Extrait des considérants:
1.
Recevabilité
1.1
Compétence du Tribunal administratif fédéral et
application de la loi sur la responsabilité
1.1.1
La compétence du Tribunal administratif fédéral doit être examinée
d'office, au même titre que la compétence de l'autorité
dont émane la décision attaquée (cf. ATAF 2008/59 consid. 2; décision de la
Commission de recours du Département fédéral de la défense, de la protection
de la population et des sports du 11 novembre 2005 publiée in: Jurisprudence des
autorités administratives de la Confédération [JAAC] 70.38 consid. 3). En l'occurrence,
cette question est indissociable de celle relative à l'application
de la loi sur la responsabilité du 14 mars 1958 (LRCF, RS 170.32); (cf. ATAF 2008/59 consid. 2.1
et décision de la Commission fédérale de recours en matière de responsabilité
de l'Etat [CRR] HRK 2004-011 du 17 octobre 2005 consid. 2). En effet, la compétence
décisionnelle de l'intimée ne peut reposer que sur l'art. 19 al. 3 LRCF. Le Tribunal
administratif fédéral, pour sa part, n'est habilité à juger des recours en matière
de responsabilité de l'Etat et des organisations spéciales chargées
d'accomplir des tâches pour la Confédération que dans la mesure où le
rapport de droit est fondé sur la LRCF et a été préalablement tranché
par décision d'une autorité ou d'une organisation citée à l'art. 33 let. d,
e ou h de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS
173.32), habilitée à en connaître. Il faut donc avant toute chose examiner si la LRCF
est bien applicable au présent litige.
1.1.2
Le champ d'application de la LRCF se limite aux personnes
investies d'une fonction publique de la Confédération, telles que citées à l'art. 1
al. 1 let. a à f LRCF, à l'exception de celles mentionnées à l'al. 2.
Il s'agit notamment des personnes chargées directement de tâches de droit public par
la Confédération (art. 1 let. f LRCF). L'art. 19 al. 1 LRCF prévoit
ainsi que si un organe ou un employé d'une institution indépendante de l'administration
ordinaire qui est chargée d'exécuter des tâches de droit public par la Confédération
cause sans droit, dans l'exercice de cette activité, un dommage à un tiers ou à la Confédération,
l'institution répond envers le lésé, conformément aux art. 3 à 6 LRCF,
du dommage causé à un tiers et la Confédération est responsable envers le lésé
du dommage que l'institution n'est pas en mesure de réparer (let. a). Comme cela résulte à
la fois de l'art. 3 al. 1 LRCF et de l'art. 19 al. 1 LRCF, l'acte doit se rattacher
au service et à l'accomplissement d'une tâche de droit public. Il ne doit donc s'agir ni d'une
activité privée de l'Etat, ni d'actes que l'agent public - ou l'institution
indépendante de l'administration ordinaire - fait en sa qualité de simple particulier
(cf. ATAF 2008/59 consid. 2.2; décision de la CRR du 18 décembre 2002 publiée
in: JAAC 67.64 consid. 3; Franz Werro, Code des obligations, vol. I,
in: Luc Thévenoz/Franz Werro [éd.], Commentaire romand, Genève/Bâle/
Munich 2003 [ci-après: Commentaire romand], p. 418 ch. 10 ss ad art. 61
CO; Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 4e éd.,
Bâle 1991, p. 504 ch. marg. 2427).
A supposer que l'activité en question soit une activité
privée de l'Etat, respectivement de ses agents ou
de l'institution indépendante de l'administration ordinaire chargée de tâches
de droit public par la Confédération, c'est alors naturellement le
droit privé qui la régit et fixe les prémisses
de la responsabilité, dite civile (cf. ATF 113 II 424 consid. 1a; ATAF 2008/59 consid. 2.1;
Knapp, op. cit., p. 502 ch. 2413; Werro,
Commentaire romand, p. 421 ch. marg. 22 in fine ad art. 61 CO; Pierre
Moor, Principes de l'activité étatique et responsabilité de l'Etat, in: Daniel
Thürer/Jean-François Aubert/Jörg Paul Müller [éd.], Droit constitutionnel
suisse, Zurich 2001, § 16 p. 280 ss; Nadine Mayhall,
Aufsicht und Staatshaftung, Zurich/Bâle/Genève 2008, p. 269 s.). Dans un tel
cas, ce sont les juridictions civiles
qui sont appelées à juger de cette responsabilité. L'exercice d'une fonction
ou de tâches de droit public engendre en revanche
une responsabilité de même nature (de droit public), soumise à des conditions spécifiques
et tranchée selon une procédure distincte, soit par le biais d'une décision administrative
susceptible de recours au Tribunal administratif fédéral (cf. ATAF 2008/59 consid. 2.1;
décision de la Commission de recours du Département fédéral de la défense, de
la protection de la population et des sports du 11 novembre 2005 in JAAC 70.38 consid. 8 et
9). La sélection de la voie - civile ou administrative - n'est donc pas laissée
à la libre initiative des recourants ou de l'intimée, mais s'impose au terme d'un raisonnement
juridique.
Potentiellement, si le litige présente des
aspects internationaux, la question de savoir si la responsabilité relève du droit
public ou privé se double de celle relative à l'application du droit suisse ou étranger.
Cela étant, la première question a le pas sur la seconde. Il faut ainsi tout d'abord se demander
si l'Etat - respectivement ses agents ou l'institution indépendante de l'administration ordinaire
que la Confédération a chargée d'exécuter telle ou telle tâche de droit
public - a agi en tant que sujet de droit public ou de droit privé. Cette prémisse constitue
ainsi, en droit suisse, la base du raisonnement concernant le droit applicable. Car, s'il s'avère
que le domaine ressortit au droit privé, la seconde question se résout sur la base des
règles de conflit prévues dans les traités internationaux liant les Etats en présence,
voire à défaut sur la base de celles contenues dans le droit international privé interne.
Mais s'il apparaît que la matière relève du droit public, ce raisonnement relatif
aux règles de conflit n'a pas cours (cf. François Knoepfler/Philippe
Schweizer, Précis de droit international privé suisse, Berne 1990, p. 61 ch. marg. 163).
Dès le moment où la responsabilité de la Confédération,
respectivement de ses agents ou d'une institution indépendante de l'administration ordinaire
qu'elle a chargée d'exécuter des tâches de droit public, se fonde sur
le droit public et non sur le droit privé, la LRCF - qui constitue le siège de
la matière - est applicable et la procédure suit la voie de la décision puis
du recours au Tribunal administratif fédéral, selon les règles de la LTAF (voir l'art. 19
al. 3 LRCF). Certes, un traité international pourrait prévoir d'autres règles.
Cela étant, à l'heure actuelle et sur un plan général, aucune convention
internationale ne régit la matière. S'agissant du projet d'articles sur la responsabilité
de l'Etat pour fait internationalement illicite préparé par la Commission du droit
international des Nations Unies, dont l'Assemblée générale de l'ONU a pris
note et qu'elle a recommandé à l'attention des gouvernements le 12 décembre
2001 (UN Doc. A-RES-56/83), il vise exclusivement les situations où un Etat est mis en cause par
un autre Etat; au surplus, il s'agit-là d'un projet (cf. Responsabilité de l'Etat
pour fait internationalement illicite; observations et renseignements communiqués par
les gouvernements. Rapport du Secrétaire général, UN Doc. A/62/63, distribué
le 9 mars 2007).
Par ailleurs, il n'est en soi pas inconcevable qu'un tribunal étranger
tienne son propre droit interne pour applicable, pour des motifs tenant par exemple à la non reconnaissance
de la subdivision exposée ci-avant entre droit privé et droit public ou de sa concrétisation,
dans un cas d'espèce. Cela étant, cette subdivision s'avère fondamentale en droit
suisse et le Tribunal administratif fédéral est tenu de la respecter, respectivement
de l'appliquer, sans avoir à examiner à quelle solution aboutirait tel ou tel tribunal étranger.
Selon les cas, une solution divergente d'une Cour étrangère pourrait se heurter au principe
de l'immunité des Etats, également susceptible de
recouvrir une organisation sous contrôle étatique (cf. Andreas Bucher,
Droit international privé suisse, tome I/1, Partie générale. Conflits de juridiction,
Bâle 1998, ch. marg. 864 s.; Sophie Vautier, La responsabilité
du contrôleur aérien en droit suisse, thèse Lausanne 2006, p. 166 s.).
S'agissant enfin de la question cruciale de savoir si l'Etat agit comme
un sujet de droit public ou de droit privé, il importe de rappeler qu'il peut intervenir comme n'importe
quel particulier, notamment en concurrence avec des personnes privées, s'il exerce une activité
commerciale ou industrielle sans monopole (cf. Knapp, op. cit., p. 319
ch. 1512 ss; ATF 106 Ia 323 consid. 3a, ATF 103 Ib 154 consid. 2b, ATF 72 I 16 consid. 1;
ATAF 2008/59 consid. 2.3.1) et si l'activité tend à la réalisation d'un profit (cf.
Werro, Commentaire romand, p. 420 ch. marg. 21 ad art. 61
CO). Il en va de même d'une institution indépendante de l'administration ordinaire chargée
par l'Etat de l'exécution de tâches de droit public. A priori, rien ne l'empêche -
en parallèle de celles-ci - de déployer des activités de droit privé. La doctrine
retient que le droit public réglemente dans l'intérêt public les relations entre deux
sujets de droit dont l'un au moins peut recourir d'office à la contrainte pour obtenir le respect
des obligations qu'il impose à l'autre. Dans le domaine de l'administration souveraine, c'est-à-dire
lorsque l'Etat est investi de la puissance publique, qui peut
se définir comme le pouvoir de prendre des décisions unilatérales obligatoires
et de les exécuter d'office (cf. Knapp, op. cit., p. 17 ch. 72;
ATF 121 II 473 consid. 2a, ATF 117 Ia 107 consid. 5c; arrêt du Tribunal administratif
fédéral A-1540/2006 du 8 janvier 2008 consid. 3.5), le droit public est
donc nécessairement applicable. Dans le cadre de l'administration
de prestations par l'Etat, il faut en revanche nuancer. Il existe sans conteste des activités
non lucratives qui ne se manifestent par l'emploi d'aucun pouvoir de puissance publique et qui sont néanmoins
régies par le droit public. La doctrine vise en particulier les situations où l'Etat gère
des services publics dans des conditions que le secteur privé ne pourrait réaliser, précisément
parce que ces activités pour des raisons d'intérêt public ne sauraient procurer de profit
et que, pour ce motif, le secteur privé ne les fournit pas à ces conditions (cf. Pierre
Moor, Droit administratif, vol. II: Les actes administratifs et leur contrôle, Berne
2002, p. 707 ch. 6.1.2.3 let. a). D'aucuns retiennent encore que l'exécution
de tâches publiques par l'Etat ne relève pas de la libre appréciation de la collectivité
(cf. Jost Gross, Schweizerisches Staatshaftungsrecht. Stand und Entwicklungstendenzen,
2e éd., Berne 2001, p. 135,
ci-après: Staatshaftungsrecht).
En définitive, la limite entre le droit privé et le droit public
doit être tracée dans chaque cas, d'après les critères les plus appropriés
aux circonstances concrètes (cf. Gross, Staatshaftungsrecht,
p. 22 s.; ATF 109 Ib 146 consid. 1b, ATF 96 I 407 consid. 2a à c).
1.1.3
En l'occurrence, il s'agit donc en premier lieu de déterminer si la responsabilité de
Skyguide dans l'exercice de l'activité dont il s'agit est régie par le
droit public ou le droit privé.
