait été appropriée à cette situation pour tenter de diminuer la tension du recourant.

L'audition a été ponctuée d'une succession de 161 questions et a duré, jusqu'à la signature du procès-verbal, trois heures et cinquante minutes décomposées comme suit: deux heures et dix minutes entrecoupées d'une seule pause de quinze minutes avant le repas de midi et une heure qua­rante sans interruption après ce repas. Cela donne une moyenne d'un peu moins d'une minute et demie pour la réponse à chaque question, sans même tenir compte du temps qui a été indispensable pour la retraduction phrase par phrase du procès-verbal complet en fin d'audition; de cette moyenne, il faudrait encore retrancher le temps nécessaire à la formu­lation de la question, sa traduction, puis celle de la réponse. Selon le tuteur, l'intéressé a vécu cette audition comme une épreuve et était « lessivé » à son retour. Cette appréciation est corroborée par les ob­servations écrites de son éducatrice, selon lesquelles le recourant est rentré au foyer éprouvé et épuisé, s'est immédiatement couché, a pleuré avant de s'endormir et n'a pas eu d'appétit durant les trois jours suivants. L'avalanche de questions, le temps très réduit à disposition du recourant pour répondre à chacune d'entre elles, l'absence de pauses suffisantes, et l'absence d'empathie de l'auditrice dans ses questions et remarques étaient tout à fait de nature à provoquer chez le recourant les réactions décrites.

En outre, le tuteur a exposé dans sa déclaration précitée que l'audition avait, en réalité, dû être interrompue après la question no 128, relative à l'enlèvement du père du recourant, non pas pour la pause de midi (comme cela ressort du procès-verbal), mais parce qu'à l'évocation de cet événement, celui-ci s'est effondré, a pleuré et s'est révélé incapable de répondre. Selon lui, l'intéressé a mis de longues minutes à se remettre et a même dû s'isoler dans les toilettes pour se calmer. La mention de cette réaction ne figure pas comme telle au procès-verbal, où il est uniquement indiqué: « le RA cache sa tête dans ses mains et ne parle plus ». Il ne ressort pas des pièces du dossier que le tuteur ou le représentant de l'oeuvre d'entraide aient fait une remarque à ce sujet. A la reprise de l'audition, aucune mention de cette réaction n'a été faite. L'auditrice a immédiatement enchaîné avec une série de questions portant sur les faits concomitants à l'enlèvement du père du recourant, sans se préoccuper de l'état psychosomatique de celui-ci ni s'intéresser à ce qui a pu se passer durant la pause de midi.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que l'audition n'a pas été menée conformément aux règles de l'art, de manière adaptée à l'âge et aux réactions du recourant: le langage utilisé n'était pas approprié aux capa­cités de compréhension du mineur, que l'auditrice n'a d'ailleurs pas pris le temps d'évaluer, admettant implicitement l'allégué du recourant selon lequel il avait entre douze et treize ans. Le procès-verbal ne men­tionne que marginalement et de manière imprécise ses réactions émo­tionnelles et signes de communication non verbale (...), qui sont pourtant d'une grande importance pour l'évaluation de la crédibilité du récit d'un mineur. L'auditrice n'a pas fait preuve de suffisamment d'empathie et n'a pas porté d'attention particulière aux sentiments de culpabilité vis-à-vis de ses parents et de désespoir exprimés par le recourant. De plus, le rythme de l'audition et le manque de pauses ont manifestement éprouvé l'inté­ressé. Enfin, l'enchaînement des thèmes abordés était identique à celui d'une audition d'un adulte et ne respectait pas les différentes phases pré­conisées par les spécialistes (en particulier l'étape de mise en relation afin d'instaurer un climat de confiance, l'étape de discussion de la vérité, l'étape de récit libre et l'étape de fin d'audition, censée permettre à l'ado­lescent de retrouver un sentiment de sécurité). Dans ces conditions, il est possible, voire probable que le jeune recourant n'ait pas bien compris les enjeux de l'audition, qu'il se soit senti obligé de fournir une réponse à chaque question posée et qu'il n'ait pas pu s'exprimer de manière ex­haustive sur ses motifs d'asile.

3.2.3           S'agissant du type et de la formulation des questions posées, force est de constater qu'il a été laissé trop peu de place au récit libre durant l'audition sur les motifs d'asile. A l'exception de la question no 48, toutes les questions portaient sur des points précis du vécu du recourant.