1.1.3.1
Skyguide est une société anonyme de droit privé suisse sans but lucratif, dont
la Confédération est l'actionnaire majoritaire et dont les statuts nécessitent l'approbation
du Conseil fédéral. En vertu de la faculté conférée à l'art. 40 al. 2
de la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l'aviation (LA, RS 748.0), le Conseil
fédéral a confié différentes tâches relevant du service de la navigation aérienne
à Skyguide (art. 2 al. 2 de l'ordonnance du 18 décembre 1995 sur le service
de la navigation aérienne [OSNA, RS 748.132.1] et le renvoi à l'art. 1 let. a
à g et i OSNA), lesquelles sont décrites en annexe à l'ordonnance précitée.
Il s'agit notamment du contrôle régional de l'espace
aérien suisse et, dans la mesure où des accords bilatéraux le prévoient, de
l'espace aérien étranger proche de la frontière
(ch. 1.1 de l'annexe 1 à l'OSNA). Il apparaît évident qu'une telle tâche
ne s'apparente pas à l'exercice d'une activité commerciale ou industrielle soumise
aux lois du marché. D'ailleurs, le Tribunal fédéral a déjà traité
cette problématique dans une précédente affaire, mettant en cause la responsabilité
de Skyguide, et expressément qualifié cette tâche de droit public (cf. arrêt
du Tribunal fédéral 2A.113/1994 du 3 juin 1999 consid. 2b et 2d). En matière
de marchés publics, la Commission fédérale de recours en matière de marchés
publics (CRM) s'est également penchée sur la nature intrinsèque de cette tâche
et y a vu un cas d'exercice de la puissance publique (cf. décision
de la CRM du 28 septembre 2001 in JAAC 66.5 consid. 3c/cc), conclusion qu'il convient ici d'entériner.
Il sied finalement de constater que, sans avoir pour autant valeur de précédent, la Cour de
justice des Communautés européennes (CJCE) est parvenue à une conclusion
identique s'agissant d'Eurocontrol, autre organisme chargé de contrôler l'espace aérien
(cf. arrêt du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft c/Eurocontrol, C-364/92,
Rec. p. I-43, point 28 s.).
Il n'y a pas lieu de se distancier de la jurisprudence précitée
en raison de l'art. 40 al. 2 in fine LA, dont la formulation prête à caution. Cet
article spécifie que « toute activité relevant
de la puissance publique reste réservée à la Confédération ».
Il ne signifie pas, pour autant, que Skyguide est dépourvue de la faculté d'exercer des tâches
relevant de la puissance publique, mais bien que la Confédération assume la haute responsabilité,
découlant du contrôle de la navigation aérienne délégué à Skyguide.
Les débats aux Chambres fédérales montrent que c'est cette dernière formulation
qui a été adoptée et qui prévaut (« Der
Bund ist für die hoheitliche Funktion verantwortlich »; « La
Confédération assume la haute responsabilité »), plutôt que
la version française qui figure au recueil systématique (cf. Bulletin officiel
de l'Assemblée fédérale [BO] 2003 E 158; BO 2003 N 265). Quoi qu'il en soit, entrée
en vigueur le 1er août 2003, cette
disposition, d'une formulation malheureuse, n'est pas applicable à la présente espèce
(voir la modification du 21 mars 2003 [RO 2003 2179, 2180; FF 2002 4127]).
Il s'ensuit que la responsabilité que Skyguide encourt dans le cadre
de l'exécution de cette tâche relève du droit public
et non du droit privé.
1.1.3.2
Se pose toutefois la question de savoir si le fait que la collision aérienne s'est produite
au-dessus du territoire allemand, joue un rôle dans le présent contexte. Dans le même
ordre d'idées, il s'agit de déterminer si la circonstance selon laquelle Skyguide exerçait
la surveillance d'une partie de l'espace aérien situé au sud de l'Allemagne, que les deux avions
ont survolé avant de se percuter, est susceptible de conduire à une conclusion divergente.
La nature de la tâche dont est investie Skyguide, à savoir le
contrôle de la circulation aérienne, ne diffère pas suivant le territoire suisse ou étranger
qui est concerné. Il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, d'une tâche relevant de la
puissance publique. Ce n'est dès lors pas parce que le contrôle en question porte sur
une partie de l'espace aérien allemand qu'il ressort au droit privé plutôt qu'au droit
public. D'ailleurs, l'examen des objectifs poursuivis démontre que la Suisse a un
intérêt public à assumer cette tâche,
qu'elle a déléguée à l'intimée. De manière générale, on peut
dire qu'il existe dans ce domaine une finalité collective, un intérêt public, susceptible
de dépasser les frontières nationales. C'est d'ailleurs dans cette optique que l'art. 40
al. 6 LA prévoit que l'activité des services de la navigation aérienne n'est pas
limitée aux frontières nationales. A l'appui de ce qui précède, le Conseil fédéral
soulignait il y a quelques années, dans le cadre d'une réponse à une interpellation, que
la Suisse se situe dans l'une des régions d'Europe les plus denses en matière de trafic aérien
et que, par conséquent, il s'y trouve quelques-uns des croisements les plus importants du réseau
de routes aériennes. Il y relevait encore que la complexité des services de sécurité
de la navigation aérienne qui en découle exige des solutions opérationnelles qui
vont au-delà de l'espace aérien relativement restreint de la Suisse. Plus particulièrement,
s'agissant des services relatifs à la circulation aérienne au sud de l'Allemagne, qui
sont en cause en l'espèce, le Conseil fédéral notait qu'ils servent en première ligne
à l'optimisation des procédures d'exploitation, c'est-à-dire à une meilleure coordination
en particulier pour l'approche de l'aéroport de Zurich. Des considérations de capacité
et de sécurité particulières à cet aéroport font ainsi en sorte que la Confédération
suisse est intéressée à la gestion d'une partie de l'espace aérien du sud de l'Allemagne
(cf. réponse du Conseil fédéral du 25 février 2004 à l'interpellation 03.3369
du Conseiller national Peter Föhn du 19 juin 2003; cf. message du Conseil fédéral
du 8 mars 2002 concernant l'accord entre la Confédération suisse et la République
fédérale d'Allemagne relatif à la fourniture de services de la navigation aérienne
au-dessus d'une partie du territoire allemand par la Confédération suisse et aux effets de
l'exploitation de l'aéroport de Zurich sur le territoire de la République fédérale
d'Allemagne, FF 2002 3171 ss, 3183 ad art. 1, ci-après: message relatif à la
fourniture de services de la navigation aérienne). Il faut en déduire que le contrôle
de la circulation aérienne dans cette zone revêt un intérêt public éminent,
non seulement pour l'aéroport de Zurich et le canton éponyme - ce qui serait à l'évidence
réducteur - mais pour la Confédération suisse. Ceci justifie d'y voir une tâche
de droit public, malgré l'espace aérien concerné.
Certes, la question de savoir si les services de navigation aérienne
de route dans l'espace aérien du sud de l'Allemagne sont fournis sur la base d'un accord
bilatéral, conformément au ch. 1.1 de l'annexe 1 à l'OSNA en relation
avec l'art. 2 al. 2 OSNA, apparaît problématique. Ces prestations n'étaient
en effet couvertes par aucun accord intergouvernemental au moment des faits. La réglementation se
basait alors sur des « Letters of Agreement »
entre Skyguide et l'organisation de contrôle de la navigation aérienne allemande (Deutsche
Flugsicherung GmbH [DFS]; voir le message relatif à la fourniture de services de la navigation aérienne,
FF 2002 3171 ss, 3174). Un accord entre la République fédérale d'Allemagne
et la Suisse - signé le 18 octobre 2001 (FF 2002 3201) et soumis à l'approbation
des Chambres fédérales dès 2002 - aurait pu remédier à cette situation,
dans le sens où il prévoyait la délégation formelle à la Suisse du contrôle
de la circulation aérienne dans une partie de l'espace aérien allemand. Cela étant, cet
accord n'a pas été ratifié et rien n'indique d'ailleurs qu'il aurait déployé
des effets anticipés, susceptibles de régir la présente affaire. Il n'existait
donc, au moment de la collision aérienne du 1er juillet
2002, aucun accord bilatéral consacrant cette délégation. Dans cette perspective,
demeurerait encore à examiner s'il existait une coutume entre les deux Etats, susceptible de fonder
celle-ci. En effet, Skyguide fournissait des services de navigation aérienne de route dans l'espace
aérien du sud de l'Allemagne depuis plusieurs décennies au moment des faits. La circonstance
selon laquelle la délégation était consacrée dans l'accord précité, lequel
n'a pas été ratifié, ne plaide pas contre l'existence d'une semblable coutume, dès
lors qu'il est possible de la codifier à un moment ou à un autre. Par ailleurs, l'absence de
ratification de l'accord précité ne change rien à l'existence - ou non
- de cette hypothétique coutume. Cette question n'a toutefois pas à être tranchée.
En effet, il importe surtout que Skyguide exerçât effectivement
cette tâche - ressortant par nature au droit public - au moment déterminant. Si,
par hypothèse, elle a outrepassé ses compétences, en ce sens qu'un accord bilatéral
ou une coutume entre les deux Etats faisait défaut, les faits demeurent indéniables et
la responsabilité de l'intimée n'en reste pas moins régie par
le droit public (cf.
en ce sens Meinhard Schröder, in: Wolfgang Graf Vitzthum [éd.],
Völkerrecht, 4e éd., Berlin
2007, ch. 7/24). L'institution de la responsabilité de l'Etat - respectivement des organisations
auxquelles il délègue l'exécution de tâches de droit public - ne pourrait pas
remplir sa fonction si des actions illégales des personnes chargées du service public ou bien
des comportements représentant un dépassement des compétences pouvaient exclure le devoir
de l'Etat - respectivement des organisations précitées - de compenser le dommage
(cf. décision de la CRR du 18 décembre 2002 in JAAC 67.64 consid. 3d; Balz
Gross, Die Haftpflicht des Staates. Vergleich und Abgrenzung der zivil- und öffentlich-rechtlichen
Haftpflicht des Staates: dargestellt am Beispiel der einfachen Kausalhaftungen des Zivilrechts und der
Staatshaftungsgesetze des Bundes und des Kantons Zürich, Zurich 1996, p. 157, ci-après:
Die Haftpflicht des Staates; Schröder, op. cit., ch. 7/25).
1.1.3.3
La responsabilité de l'intimée se juge donc ici selon
le droit public et non pas selon le droit privé. A défaut d'accord international en
ce domaine (en particulier la compétence exclusive des tribunaux ordinaires de la République
fédérale d'Allemagne prévue à l'art. 3 al. 8 de l'accord du 18 octobre
2001 entre la Confédération suisse et la République fédérale d'Allemagne
(FF 2002 3201) n'est pas applicable, pour les raisons déjà citées, liées à l'absence
de ratification et de droit dans le temps), la matière est ainsi exclusivement
régie par la LRCF. Le Tribunal administratif fédéral n'a pas connaissance de jugements
de tribunaux étrangers qui iraient à l'encontre de ce qui précède. Par ailleurs,
il n'est pas tenu de s'aligner sur les considérations qui ont guidé le jugement de causes présentant
une certaine connexité avec la présente, mais opposant des tiers. L'on se réfère
en particulier à l'arrêt 4 O 234/05 H du Landgericht Konstanz du 27 juillet 2006,
dans la cause opposant Bashkirian Airlines (demanderesse) à la République fédérale
d'Allemagne (défenderesse), par lequel il a été jugé que cette dernière
devait répondre des manquements reprochés à Skyguide et était tenue d'indemniser
Bashkirian Airlines (cf. arrêt du Landgericht Konstanz du 27 juillet 2006 cité in Claudia
Stutz, in: Stephan Hobe/Nicolai von Ruckteschell [éd.], Kölner Kompendium, Luftrecht,
vol. 2, Luftverkehr, Cologne 2009, p. 918 ch. marg. 98). Il semblerait d'ailleurs
que cet arrêt ait fait l'objet d'un recours et ne soit donc pas définitif (cf. Stutz,
op. cit., p. 918 ch. marg. 98 et p. 920 ch. marg. 106).
1.1.3.4
Il s'ensuit également que les normes instituant une responsabilité de droit privé,
au surplus d'un Etat tiers, ne sont pas applicables. Dès lors, il n'y a pas de raison de s'en référer
aux règles internes de droit russe, en matière de droit international privé (...)
ni d'ordonner un avis de droit portant sur le droit russe en la matière (...).
1.1.3.5
C'est ainsi à tort que les recourants prétendent que le droit suisse ne serait pas applicable
(...), sans d'ailleurs pour autant indiquer quel droit étranger lui serait préférable.
Leur attitude se révèle par ailleurs contradictoire, puisqu'ils ont eux-mêmes soumis
leurs prétentions à Skyguide pour décision (...) et qu'ils ont invoqué le droit
suisse tant devant l'intimée que devant le Tribunal administratif fédéral.
Certes, les recourants font valoir qu'ils ont procédé ainsi afin de sauvegarder leurs droits
(...), mais tel est en définitive l'objet de toute action en justice et les conclusions des
recourants sont, sans contestation possible, des conclusions en paiement. Certes encore, cette
initiative a pu être influencée par le courrier de Skyguide aux recourants du 29 avril
2005, aux termes duquel l'intimée les a rendus attentifs au problème de la survenance
prochaine de la péremption. Cela étant, il se concevrait difficilement que les recourants
puissent se plaindre d'avoir été orientés à bon escient sur ce point. L'action
qu'ils avaient ouverte contre Skyguide en Espagne n'a pas abouti, faute de compétence du tribunal
saisi (...). Il est clair que les recourants auraient vu leurs prétentions frappées de
péremption s'ils avaient omis d'ouvrir action selon
la procédure décrite par Skyguide.
1.1.3.6
Quelle que soit la conviction des recourants à ce propos, il apparaît, à
l'analyse, que la responsabilité de Skyguide se juge sur la base du droit
public suisse, à savoir à l'aune de la LRCF.
Ceci n'a bien entendu rien à voir avec la prise en compte des circonstances individuelles
et locales ayant cours en Fédération de Russie, respectivement au Bashkortostan,
qui trouvent leur place - le cas échéant - dans le cadre de l'appréciation
et de l'évaluation du dommage.
1.1.3.7
Si d'aucuns élèvent des prétentions en responsabilité, en relation avec le
service de la navigation aérienne, Skyguide est tenue de rendre une décision sur le sort de
ces prétentions, ainsi que le prévoit l'art. 19 al. 3 LRCF. Cette décision -
qui émane ainsi d'une organisation extérieure à l'administration fédérale,
statuant dans l'accomplissement de tâches de droit public que la Confédération lui a confiées
(art. 33 let. h LTAF) - peut être déférée, sur recours, au Tribunal
administratif fédéral. La compétence du Tribunal administratif fédéral se révèle
ainsi fondée.
1.2
(...)
2.
Objet du litige
Avant tout autre débat, il convient de cerner l'objet
du litige. Pour ce faire, il s'agit de voir quelles conclusions ont été formulées
par les recourants. En effet, celles-ci déterminent dans quelle mesure la décision est
attaquée et délimitent en ce sens l'objet du litige (cf. André Moser,
in: Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren [VwVG], Christoph Auer/Markus Müller/Benjamin
Schindler [éd.], Zurich/St-Gall 2008, p. 689 ch. marg. 2 ad art. 52 PA). Deux particularités
retiendront l'attention du Tribunal administratif fédéral. En premier lieu, les recourants
ont modifié leurs conclusions au terme de leur mémoire complémentaire du 14 mars
2008 (consid. 2.1). Ensuite, l'intimée a également pris des conclusions dans le
cadre de son mémoire de réponse du 29 octobre 2008 (consid. 2.2).
2.1
Modification des conclusions des recourants
2.1.1
Les conclusions sont scellées aux termes du mémoire de recours (art. 52 al. 1
1re phrase PA), lequel doit être
déposé dans les 30 jours suivant la notification de la décision attaquée (art. 50
al. 1 PA). L'art. 22 al. 1 PA précise que le délai légal ne peut être
prolongé, ce qui s'applique notamment au délai de recours de l'art. 50 al. 1 PA.
Il s'ensuit qu'il ne peut être sursis au dépôt de conclusions. Par ailleurs, aucune norme
ne prévoit la possibilité de modifier celles-ci, une fois ce délai écoulé. Doctrine
et jurisprudence en déduisent que toutes les conclusions, fussent-elles éventuelles,
doivent être présentées dans le cadre du mémoire
de recours et que des modifications ou des adjonctions
ne sont plus possibles à l'issue du délai de recours (cf. Frank
Seethaler/Fabia Bochsler, in: Bernhard Waldmann/Philippe Weissenberger [éd.],
Praxiskommentar VwVG, Zurich/Bâle/Genève 2009, p. 1028 ch. marg. 41
ad art. 52 PA; Knapp, op. cit., n°1923ter;
Pierre Moor, Droit administratif, vol. I, Les fondements
généraux, Berne 1994, p. 439 s.). Des variantes qui figureraient par
exemple dans le cadre d'une réplique seraient donc irrecevables (cf. décision de la Commission
de recours en matière d'infrastructures et d'environnement du 4 avril 2005 in JAAC 69.91
consid. 8.1; Moser/Beusch/Kneubühler, op. cit., p. 96
ch. marg. 2.215). Seules les requêtes relatives à l'effet suspensif ou portant sur des
mesures provisionnelles font exception à ce qui précède, en raison de leur objet
lié à la procédure (Moser/Beusch/Kneubühler, op. cit.,
p. 97 ch. 2.218). Si les conclusions du recours ne peuvent être étendues après
l'échéance du délai de recours, elles peuvent en revanche être précisées,
réduites ou abandonnées (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral
A-8435/2007 du 4 août 2008 consid. 3.1, et A-1985/2006 du 14 février
2008 consid. 4, en partie publié dans ATAF 2008/17; Moser, op. cit.,
p. 690 s. ch. marg. 6). L'objet du litige peut ainsi uniquement se
réduire pour tenir compte de points qui ne sont plus
contestés, mais pas s'étendre (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1536/2006
et A-1537/2006 du 16 juin 2008 consid. 1.4.1; décision de la CRM du 26 mars
1997 in JAAC 61.77 consid. 2c).
A la question de savoir si l'art. 53 PA permet de déroger aux
règles procédurales qui précèdent, il faut répondre comme suit. Selon
l'art. 53 PA, l'autorité de recours accorde au recourant qui l'a demandé dans un recours
recevable à la forme un délai convenable pour compléter
les motifs, si l'étendue exceptionnelle ou la difficulté particulière de l'affaire
le commande. Selon toute évidence, cette disposition n'entame en rien le principe qui
veut que les conclusions ne puissent être étendues à l'issue du délai de recours.
Il n'y est en effet question que de permettre de compléter les motifs du recours. Le texte
légal se révèle ainsi clair et rien n'indique que son libellé ne corresponde
pas au sens sous-jacent de la norme, de sorte qu'une interprétation n'a pas lieu d'être.
2.1.2
En l'occurrence, dans le cadre de leurs recours, les recourants ont formulé des conclusions
tendant d'une part au versement d'une indemnité à titre de perte
de soutien et d'autre part au versement d'une somme à titre de dépens,
comprenant les frais d'expertise et une participation aux honoraires de leur conseil suisse.
Ils n'ont dès lors pas conclu au versement d'une indemnité à titre de tort moral. C'est
uniquement par le biais du mémoire complémentaire du 14 mars 2008, que le Tribunal administratif
fédéral les a autorisés à déposer en application de l'art. 53 PA, qu'ils
ont formulé des conclusions tendant au versement de sommes supérieures à celles que l'intimée
leur avait octroyées à titre de tort moral. Dans le cadre de leur mémoire complémentaire,
les père et mère de la victime ont par ailleurs augmenté leurs conclusions relatives à
la perte de soutien. Ces conclusions amplifiées, respectivement nouvelles pour ce qui a trait au
tort moral, ont été déposées bien après l'échéance du délai de
recours. Elles ont pour effet d'étendre l'objet du litige et se révèlent, partant, irrecevables.
Le fait qu'un délai complémentaire
ait été octroyé aux recourants pour compléter leurs motifs, ainsi que le prévoit
l'art. 53 PA, ne change rien à ce qui précède.
Conformément à ce qui a été dit plus haut (consid. 2.1.1), les motifs ne peuvent
guère être assimilés aux conclusions et la possibilité de compléter les premiers
n'a rien à voir avec celle d'étendre les secondes. Le Tribunal administratif fédéral
remarque au surplus que les recourants n'ont pas manifesté l'intention d'augmenter ou d'étendre
leurs conclusions avant le dépôt de leur mémoire complémentaire, de sorte que ces
nouvelles conclusions apparaissent totalement inattendues. Finalement, rien n'empêchait les recourants
de formuler des conclusions, le cas échéant plus étendues, dans le cadre du délai
de recours, quitte à les réduire ultérieurement si celles-ci, à la réflexion,
s'avéraient exagérées. Ils n'ont toutefois pas procédé de cette
manière.
En conséquence, le Tribunal administratif fédéral doit écarter,
en raison de leur irrecevabilité, les conclusions additionnelles
des recourants tendant à l'octroi d'une indemnité supplémentaire à titre de
tort moral, ainsi que les conclusions amplifiées des parents de la victime au titre de leur perte
de soutien, telles qu'elles ressortent du mémoire complémentaire du 14 mars 2008.
2.1.3
Autre est la question de savoir si le Tribunal administratif fédéral doit retenir
l'abandon des conclusions des grands-parents de la victime
relatives à leur perte de soutien, tel qu'il résulte du mémoire complémentaire
du 14 mars 2008.
Sur le principe, comme déjà vu ci-avant (consid. 2.1.1),
la réduction ou même l'abandon des conclusions demeure parfaitement possible, au contraire
de leur augmentation, même après l'échéance du délai de recours. Cet abandon
est intervenu en l'espèce sans réserve ni condition, qui n'aurait d'ailleurs, le cas
échéant, pas été admise (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_207/2007
du 20 mars 2008 consid. 2; Seethaler/Bochsler, op. cit.,
p. 1026 ch. marg. 39 ad art. 52 PA). De plus, à lire le mémoire complémentaire
du 14 mars 2008, l'abandon des conclusions des grands-parents relatives à leur perte de soutien
est motivé par le fait que ceux-ci seraient statistiquement décédés au moment où
la victime aurait atteint l'âge de générer des revenus (...). Il n'existe dès
lors pas de lien direct avec l'augmentation des conclusions en perte de soutien des parents. Au
surplus, toujours selon les explications des recourants, cette augmentation résulte
« de [la] multiplication par un facteur 4 ou 5, comme retenu par le Prof. S. en début
de son avis, se fondant sur des hypothèses de développements futurs de l'économie
bashkire et russe » (...). L'enjeu n'était dès lors pas pour les parents d'englober
les prétentions en perte de soutien des grands-parents de la victime dans leurs propres conclusions,
ce qui n'aurait d'ailleurs guère eu de sens étant donné que chacun doit agir personnellement
pour sa propre perte de soutien (cf. Roland Brehm, La réparation du
dommage corporel en responsabilité civile, Berne 2002 [ci-après: La réparation du dommage
corporel], p. 177 ch. marg. 405). Finalement, les deux parents de la victime ont dès
le début - et non seulement à partir du dépôt du mémoire complémentaire
- réclamé en leur propre nom la moitié de la somme résultant de l'expertise
privée qu'ils ont produite (dont à déduire les montants qui auraient été accordés
au même titre aux autres membres de la famille).
2.1.4
Par conséquent, le Tribunal administratif fédéral doit prendre
acte de l'abandon par les grands-parents de la victime de leurs conclusions tendant au versement
d'une indemnité en compensation de leur perte de soutien.