Une grande partie des questions posées étaient en outre des questions fermées appelant une réponse commençant par oui ou non (« est-ce que ... [détail] », « avez-vous vu/entendu ...? ») ou des questions portant sur la situation dans l'espace et le temps d'un événement (« où ...? », « à quelle distance ...? », « quand ...? », « à quelle date ...? », « combien de temps ... »). Sur ce dernier point, il convient de relever que les difficultés du recourant à situer des événements dans le temps n'ont aucunement été prises en compte, malgré le courrier du 27 janvier 2014 de sa mandataire, laquelle avait attiré l'attention de l'ODM sur l'incapacité de l'intéressé à maîtriser le calendrier.

Beaucoup de questions posées étaient d'emblée suggestives ou dépas­saient la reformulation au point de le devenir, appelant à confirmer des hypothèses ou des raisonnements abstraits (qui ont par la suite été re­prochés au recourant dans la décision attaquée); l'intéressé y a parfois eu de la peine à répondre (voir, à titre illustratif, les questions portant sur ce qui était arrivé aux personnes dénoncées et sur le lieu où elles pourraient être détenues [...]).

Plusieurs questions relatives à des événements que le recourant n'a pas vécus directement, tels que la première visite des inconnus armés au domicile familial (...), l'enlèvement de son père (...) ou le dépôt de la lettre de menaces (...), lui ont également été posées. Il s'est ainsi vu contraint d'y répondre en formulant des hypothèses ou en rapportant, sans pouvoir fournir de nombreux détails, ce que des tiers lui en avaient dit. Cela lui a ensuite été reproché dans la décision attaquée.

Dans la deuxième partie de l'audition, des séries de questions sans aucun lien logique ou chronologique entre elles ont été posées au recourant. A noter que la formulation longue et complexe des phrases aux questions no 146, 148 et 151 prêtait également à confusion, instillant le doute dans l'esprit de l'intéressé, alors que ses propos n'étaient apparemment pas contradictoires, une fois remis dans leur contexte et abstraction faite de malentendus réciproques liés à l'utilisation de certains mots ambigus (utilisation du « nous » indéterminé; lettre « adressée » à l'intéressé ou à tous les villageois) qui auraient dû amener l'auditrice à des questions permettant au recourant d'éclaircir ses propos, dans la mesure où il en était capable.

A aucun moment, l'auditrice n'a reformulé de manière objective et em­pathique les déclarations de l'intéressé afin de vérifier qu'elles corres­pondaient à ce qu'il avait voulu exprimer ou ne l'a invité à expliquer lui-même le sens des termes utilisés. Elle n'a pas non plus attiré son attention sur le fait qu'il était en droit de ne pas répondre à telle ou telle question s'il n'en connaissait pas la réponse ou d'assortir sa réponse de réserves.

En définitive, il y a lieu de constater que, de manière prépondérante, les questions posées ont empêché le récit libre et ont soumis le recourant à un stress excessif et contre-productif. Ce n'est pas la durée de l'audition, qui aurait pu être plus longue, qui est en cause, mais son déroulement à un rythme effréné, sans aucune tentative d'établir un climat de confiance ni aucune articulation adaptée aux circonstances. Le recourant n'a pas eu l'occasion de donner des réponses plus longues et détaillées, en utilisant ses propres mots, ce qui aurait pourtant permis une meilleure apprécia­tion de la vraisemblance de son récit.

De plus, il n'a pas su résister à la suggestibilité de certaines questions (ce qui ne permet guère, en l'état, d'apprécier correctement la vraisemblance des réponses) ni osé dire spontanément qu'il ne connaissait pas certaines réponses. Ses capacités relatives à raisonner abstraitement et à formuler des hypothèses ont également influencé ses déclarations.

En conclusion, le type de questions posées et leur formulation n'étaient pas appropriés à l'audition d'un mineur de l'âge de douze à treize ans.

3.3                Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que cette audition n'a pas été conduite de manière adaptée au recourant, en particulier à ses ca­pacités cognitives, mnésiques et linguistiques, et que son procès-verbal ne permet donc pas de se faire une idée claire et précise de la vraisem­blance des préjudices subis ou craints.

Partant, il convient de faire procéder à une nouvelle audition au sens de l'art. 29 LAsi du recourant. Le procès-verbal de l'audition du 5 mars 2014 ne pourra être ultérieurement utilisé, pour l'appréciation des faits, que de manière retenue (qui prenne en compte les critiques qui précèdent) et en tenant compte des résultats de cette nouvelle audition.

Vu ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'examiner plus en détail les griefs du recours relatifs au non-respect par l'ODM, dans la décision attaquée, des exigences en matière d'appréciation de la vraisemblance (sous l'angle de l'art. 7 LAsi) des allégués d'un mineur de l'âge du re­courant.

 

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