2.2
Demeurent dès lors uniquement les conclusions relatives à la perte de soutien des parents
de la victime, telles qu'elles résultent de leurs recours, à savoir celles tendant au versement
de:
- pour A. (père): CHF 30'597,50, mais au moins CHF 22'365.-,
« sous déduction des montants qui auraient été accordés par le TAF à
ce titre aux autres membres de la famille de X., à l'exception de la mère de celui-ci »;
- pour B. (mère): CHF 30'597,50, mais au moins CHF 22'365.-,
« sous déduction des montants qui auraient été accordés par le TAF à
ce titre aux autres membres de la famille de X., à l'exception du père de celui-ci »;
et en outre celle tendant au versement de CHF 2'000.- à
chacun, à titre de dépens, comprenant les frais d'expertise et une participation aux honoraires
de leur conseil suisse.
En revanche, pour ce qui concerne les grands-parents de la victime, il ne
subsiste guère que les conclusions tendant au versement de dépens, représentant CHF 2'000.-
chacun.
2.2.1
S'agissant du libellé
des conclusions relatives à la perte de soutien des parents de la victime, le Tribunal
administratif fédéral observe que celles-ci ne manquent pas de la clarté requise
(art. 52 al. 2 PA). Il paraît évident qu'elles sont rédigées de manière
alternative. Il faut donc comprendre qu'il s'agit d'accorder à chacun des deux parents un montant
donné (CHF 30'597,50) ou, subsidiairement, si le Tribunal administratif fédéral se
prononce pour une somme inférieure, que celle-ci ne se situe pas en-deçà de CHF 22'365.-.
Cette subsidiarité implicite se déduit également des motifs des recourants,
lesquels ont exposé que la perte de soutien « globale » se situe
entre CHF 44'731,25 et CHF 61'195.-,
montant dont chacun des deux parents de la victime réclame la moitié (...).
2.2.2
L'objet du litige est donc circonscrit par les conclusions
qui précèdent. Le Tribunal administratif fédéral constate ainsi qu'un dommage
corporel, comme celui résultant de l'atteinte à
l'intégrité psychique (p. ex. choc nerveux) de l'un des parents de la victime, n'a ni été
allégué ni tranché par l'intimée (ce qui fait qu'il n'eût pas été
possible aux recourants de conclure à l'indemnisation d'un tel dommage devant le tribunal
de céans) et que d'ailleurs aucune conclusion n'est formulée à ce titre devant la présente
instance (cf. à ce sujet ATF 112 II 118; Brehm, La réparation
du dommage corporel, p. 90 ch. marg. 170). Les recourants n'ont pas non plus contesté
le rejet par Skyguide de leurs prétentions relatives aux frais d'inhumation, de voyages et autres
coûts, rejet qui était motivé par l'absence d'allégation détaillée
et de preuve corrélative (...).
2.2.3
Par voie de conséquence, le ch. 1 (allocation d'une indemnité à titre de réparation
du tort moral) et le ch. 2 (allocation d'un montant à titre de dommages-intérêts)
du dispositif des décisions attaquées sont entrés en
force.
2.3
Conclusions de l'intimée
Se pose au surplus la question des « conclusions » de
l'intimée, telles que formulées dans le cadre de sa réponse aux recours du 29 octobre
2008. L'intimée requiert en effet la réduction, par voie de jugement, des montants qu'elle
a elle-même accordés aux recourants, dans la mesure des compensations que ceux-ci ont déjà
obtenues de tiers (...). Elle soutient - preuves à l'appui - que Bashkirian Airlines
et son assureur en responsabilité civile Y. auraient versé aux familles des recourants,
y compris ceux qui sont entre-temps décédés, une indemnité de RUB 100'000 par
victime (...), dans les jours qui ont suivi la collision aérienne.
En réalité, il ne s'agit pas de « conclusions »
assimilables à celles des recourants (Moser/Beusch/Kneubühler,
op. cit., p. 125 ch. 3.41 in fine; Ulrich Meyer, in: Bundesgerichtsgesetz,
Marcel A. Niggli/Peter Uebersax/Hans Wiprächtiger [éd.], Basler Kommentar, Bâle 2008,
ch. 3 ad art. 102). Seuls les recourants ont porté le litige devant le Tribunal administratif
fédéral et en déterminent le cadre. La réponse de l'intimée ne revêt d'ailleurs
pas la fonction d'un recours joint (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.651/2005 du 21 novembre
2006 consid. 1.2). Ceci ne préjuge en rien de la faculté, pour le Tribunal administratif
fédéral, de procéder d'office à une reformatio in pejus, au sens de l'art. 62
al. 2 PA, dans la mesure où les conditions y relatives sont réalisées (cf. Moser/Beusch/
Kneubühler, op. cit., p. 125 ch. 3.42). Toutefois, étant donné que
celles-ci ne sont manifestement pas réunies en l'occurrence (cf. Moser/ Beusch/Kneubühler,
op. cit., p. 182 ch. 3.200), une réduction des montants accordés dans
les décisions attaquées est d'emblée exclue.
L'objet du litige étant circonscrit, il s'agit d'examiner les conditions
qui déterminent le bien-fondé des prétentions des recourants.
3.
Conditions de la responsabilité
L'art. 19 al. 1 let. a LRCF, qui régit la responsabilité
des organisations spéciales chargées d'accomplir des tâches pour la Confédération
et leur personnel, renvoie aux art. 3 à 6 LRCF s'agissant des conditions auxquelles la
responsabilité des institutions dont il s'agit est subordonnée. Aux termes de l'art. 3
al. 1 LRCF, la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers
par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire.
Il en va dès lors pareillement des institutions indépendantes de l'administration
ordinaire, chargées d'exécuter des tâches de droit public par la Confédération,
visées à l'art. 19 LRCF. Celles-ci ont une responsabilité primaire,
exclusive et causale, en ce sens que le tiers lésé peut les rechercher elles seules,
à l'exclusion de leurs organes ou de leurs employés. La Confédération est responsable
envers le lésé du dommage que l'institution n'est pas en mesure de réparer (art. 19
al. 1 let. a LRCF).
Le lésé n'a pas à établir l'existence d'une faute; il
lui suffit de faire la preuve d'un acte illicite, d'un dommage
et d'un rapport de causalité entre ces deux éléments
(cf. ATF 106 Ib 357 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 2A.321/2004 du 11 avril
2006 consid. 4.1), toutes conditions comprises cumulativement (cf. arrêt du Tribunal
administratif fédéral A-6246/2007 du 16 janvier 2009 consid. 2.2). Ces notions
correspondent à celles qui prévalent en droit privé (cf. ATF 123 II 577 consid. 4d/bb;
décision de la CRR HRK 2004-006 du 27 septembre 2004 consid. 3 et décision de la
CRR du 5 novembre 2001 in JAAC 66.51 consid. 3a; Tobias Jaag,
Organisationsrecht. Staats- und Beamtenhaftung, Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht I/3, 2e éd.,
Bâle 2006, ch. 97 et 164; Jost
Gross, Staats- und Beamtenhaftung, in: Thomas Geiser/ Peter Karlen/Peter Münch [éd.],
Schaden-Haftung-Versicherung, vol. V, Bâle 1999, ch. 5.4.1.1, ci-après: Staats- und
Beamtenhaftung). Il est dès lors possible de s'en référer - par analogie -
à la jurisprudence et à la doctrine pertinentes en droit civil.
L'illicéité est réalisée
en tout cas lorsque l'acte incriminé porte atteinte à
un bien protégé par un droit absolu, tel que la vie, l'intégrité corporelle ou la
propriété (voir, par analogie, en droit privé Roland Brehm,
Die Entstehung durch unerlaubte Handlungen, in: Berner Kommentar, Kommentar zum schweizerischen
Privatrecht, Obligationenrecht, Allgemeine Bestimmungen, 3e éd.,
Berne 2006 [ci-après: Berner Kommentar], ch. 35 ad art. 41 CO; Henri
Deschenaux/Pierre Tercier, La responsabilité civile, 2e éd.,
Berne 1982, p. 71). Une omission peut aussi, le cas échéant,
constituer un acte illicite, mais il faut alors qu'il existât, au moment déterminant,
une norme juridique qui sanctionnait explicitement l'omission commise ou qui imposait à l'Etat,
ou à l'organisation délégataire, de prendre en faveur du lésé la mesure
omise; un tel chef de responsabilité suppose donc que l'Etat, ou l'institution délégataire,
ait eu une position de garant vis-à-vis du lésé et que les prescriptions qui déterminent
la nature et l'étendue de ce devoir aient été violées (cf. ATF 133 V 14 consid. 8.1,
ATF 132 II 305 consid. 4.1, ATF 126 III 113 consid. 2a, ATF 123 II 577 consid. 4d/ff,
ATF 118 Ib 473 consid. 2b, ATF 116 Ib 367 consid. 4c; arrêts du Tribunal fédéral
8C_510/2007 du 3 octobre 2008 consid. 7.3.1 et 2A.675/2005 du 12 juillet 2006 consid. 2c;
Gross, Staatshaftungsrecht, p. 164, 175-176).
La causalité
naturelle entre deux événements, ou rapport de cause à effet, est un lien tel que
sans le premier événement, le second ne se serait pas produit (cf. arrêts du Tribunal
fédéral 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 consid. 2.2, 4C.77/2001 du 12 septembre
2001 et 4C.413/1999 du 9 février 2000; ATF 132 III 715 consid. 2.2, ATF 123 III 110, ATF
116 II 305). Une cause naturelle à l'origine d'un préjudice n'est opérante en droit
que si, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, elle est propre à entraîner
un effet du genre de celui qui s'est produit, de sorte que la survenance de ce résultat paraît
de façon générale favorisée par le fait en question. Elle est alors qualifiée
d'adéquate (cf. ATF 123 III 110 consid. 3a, ATF 119
Ib 334; arrêt du Tribunal fédéral 4C.79/2001 du 21 juin 2001 consid. 3a; arrêt
du Tribunal administratif fédéral A-6246/2007 du 16 janvier 2009 consid. 3.1;
Franz Werro, La responsabilité civile, Berne 2005, p. 54 ch. marg. 213 s.;
Brehm, Berner Kommentar, ch. 121 ad art. 41 CO; Heinz
Rey, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, Zurich/Bâle/Genève 2008, p. 124 ch. 525).
En présence d'une omission,
il n'est pas évident de distinguer entre rapport de causalité naturelle et adéquate (cf.
ATF 132 III 715 consid. 2.3, ATF 132 III 305 consid. 3.5, ATF 115 II 440 consid. 5a),
à telle enseigne que d'aucuns retiennent que - ces liens étant fondés sur la même
hypothèse - seule la causalité hypothétique doit être examinée (cf. Gross,
Staatshaftungsrecht, p. 197). En définitive, étant posé que l'ordre juridique imposait
à une personne un devoir d'agir en vue d'empêcher la survenance du préjudice, il s'agit
d'établir si un acte de cette personne aurait permis d'empêcher celle-ci (cf. Werro,
La responsabilité civile, p. 48 ch. 188 s.).
Enfin, si l'on excepte le tort moral, qui représente la diminution
du bien-être qu'une personne subit à la suite d'une atteinte à sa personnalité (cf.
Werro, La responsabilité civile, op. cit., p. 36 ch. marg. 132),
l'événement dommageable doit porter atteinte au patrimoine du lésé. D'une manière
générale, le dommage juridiquement reconnu correspond
à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant
que celui-ci aurait atteint si l'événement dommageable ne s'était pas produit (cf. ATF
132 III 186 consid. 8.1, ATF 132 III 321 consid. 2.2.1, ATF 131 III 360 consid. 6.1, ATF
129 III 18 consid. 2.4, ATF 129 III 331 consid. 2.1, ATF 127 III 73 consid. 4).
Il s'agit donc nécessairement d'un dommage patrimonial, à l'exclusion de l'atteinte à
des biens personnels idéels ou affectifs (cf. arrêt
du Tribunal fédéral 4C.79/2001 du 21 juin 2001 consid. 4a; ATF 123 IV 145 consid. 4b/bb;
Werro, Commentaire romand, p. 267 ch. marg. 8 ad art. 41
CO; Brehm, Berner Kommentar, ch. 69 s. ad art. 41 CO).
4.
La perte de soutien
4.1
L'art. 5 LRCF - auquel renvoie l'art. 19 al. 1 let. a LRCF - prévoit
qu'en cas de mort d'homme, les dommages-intérêts comprennent les frais, notamment ceux d'inhumation.
Lorsque, par suite de la mort, d'autres personnes ont été privées de leur soutien, il
y a également lieu de les indemniser de cette perte. L'art. 5 2e phrase
LRCF correspond mot pour mot à l'art. 45 al. 3 CO et rien n'indique que le législateur
ait entendu se distancier des règles de droit civil en cette matière, ce qui permet
de s'inspirer par analogie de la jurisprudence et de la doctrine relatives à cette dernière
disposition.
4.2
L'art. 45 al. 3 CO déroge au système général du CO en permettant
exceptionnellement la réparation du préjudice réfléchi,
c'est-
à-dire subi par contrecoup par des tiers indirectement lésés
(cf. ATF 127 III 403 consid. 4b/aa, ATF 112 II 118 consid. 5b, ATF 82 II 36 consid. 4a;
arrêt du Tribunal fédéral 4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 4; Brehm,
La réparation du dommage corporel, p. 83 s.; Heinrich Honsell,
Schweizerisches Haftpflichtrecht, 4e éd.,
Zurich/Bâle/Genève 2005, p. 101 ch. 89; Werro, Commentaire
romand, p. 315 ch. marg. 11 ad art. 45 CO). Cette disposition doit, de ce fait, être
interprétée restrictivement
(cf. ATF 112 II 118 consid. 5b, ATF 82 II 36 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral
4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 4; Brehm, Berner Kommentar,
ch. 35 ad art. 45 CO).
4.3
Elle exige en premier lieu que le défunt apparaisse comme
un soutien du ou des demandeur(s). Est considéré soutien celui qui, s'il n'était
pas décédé, aurait subvenu, par des prestations gratuites dans leur principe, en tout
ou partie à l'entretien d'une autre personne dans un avenir plus ou moins proche. La perte de soutien
peut donc non seulement être effective, mais
aussi hypothétique.
4.4
Le soutien hypothétique
est celui qui, avec une grande vraisemblance, aurait assuré un jour l'entretien du
ou des demandeur(s), s'il n'était pas décédé (cf. arrêt du Tribunal fédéral
4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 4; ATF 114 II 144 consid. 2a, ATF 112 II 87 consid. 2a;
Rey, op. cit., p. 67 ch. 288; Werro,
Commentaire romand, p. 316 ch. marg. 16 ad art. 45 CO [qui utilise en revanche l'expression
« selon toute probabilité »]; Brehm, Berner Kommentar,
ch. 193 ad art. 45 CO [qui parle quant à lui d'hypothèse « sérieusement
vraisemblable »]; Brehm, La réparation
du dommage corporel, p. 171 ch. marg. 393 [où il est question de « haute
vraisemblance »]). Il faut donc établir les faits permettant de conclure que, dans
le cours normal des choses, la personne décédée aurait un jour aidé le ou les demandeurs
(cf. ATF 66 II 206 consid. 3, ATF 62 II 58 consid. a; arrêt du Tribunal fédéral
4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 4). Comme les incertitudes sont nombreuses (cf. Piermarco
Zen-Ruffinen, La perte de soutien, Berne 1979, p. 30), le juge doit se montrer prudent
(cf. Deschenaux/Tercier, op. cit., p. 236 ch. 21; Karl
Oftinger/Emil Wilhelm Stark, Schweizerisches Haftpflichtrecht, Allgemeiner Teil, 5e éd.,
Zurich 1995, p. 338 ch. 269).
Peut être considéré comme soutien
hypothétique notamment l'enfant encore incapable de gagner sa vie, mais qui aurait,
plus tard, pu venir en aide à ses parents (cf. ATF 112 II 118 consid. 3, ATF 72 II 192). La
jurisprudence de la première moitié du XXe siècle
comporte un certain nombre de précédents sur la question (cf. ATF 17 I 641, ATF 22 I
1226, ATF 33 II 88, ATF 35 II 285, ATF 54 II 9, ATF 54 II 138, ATF 57 II 53 consid. 2 et 3,
ATF 58 II 29 consid. 6 in Journal des Tribunaux [JdT] 1932 I 359, ATF 62 II 58, ATF 79 II 350 consid. 3,
ATF in JdT 1942 I 475 no 29 et ATF in
JdT 1943 I 461 no 26). Cela étant,
elle s'est montrée relativement restrictive, considérant un enfant comme le soutien
futur hypothétique de ses parents uniquement dans des conditions exceptionnelles (cf. Brehm,
Berner Kommentar, ch. 193 ad art. 45 CO; Brehm, La réparation
du dommage corporel, p. 171 s.). Dans un arrêt datant de 1932, le Tribunal fédéral
a ainsi reconnu le besoin de soutien des parents de l'enfant sur la base du constat de leur situation
économique précaire (ATF 58 II 29 consid. 6). A l'époque déjà, soit
bien avant l'introduction du système de retraite tel qu'il est connu aujourd'hui, l'idée a
été exprimée selon laquelle les enfants ne subvenaient pas à l'entretien de leurs
parents dans le cours normal des choses. Toutefois, le Tribunal fédéral a retenu que cette
appréciation ne valait pas pour des gens dans la situation économique des demandeurs.
En revanche, dans un autre arrêt de la même année (ATF 58 II 213 consid. 4), le Tribunal
fédéral a dénié le besoin de soutien des parents vis-à-vis de leur enfant, soulignant
que l'assistance des parents par leurs enfants n'est nullement un phénomène constant ni même
très général dans des cas, comme celui dont il était saisi, où le père
- même sans être très fortuné, et tout en jouissant d'un traitement modeste
- exerçait une profession très honorable (il s'agissait d'un agent de police communale),
« où les possibilités d'avancement [étaient] nombreuses et où l'homme
probe et actif se créé[ait] normalement des relations destinées à lui procurer
d'utiles sources de revenus, au delà de l'âge de la retraite ». Même en faisant
abstraction de la pension de retraite qu'aurait touchée le père au moment de sa retraite, le
Tribunal fédéral ne s'est pas rangé à la thèse selon laquelle, dans le cours
normal des choses, les demandeurs - père et mère du défunt - auraient été
un jour dans la nécessité de requérir l'aide financière du défunt.
Par la suite, le Tribunal fédéral a maintenu la ligne ainsi tracée.
Dans un arrêt du 18 mars 1936 (ATF 62 II 58 consid. a), en référence à
cette jurisprudence, il a rappelé qu'il avait fait preuve de beaucoup de retenue dans l'allocation
d'indemnités lorsqu'il s'agissait de dire si un enfant serait un jour devenu le soutien de ses parents,
sans avoir été jusqu'à exclure en principe toute indemnité. Dans l'affaire en question,
il s'agissait d'une famille modeste d'horlogers, dont le père se trouvait au chômage. Le Tribunal
fédéral a - dans ce cas précis - admis que, dans le cours ordinaire
des choses, l'enfant aurait contribué à l'entretien du ménage commun. Cela étant,
il a rectifié la somme allouée par les premiers juges, celle-ci lui paraissant trop élevée
notamment au regard du fait qu'à l'époque où l'enfant aurait atteint l'âge de 18
ans, ses parents auraient encore joui de toute leur force de travail (cf. ATF 62 II 58 consid. a).
Puis encore, dans un arrêt ultérieur (cf. ATF in JdT 1946 I 490 no 31),
le Tribunal fédéral a souligné que la perte d'un soutien futur ne devait être
admise qu'avec beaucoup de circonspection et de retenue, c'est-à-dire dans des cas où
des circonstances toutes particulières le justifiaient. Le nombre d'années au bout desquelles
l'enfant serait venu en aide à ses parents était parfois si grand et le secours futur si aléatoire
que cette éventualité apparaissait trop hypothétique pour qu'une indemnité puisse
être fixée, même approximativement. Cependant, le juge devait tenir compte équitablement
de toutes les circonstances, y compris celles qui, dans le cas d'espèce, rendaient vraisemblable
que, dans un avenir pas trop éloigné, la victime de l'accident aurait contribué en quelque
mesure par son travail aux frais du ménage. Le Tribunal fédéral a estimé dans cette
affaire que les parents du défunt auraient, à vues humaines, eu besoin de l'appui de leurs
enfants, tout en précisant que le père (demandeur) était simple journalier, n'avait que
son modeste salaire d'ouvrier pour entretenir sa famille et qu'en outre le ménage s'était
endetté pour fonder son foyer.
Cela étant, l'introduction de l'assurance-vieillesse et celle de la
prévoyance professionnelle dite du 2e pilier
(loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants
et invalidité [LPP, RS 831.40]) a de plus en plus remplacé la solidarité de famille et,
au fil du temps, les cas dans lesquels un soutien futur a été admis sont devenus rares, le
dernier arrêt du Tribunal fédéral en ce sens datant du 4 février 1961 (arrêt
non publié Gay/Vaudoise cité in Brehm, La réparation du dommage
corporel, p. 173 ch. marg. 395). Dans les arrêts du Tribunal fédéral les
plus récents sur la question, cette perte de soutien future a été niée (cf. ATF 112
II 118 consid. 3 et ATF 72 II 192; Werro, La responsabilité
civile, p. 271 ch. marg. 1074; Werro, Commentaire romand,
ch. 16 ad art. 45 CO; Marc Schaetzle/Stephan Weber, Manuel de
capitalisation, Zurich 2001, ch. 3.387; voir aussi les autres arrêts cités par Brehm,
La réparation du dommage corporel, p. 174 ch. marg. 398).
Il convient de garder à l'esprit que, pour autant qu'il soit admis,
la durée du soutien est dans la plupart des cas limitée dans le temps. En effet, dans le cours
normal des choses, un enfant adulte se marie et la charge du nouveau ménage absorbe l'essentiel
du revenu. Par ailleurs, si le soutien était féminin, il y a lieu d'envisager la cessation
au moins temporaire d'une activité professionnelle avec la venue des enfants (cf. Brehm,
La réparation du dommage corporel, p. 175 ch. marg. 401).
4.5
La qualité de soutien relève du fait; elle
n'est déterminée ni par le lien de parenté, ni par les droits de succession (cf. ATF 82
II 36 consid. 4). Il importe donc peu de savoir si le soutien est fourni à titre d'obligation
légale, contractuelle ou morale (cf. ATF 114 II 144 consid. 2a, ATF 72 II 165, ATF 54
II 9 consid. 2, ATF 53 II 50; Brehm, Berner Kommentar, ch. 41,
42 et 43a ad art. 47 CO; Brehm, La réparation du dommage corporel,
p. 91 ch. 173 s. et p. 115 ch. 243 s.; Anton Schnyder,
in: Basler Kommentar, Obligationenrecht I, Heinrich Honsell/Nedim Peter Vogt/Wolfgang Wiegand
[éd.], 4e éd., Bâle 2007,
ch. 8 ad art. 45 CO; Werro, Commentaire romand, p. 316 ch. marg. 17
ad art. 45 CO). Ce qui est décisif, c'est que - si l'accident n'avait pas eu lieu -
le défunt aurait subvenu ou continué de subvenir, en totalité ou en partie, à l'entretien
de la personne dans un avenir plus ou moins proche (cf. ATF 114 II 144 consid. 2a, ATF 112 II 87
consid. 2, ATF 82 II 39; Werro, La responsabilité civile, p. 271
ch. marg. 1075; Werro, Commentaire romand, p. 316 ch. marg. 17
ad art. 45 CO). Il n'est donc pas déterminant que les enfants soient ou non tenus légalement
de pourvoir à l'entretien de leurs parents. Seul est déterminant le
soutien effectif qui est apporté, respectivement qui sera selon une haute vraisemblance apporté
dans le futur.
4.6
Le fait que le demandeur ait encore d'autres parents
tenus envers lui à un devoir d'assistance n'est pas relevant (cf. ATF 74 II 202 - JdT
1949 I 516; Brehm, La réparation du dommage corporel, p. 112 ch. marg.
234). Cette circonstance n'affecte en rien le droit de la personne soutenue de réclamer une indemnité
à titre de perte de soutien à l'encontre du tiers responsable. L'auteur d'un acte illicite
ne doit pas profiter du fait qu'une personne qui, par sa faute, a perdu son soutien, peut faire valoir
des prétentions alimentaires contre une autre personne; en d'autres termes, l'auteur de l'acte ne
peut se prévaloir du fait que d'autres personnes, qu'elles soient ou non juridiquement obligées
de le faire, s'occuperont désormais du lésé (cf. ATF 57 II 180 in JdT 1932
I 41; Brehm, La réparation du dommage corporel, p. 112 ch. marg. 234).
4.7
L'assistance peut du reste affecter différentes formes.
L'art. 45 al. 3 CO permet non seulement d'indemniser la perte de soutien consistant en
des prestations en espèces mais également la disparition
d'un soutien en nature ayant une valeur économique
(Brehm, La réparation du dommage corporel, p. 93 ch. marg. 180).
Le soutien n'est donc pas seulement celui qui remet à autrui les biens nécessaires à
la vie ou de l'argent pour se les procurer. C'est aussi la personne qui consacre directement son
travail à une autre, en préparant ses repas, en soignant ses vêtements et son logis, etc.
(dommage ménager), car cette activité contribue
également à l'entretien de celui qui en bénéficie. Ce qui est compensé
n'est pas l'atteinte à la capacité de gain, mais l'atteinte à la capacité de travail
comme telle (cf. Werro, Commentaire romand, p. 271 ch. marg. 25
ad art. 41 CO). Aussi a-t-il été reconnu qu'une femme pouvait être considérée
comme le soutien de son mari, en cela qu'elle tenait son ménage (cf. ATF 127 III 403 consid. 4b,
ATF 108 II 434 consid. 2b, ATF 82 II 36 consid. 4a, ATF 53 II 125, ATF 57 II 182; arrêt
du Tribunal fédéral 4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 5a et arrêt du Tribunal
fédéral du 30 octobre 1940 dans la cause Müller-Margot c. Marx-Willer et consorts,
consid. 6b; Werro, La responsabilité civile, p. 272 ch. marg. 1079).
Cette indemnisation est calculée indépendamment du fait qu'après le décès du
soutien les tâches effectuées par celui-ci ont été remplacées par l'engagement
d'une aide extérieure, par les membres du ménage restant ou qu'il en est résulté
une perte de qualité (cf. ATF 127 III 403 consid. 4b; arrêts du Tribunal fédéral
4C.195/2001 du 12 mars 2002 consid. 5a et 4C.59/1994 du 13 décembre 1994 consid. 5a
publié in JdT 1996 I 728). La particularité du dommage ménager
tient au fait qu'il doit être réparé même s'il ne se traduit pas par des dépenses
accrues et ne correspond de ce fait à aucune diminution du patrimoine (cf. ATF 127 III 403
consid. 4b; Werro, Commentaire romand, p. 271 ch. marg. 25
ad art. 41 CO).
4.8
La personne soutenue doit avoir besoin du soutien (cf.
Werro, La responsabilité civile, p. 273 ch. marg. 1080; Brehm,
Berner Kommentar, ch. 54 ss ad art. 45 CO; Rey, op. cit.,
p. 68 ch. 291; Werro, Commentaire romand, ch. 21 ad art. 45
CO). Un tel besoin est admis lorsque, à la suite du décès du soutien, le niveau de vie
antérieur ne peut plus être maintenu (ATF 113 II 323). Pour que la personne assistée ait
droit à des dommages-intérêts, il n'est donc pas nécessaire qu'elle tombe dans la
gêne par suite du décès de son soutien; il suffit qu'elle subisse une atteinte pécuniaire
dans son genre de vie conforme à son état (cf. ATF 82 II 36 consid. 4a, ATF 59 II 463,
ATF 57 II 182). En d'autres termes, le niveau de vie dont jouissait la personne soutenue doit être
effectivement réduit après le décès du soutien, sans qu'il soit nécessaire que
la personne soutenue tombe dans le dénuement (cf. ATF 114 II 144 consid. 2, ATF 82 II 36, ATF
59 II 463; Werro, La responsabilité civile, p. 273 ch. marg. 1080).
Cela étant, dans ses derniers arrêts (cf. ATF 112 II 87, ATF 108 II 434 et ATF 102 II 90),
le Tribunal fédéral a limité la notion de perte de soutien aux cas où le maintien
du niveau de vie serait « considérablement »
(wesentlich) atteint. Il s'ensuit que, pour autant que le lésé ne puisse pas remédier
de lui-même à la perte de soutien, ou qu'il ne le puisse qu'avec peine, la diminution (même
peu importante) du niveau de vie qui en résulte constitue un dommage donnant droit à réparation
(cf. Brehm, La réparation du dommage corporel, p. 96 ch. marg. 187).
Le maintien du niveau de vie ne comprend pas les dépenses exceptionnelles qui revêtent un caractère
exagéré (cf. ATF 59 II 461 consid. 2b; Werro, La responsabilité
civile, p. 273 ch. marg. 1081; Werro, Commentaire romand, ch. 22
ad art. 45 CO). Selon certains, il en irait différemment des dépenses élevées
mais régulières et conformes au train de vie existant (cf. Werro,
La responsabilité civile, p. 273 ch. marg. 1081; Werro, Commentaire
romand, ch. 22 ad art. 45 CO; Brehm, Berner Kommentar, ch. 49
ad art. 45 CO).
5.
Principe inquisitoire et fardeau de la preuve
5.1
La procédure est dominée par le principe inquisitoire,
lequel s'oppose à la maxime des débats. Cela signifie que l'autorité doit établir
les faits d'office. L'autorité constate l'état de fait pertinent et procède d'office,
s'il y a lieu, à l'administration des preuves (art. 12 PA). Le Tribunal administratif
fédéral n'est pas lié par les faits allégués et les preuves offertes par les
parties. Il doit s'attacher à établir l'état de fait de manière correcte, complète
et objective, afin de découvrir la réalité matérielle (cf. Clémence
Grisel, L'obligation de collaborer des parties en procédure administrative, Lausanne 2008,
ch. marg. 140).
La force et les exigences du principe inquisitoire sont tempérées
par plusieurs éléments et autres principes.
En premier lieu, il ne s'agit
pas d'un établissement des faits ab ovo. Il convient de tenir compte de l'état de fait déjà
établi par l'autorité inférieure et il ne s'agit pas de repartir de zéro. Il
est dès lors rationnel de demander aux parties de motiver leur recours et d'attendre d'elles qu'elles
indiquent à l'autorité de seconde instance les éléments de faits qui leur paraissent
essentiels, plutôt que de demander à l'autorité de procéder à de nouvelles et
complètes investigations. Les parties ne peuvent se contenter simplement de laisser au juge le soin
de suppléer à leur manquement (Grisel, op. cit., ch. marg. 152,
158 et 165). En ce sens, le principe inquisitoire est une obligation de revoir
l'établissement des faits plus que d'établir ces derniers (cf. Alfred
Kölz/Isabelle Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes,
2e éd., Zurich 1998, ch. 676).
En second lieu, si le juge remarque
spontanément et d'emblée des éléments qui ressortent du dossier, sans qu'ils
aient été allégués, il doit certes en tenir compte et leur appliquer le droit d'office.
Cependant, l'autorité compétente ne procède à de telles constatations de fait
complémentaires ou n'examine d'autres points de droit que si
les indices correspondants ressortent clairement
des griefs présentés ou des pièces du dossier
(cf. ATF 119 V 349 consid. 1a, ATF 117 V 261 consid. 3b, ATF 110 V 199, ATF 110 V 53
consid. 4a; André Grisel, Traité de droit administratif,
vol. II, Neuchâtel 1984, p. 927, ci-après: Traité de droit administratif;
Kölz/Häner, op. cit., ch. 112, 603 et 677).
En outre, le principe inquisitoire est complété (cf. Revue de
droit administratif et de droit fiscal [RDAF] 2003 II 584 consid. 2.3), voire corrigé
(Grisel, op. cit., ch. marg. 142 s.) par l'obligation
pour les parties de collaborer (art. 13 PA). La maxime inquisitoire ne dispense dès
lors pas les parties d'une collaboration active à la procédure et d'étayer leurs propres
thèses. Il leur incombe ainsi de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer
les moyens de preuve disponibles (cf. ATF 128 III 411, ATF 107 II 233). L'administré ne doit pas
se reposer sur l'autorité et s'en remettre aux différents moyens dont elle dispose pour établir
les faits afin d'esquiver son devoir de collaborer (cf. Grisel, op. cit.,
ch. marg. 157). Si l'administré y contrevient, il ne saurait en principe se prévaloir
d'une mauvaise constatation des faits pertinents (cf. RDAF 2003 II 584 consid. 2.3) ni profiter
des règles sur le fardeau de la preuve, qui n'interviennent qu'après la phase de l'établissement
des faits. En définitive, si en théorie l'autorité doit accomplir son devoir d'instruction
indépendamment du comportement des parties, il n'en va pas toujours de même en pratique.
Lorsque l'administré est seul à connaître certains faits déterminants pour l'issue
de la cause et qu'il contrevient à son obligation de révéler ces faits, l'autorité
se trouve dans une impasse. Il lui est en effet impossible d'établir les faits. Dans cette hypothèse,
l'autorité n'a simplement pas d'autre choix que de statuer en l'état du dossier (cf. Grisel,
op. cit., ch. marg. 793).
5.2
Une fois les investigations requises terminées et après une libre appréciation
des preuves en sa possession, le juge se trouve à un carrefour. S'il estime que l'état
de fait est clair et que sa conviction est acquise, il peut rendre sa décision et renoncera
donc à des mesures d'instruction et à des offres de preuve supplémentaires, en faisant
appel à une appréciation anticipée des preuves.
Un rejet d'autres moyens de preuve est également admissible s'il apparaît que leur administration
serait de toute façon impropre à entamer la conviction du juge, reposant sur des pièces
écrites ayant une haute valeur probatoire. Par contre, si sa conviction n'est pas acquise,
le juge doit appliquer les règles sur le fardeau de la preuve
et résoudre le litige à l'aide de ces règles (cf. Moser/Beusch/
Kneubühler, op. cit., ch. 3.149 ss).
Les règles du fardeau de la preuve
sont déterminées par le droit matériel. A défaut de disposition spécifique,
il y a lieu de se référer aux règles générales. En vertu de l'art. 8 du
Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC, RS 210), chaque partie doit, si la loi ne dispose
pas le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. Cette disposition
s'applique par analogie en droit administratif (cf. ATF 122 III 219 consid. 3c, ATF 92 I 253; Grisel,
op. cit., ch. marg. 171 ss). Il appartient ainsi au lésé d'établir
l'existence des conditions déterminant la responsabilité civile, à savoir
l'acte illicite, le dommage et un rapport de causalité entre ces deux éléments (cf. ATF
132 II 305 consid. 4.1, ATF 106 Ib 357 consid. 2b). En droit privé, l'art. 42 al. 1
du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO, RS 220), qui reprend le principe énoncé à
l'art. 8 CC, prévoit d'ailleurs qu'il revient au demandeur de prouver le dommage, que ce soit
quant à son existence ou quant à son montant (cf. ATF 122 III 219 consid. 3a;
Werro, Commentaire romand, p. 289 ch. marg. 3 ad art. 42 CO). S'agissant plus
spécifiquement de la perte de soutien, le fardeau de la preuve se rapporte à toutes les conditions
dont elle requiert la réalisation (cf. Brehm, La réparation
du dommage corporel, p. 114 ch. marg. 240).
5.3
En droit privé, s'agissant du dommage, la règle selon laquelle la preuve de son montant
en incombe au demandeur, rappelée à l'art. 42 al. 1 CO, se voit nuancée par
l'alinéa 2. Selon l'art. 42 al. 2 CO, lorsque le montant exact du dommage ne peut
être établi, le juge le détermine équitablement, en considération du cours
ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Cette disposition, qui tend
à instaurer une preuve facilitée
en faveur du lésé (cf. Max Kummer, Berner Kommentar zum
Schweizerisches Zivilgesetzbuch. Einleitung, Art. 1-10 ZGB, Berne 1966, ch. 70 et 245 ad art. 8
CC), octroie un large pouvoir d'appréciation au juge, dans les cas où la preuve stricte du
dommage est exclue, en ce sens qu'elle permet de considérer le dommage comme établi sur la
base d'une simple estimation (cf. ATF 122 III 219 consid. 3a). Selon la jurisprudence, l'art. 42
al. 2 CO n'est pas seulement applicable lorsqu'il est impossible d'apporter la preuve chiffrée
du montant du dommage, mais également lorsque le fait même qu'un dommage a été occasionné
n'est pas strictement démontrable (cf. ATF 122 III 219 consid. 3a, ATF 95 II 481 consid. 12,
ATF 93 II 453 consid. 3, ATF 81 II 50 consid. 5 et les réf. cit.; dans ce sens également:
Werro, Commentaire romand, p. 293 ch. marg. 24 ad art. 42
CO, malgré sa remarque p. 293 ch. marg. 23).
Toutefois, le champ d'application de l'art. 42 al. 2 CO est limité.
Le juge ne peut y recourir que si le préjudice est tel qu'il est impossible
à établir, si les preuves nécessaires font
défaut ou si l'administration de celles-ci ne peut raisonnablement
être exigée du demandeur (cf. Werro,
La responsabilité civile, p. 244 ch. marg. 961; Werro,
Commentaire romand, p. 294 ch. marg. 26 ad art. 42 CO). Cette disposition ne libère
pas le demandeur de la charge de fournir au juge, dans la mesure où c'est possible et où
on peut l'attendre de lui, tous les éléments de fait constituant des indices de l'existence
du dommage et permettant ou facilitant son estimation; elle n'accorde pas au lésé la faculté
de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts
de n'importe quelle ampleur (cf. ATF 131 III 360 consid. 5.1, ATF 122 III 219 consid. 3a,
confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 4C.255/1998 du 3 septembre 1999
publié in: Semaine judiciaire [SJ] 2000 I p. 269 consid. 6c). Les circonstances alléguées
par le lésé doivent être aptes à prouver de manière suffisante le fait qu'un
dommage soit survenu et son ampleur. La conclusion selon laquelle un dommage de l'ampleur prétendue
se soit effectivement passé doit s'imposer au Tribunal administratif fédéral avec une
certaine force de conviction (cf. ATF 122 III 219 consid. 3a, ATF 98 II 34 consid. 2), soit
avec une quasi-certitude (cf. Werro, La responsabilité
civile, p. 245 ch. marg. 964; Werro, Commentaire romand, p. 294
ch. marg. 29 ad art. 42 CO). L'allocation de dommages-intérêts présuppose
en effet que la survenance du dommage prétendu ne se situe pas seulement dans le champ des possibilités,
mais apparaisse proche de la certitude (cf. ATF 122 III 219 consid. 3a;
Brehm, Berner Kommentar, ch. 52 ad art. 42 CO).
6.
En subsomption
En l'espèce, le Tribunal administratif fédéral se penchera
tout d'abord sur les conclusions des recourants A. (père de la victime) et B. (mère de la victime),
tendant au versement d'un certain montant à titre de perte de soutien (consid. 6 et 7) (...).
Il s'agit de vérifier que les conditions pertinentes pour la réparation d'un dommage
sont établies.
6.1
Illicéité
S'agissant de l'illicéité,
le Tribunal administratif fédéral relève ce qui suit. Se pose la question de savoir si
une action ou une omission peut être reprochée à Skyguide, l'omission nécessitant
au surplus que Skyguide se soit trouvée dans une position de garant vis-à-vis des recourants
(cf. consid. 3). A cet égard, il convient de rappeler que le service de la navigation aérienne
a pour mission de garantir un déroulement sûr, ordonné et fluide du trafic aérien
(art. 1 al. 4 LA). Ceci implique notamment d'éviter les collisions entre aéronefs,
en assurant une distance minimale suffisante entre ceux-ci. Normalement, la distance prescrite
dans l'espace aérien concerné est de 5 miles horizontalement ou de 1'000 pieds verticalement
(cf. ch. 3 par. 3.4.1 let. a de l'annexe 11 à la Convention du 7 décembre
1944 relative à l'aviation civile internationale [RS 0.748.0;
l'annexe 11 peut être consultée sur le site de l'Office fédéral de l'aviation
civile < http://www.bazl.admin.ch > Documentation > Législation internationale
> Annexes techniques]; ces minimas de séparation étant directement applicables
en Suisse en vertu de l'art. 3 al. 1 OSNA; voir également: Air Traffic Management
Manual des Leiters ACC Zürich, version du 21 mars 2002 de Skyguide [ATMMZC], vol. 2, partie 1
« Verfahren IFR-Flüge [=Instrumentalflüge] », chap. « Radardienst »,
pt. 3 « Radarstaffelungsminima »; cf. Vautier,
op. cit., p. 51). La nuit du 1er
au 2 juillet 2002, compte tenu de la réorganisation de l'espace aérien surveillé
par le centre de contrôle aérien de Zurich et des travaux de sectorisation prévus,
il fallait observer une marge de sécurité supplémentaire. A partir de 21h13 UTC (23h13
heure locale), Skyguide devait veiller à respecter une distance de 7 miles horizontalement
et de 1'000 pieds verticalement (cf. rapport du BFU, op. cit., p. 39 et la réf.
cit. à l'ATMMZC, vol. 2 et p. 109). Skyguide avait dès lors, de manière incontestable,
une position de garant par rapport aux lésés.
A cet égard, Skyguide reconnaît elle-même avoir agi de telle
manière que cette distance minimale entre les deux avions n'a pas été respectée (...),
ce qui laisse supposer une action. Cela étant, au regard
du déroulement des faits, on devrait plutôt retenir une
omission de sa part. Il faut rappeler que l'équipage
du Boeing avait reçu l'autorisation de la part du contrôle aérien de se porter au niveau
de vol 360, qu'il a atteint à 21h29:50 UTC (23h29:50 heure locale), et que le Tupolev est survenu
par la suite dans l'espace aérien contrôlé par Skyguide, à la même altitude.
Vu les trajectoires des deux aéronefs, il appartenait ainsi à Skyguide de donner l'instruction
à l'équipage du Tupolev de descendre au niveau de vol 350, ce qu'elle a certes fait, mais de
manière tardive, à 21h34:49 UTC (23h34:49 heure locale). Selon le rapport du BFU (op. cit.,
p. 109), l'instruction en question aurait dû être donnée au plus tard à 21h33:49
UTC (23h33:49 heure locale), compte tenu du fait que la distance horizontale de 7 miles a été
franchie à 21h34:56 UTC (23h34:56 heure locale) et de la vitesse de descente habituelle à cette
altitude, qui est de 1000 pieds par minute. En ce sens, il y a eu omission
de la part de Skyguide, puisqu'elle n'a pas donné l'ordre nécessaire à l'équipage
du Tupolev en temps utile.
Cette omission est manifestement cruciale. Il n'est dès lors pas nécessaire
de se pencher sur la pertinence d'autres actions de Skyguide, qui ont pu jouer un rôle dans la survenance
de la collision, telle que la mauvaise indication donnée par le contrôleur du trafic aérien
à l'équipage du Tupolev sur la position du Boeing (cf. annexe 2 au rapport du BFU, op. cit.).
6.2
Lien de causalité
S'agissant du lien de causalité, il faut d'emblée préciser
que la perte de soutien dont il s'agit ici représente un dommage
réfléchi (cf. consid. 4.2), à savoir
un dommage que subit une tierce personne qui est en relation avec la victime de l'atteinte (cf. Werro,
Commentaire romand, p. 269 ch. marg. 15 ad art. 41 CO). Dès lors, la question
se pose dans les termes suivants. Le décès de X. se trouve-t-il en rapport de causalité
avec l'acte ou l'omission
de Skyguide? Les conditions topiques de l'indemnisation de la perte de soutien, qui posent la question
de la causalité à un stade, respectivement selon des termes différents, seront examinés
plus loin (consid. 6.3).
L'intimée a toujours reconnu qu'en « transgressant la distance
minimale », son omission avait constitué l'une des causes de l'accident (...).
Le respect de la distance minimale aurait de manière certaine permis d'éviter la collision.
Ceci ressort également de manière indéniable
du rapport du BFU (cf. rapport du BFU, op. cit., p. 6, 109 et 117 « Die Anweisung
zum Sinkflug an die TU154M erfolgte zu einem Zeitpunkt, als die vorgeschriebene Staffelung zur B757-200
nicht mehr gewährleistet werden konnte »; « Die Einhaltung der vorgeschriebenen
Staffelung hätte den Unfall sicher verhindert »). La causalité
hypothétique entre l'acte omis et la collision aérienne,
respectivement le décès de la victime, est réalisée, ce que l'intimée ne nie
pas (...).
Cela étant, il n'est pas déterminant que d'autres faits se trouvent
également dans un rapport de cause à effet avec l'accident. Il en irait différemment
uniquement si une autre cause revêtait une importance telle qu'elle relèguerait à l'arrière-plan
l'acte - respectivement l'omission - reproché à l'intimée, à savoir le
fait d'avoir agi de telle manière que la distance minimale entre les deux avions a été
transgressée, respectivement omis d'agir de manière à ce que la distance minimale entre
les deux avions soit respectée (cf. Werro, La responsabilité
civile, p. 56 ch. marg. 222 et p. 58 ch. marg. 230; Brehm,
Berner Kommentar, ch. 132 ad art. 41 CO). L'intimée soutient en particulier que l'équipage
du Tupolev a commis une faute grave en ne tenant pas compte des instructions du TCAS, système indépendant
du contrôle au sol, permettant de signaler à un pilote si un autre avion se trouve dans son
espace proche et s'il y a un risque de collision. A son sens, ce manquement constituerait la cause principale
de l'accident (...). Selon elle, les recourants eux-mêmes auraient fait valoir cette négligence
contre Bashkirian Airlines dans le cadre de la procédure qu'ils ont ouverte contre cette dernière
en Espagne (...). Cela étant, l'intimée ne va pas jusqu'à affirmer que cette
prétendue négligence interromprait le lien de causalité adéquate entre son
propre manquement et la collision aérienne, respectivement le décès de la victime (...).
Le Tribunal administratif fédéral partage cette opinion. Que l'on puisse ou non reprocher
à l'équipage du Tupolev d'avoir négligé de tenir compte des instructions du TCAS,
il est clair qu'il incombait en premier lieu
à Skyguide de guider les deux appareils, de manière à ce que la distance de sécurité
soit respectée. Quand le TCAS se déclenche à bord d'un aéronef, c'est que la distance
minimale de sécurité entre deux appareils n'est plus garantie et qu'il y a déjà,
à la base, une erreur du service de contrôle de la circulation aérienne (voir en ce sens
Vautier, op. cit., p. 136). Cette considération ne vaut bien
évidemment qu'au point de vue externe, à savoir vis-à-vis des lésés. Elle ne
préjuge dès lors pas du sort de procédures internes entre Skyguide et d'autres éventuels
responsables, qui ne sont pas l'objet du litige.
6.3
La perte de soutien
6.3.1
S'agissant du dommage, il sied de relever que les recourants réclament une indemnité
à titre de perte de soutien. Leurs recours ne sont guère explicites quant à la
manière dont celle-ci serait composée. Leurs allégations présentent un déficit
à cet égard. Toutefois, le Tribunal administratif fédéral peut - en vertu
du principe inquisitoire - relever les éléments qui ressortent clairement du dossier,
même s'ils n'ont pas été allégués (cf. consid. 5.1). Il est donc possible
de s'en référer aux indications qui ressortent de l'expertise produite par les recourants,
à l'appui de leurs mémoires de recours. Par conséquent, à y regarder de plus près,
cette indemnité se subdivise en trois postes distincts,
intitulés comme suit au terme du rapport d'expertise précité: (a) « financial
support to parents », (b) « companionship services to parents » et (c)
« advice and counsel services to parents » (...).
Ces postes seront successivement traités ci-après. Il importera
de déterminer pour chacun d'entre eux si les conditions d'une perte de soutien sont réunies,
à savoir d'une part la qualité de soutien et d'autre
part le besoin de soutien (cf. consid. 4.3 et 4.8). Ces
conditions concernent l'existence même
du dommage et priment dès lors toute considération concernant
l'évaluation de ce dommage.
6.3.2
Avant toute chose, le Tribunal administratif fédéral se doit toutefois de relever
que les recourants lui ont fourni peu d'éléments. Ainsi, les faits allégués dans
le cadre des recours pour justifier les prétentions en perte de soutien sont extrêmement succincts.
Les documents destinés à prouver les faits en question ne le sont pas moins. En effet, la seule
annexe aux recours consiste dans l'expertise privée confiée par les recourants au Prof.
S. Les recourants n'ont dès lors produit aucune pièce établissant leurs revenus
et leur fortune, mises à part celles, au demeurant sommaires, produites à la requête du
Tribunal administratif fédéral dans le cadre de l'assistance judiciaire et qui n'ont été
invoquées que dans ce contexte. Aucune réquisition qui permettrait d'établir ces éléments
probants n'a, au surplus, été formulée par les recourants.
Le Tribunal administratif fédéral ne peut que s'interroger sur
cette carence qui affecte aussi bien les faits allégués que les preuves offertes,
respectivement requises, et sur le rôle qui lui est dévolu dans ce contexte. Le principe
inquisitoire auquel le Tribunal administratif fédéral obéit ne va pas jusqu'à lui
imposer de procéder à de nouvelles et complètes investigations, que les recourants
ne réclament d'ailleurs nullement. Aussi, dans la mesure où les recourants n'ont pas estimé
utile d'indiquer certains éléments de faits, relatifs à leur sphère privée,
le Tribunal administratif fédéral ne suppléera pas de lui-même à cette
carence, conformément à ce qui prévaut en la matière. Il incombe en effet aux
parties de renseigner le juge sur les faits de la cause (cf. consid. 5.1). Ce n'est d'ailleurs pas
le rôle du Tribunal administratif fédéral d'indiquer aux recourants quels faits devraient
être allégués et quels documents devraient être produits pour les démontrer.
Une semblable démarche n'aurait plus rien à voir avec le principe inquisitoire mais s'apparenterait
à un service de conseil juridique, dont le mandataire des recourants est chargé. Tout
au plus le principe inquisitoire permet-il au Tribunal administratif fédéral de
prendre en compte les faits qui ressortent - sinon des recours - du moins de l'expertise
privée qu'ils ont produite, pour autant encore qu'ils le soient clairement
(cf. consid. 5.1). La procédure administrative est de la sorte plus avantageuse pour les recourants
que la procédure civile, laquelle voudrait que les faits soient régulièrement allégués,
à défaut de quoi ils ne seraient pas pris en considération. Cela étant, le Tribunal
administratif fédéral relève également que les recourants ont le
fardeau de la preuve des conditions relatives à la
perte de soutien qu'ils font valoir (cf. consid. 5.2). Les recourants devront donc supporter, le
cas échéant, les conséquences liées à des faits qu'ils n'ont pas allégués,
qui ne résultent pas non plus clairement du dossier, respectivement qui ne sont pas démontrés.
Cela étant, il s'agit pour le Tribunal administratif fédéral
d'examiner, au vu du dossier, si l'enfant X. peut être reconnu comme le soutien
futur de ses deux parents.
6.3.3
« Financial
support to parents »
6.3.3.1
S'agissant du premier poste de la perte de soutien (« financial
support to parents »), il résulte de l'expertise
de S., produite par les recourants, que l'évaluation en est faite sur la base des prémisses
suivantes.
Dès que X., né le 27 août 1988 et âgé de 13 ans
et demi au moment de l'accident, aurait eu 21 ans, il aurait consacré 10 % de ses revenus,
déduction faite de ses impôts, à ses parents jusqu'à leur décès.
S. envisage, à titre alternatif, qu'il leur aurait versé 20 % de ses revenus (...).
Il n'est dès lors pas prétendu que l'enfant constituait déjà le soutien de ses parents,
mais qu'il le serait devenu plus tard (soutien futur hypothétique).
Cela étant, cette assertion n'est en rien étayée. L'expert mandaté par les recourants
n'indique pas - alors même que d'autres aspects de son rapport sont bien plus détaillés
- ce qui fonderait une telle prémisse. Il ne se réfère à aucune étude
ou statistiques dans ce domaine. Il ne prétend pas non plus que celles-ci seraient inexistantes.
Rien ne permet de présumer que les données nécessaires feraient totalement défaut;
l'expert précité se réfère d'ailleurs à des statistiques gouvernementales s'agissant
du revenu moyen de salariés ayant suivi un certain cursus scolaire, ainsi qu'on le verra ci-après.
S. explique parallèlement, dans son rapport, que la victime pouvait
prétendre à une formation poussée, compte tenu de l'éducation, du niveau social
et des postes occupés par ses parents (...). Il évoque à ce propos les professions
respectives des père et mère de l'enfant au moment du décès de ce dernier, à
savoir respectivement avocat et professeur (...). Cela étant, l'expertise est dépourvue
d'élément sur un point crucial, à savoir les revenus
des deux parents. Il n'est pourtant pas possible de faire
abstraction de cet élément, d'autant que la différence d'âge entre les parents et
leur enfant est faible (entre 19 et 25 ans). Il s'ensuit que lorsque l'enfant aurait atteint 21
ans, ses parents, alors âgés de 40 ans, respectivement de 46 ans, auraient
été encore pleinement actifs sur un plan professionnel. L'absence de toute référence
aux revenus des parents ne manque pas d'étonner vu le soin porté par l'expert à détailler
d'autres aspects, très personnels, notamment les relations parents-enfants ainsi que les aspirations
et capacités de la victime.
En revanche, les explications de l'expert permettent de retenir ce qui suit.
S. fait référence, s'agissant des revenus qu'aurait réalisés la victime, aux statistiques
gouvernementales, selon lesquelles un travailleur ayant accompli quatre années de collège
réaliserait en Fédération de Russie un revenu approximativement égal à RUB 82'000,
ce qui correspond à USD 2'600, par an en 2002. Bien que l'expertise en question n'indique pas
le revenu qu'une femme pourrait obtenir, à formation équivalente, il résulte d'autres
expertises produites dans des affaires parallèles à la présente que celui-ci se monterait
approximativement à RUB 63'000, ce qui équivaudrait à USD 2'000 par an en 2002
(...). Ceci s'avère pertinent à un autre titre, c'est-à-dire pour ce qui a trait aux
revenus des deux parents, tous deux issus d'un collège, voire de la faculté de droit,
s'agissant du père de la victime. Compte tenu des statistiques précitées, leur revenu
annuel n'est pas censé être inférieur à RUB 82'000 pour le père et à
RUB 63'000 pour la mère. Or ces montants sont largement
supérieurs au revenu vital minimum, lequel atteint
RUB 3'174 par mois, ou RUB 38'088 par an, au Bashkortostan (...). Le Tribunal administratif
fédéral ne cerne dès lors pas pour quelle raison leur fils leur aurait versé
10 %, voire 20 % de ses revenus, dès qu'il aurait atteint 21 ans.
Cette conclusion se trouve renforcée par les observations suivantes.
Dans leur mémoire complémentaire, les recourants ont fait savoir que le père de la victime
réalisait un revenu mensuel moyen de RUB (...), en tant qu'avocat. Sur l'année, les
revenus du père de la victime se monteraient ainsi à plus de RUB (...). A vrai dire,
cette allégation des recourants s'inscrit plutôt dans le cadre de la requête d'assistance
judiciaire qu'ils ont déposée. Mais à supposer qu'elle soit pertinente dans le cadre de
la demande au fond, force serait de constater que le père de la victime dispose d'un montant
très largement supérieur
au revenu vital minimum déjà évoqué (...). Par ailleurs, même si
l'on tient compte de l'allégation, également formulée a priori dans le cadre de
la requête d'assistance judiciaire, selon laquelle la mère de la victime serait sans
emploi, incapable de travailler, depuis la catastrophe, le revenu de son mari paraît assurer à
la famille un train de vie qui ne nécessite nullement le soutien additionnel des enfants.
Au vu de cela, l'expertise de S., produite par les recourants, se révèle
lacunaire, pour ne pas dire contradictoire. Ceci se trouve confirmé par l'expertise
de M., produite par l'intimée. Il y est indiqué qu'en Fédération de Russie et plus
particulièrement au Bashkortostan, la pratique la plus courante est que les parents soutiennent
et assistent leurs enfants et non le contraire. Cet usage serait lié au revenu que reçoivent
les plus jeunes, inférieur à celui de leurs aînés, et se verrait renforcé par
le fait qu'ils
prétendent à plus de biens de consommation, comme des
habits, des meubles et éventuellement une voiture, laquelle pourrait d'ailleurs conditionner
l'obtention d'un bon emploi (...). M. soutient également l'opinion - fondée sur une
étude relative à la sociologie des jeunes - qu'en Fédération de
Russie, comme dans les pays européens, la période durant laquelle des adultes, même
mariés, sont financièrement soutenus par leurs parents tend à s'allonger (...). Finalement,
elle explique que le soutien des parents à leur enfant est d'autant plus important que l'est leur
statut social; des parents aisés entendent ainsi permettre à leur descendance une certaine
ascension sociale et professionnelle (...).
Le Tribunal administratif fédéral estime que l'opinion exprimée
par M. est parfaitement cohérente et vaut certainement pour les recourants, dès lors que ceux-ci
font partie de la classe moyenne supérieure, ainsi que
l'affirme S. dans le cadre de son rapport (« upper middle
class standard »; ...). Il est dès lors tout sauf probable qu'ils auraient
eu recours au soutien de leur enfant, dès que celui-ci aurait atteint ses 21 ans. C'est
bien plutôt la thèse contraire qui apparaît la plus vraisemblable, à savoir que les
parents auraient continué à aider leur enfant, même au-delà de sa 21e année,
afin de faciliter son ascension sociale et professionnelle.
L'expertise de S. ne permet dès lors pas de retenir que l'enfant X.
aurait assuré l'entretien de ses parents à partir de ses 21 ans, s'il n'était pas
décédé. D'une part, la qualité de soutien hypothétique
n'est pas convaincante et, d'autre part, il n'apparaît pas que les parents auraient
eu besoin du soutien de
leur enfant à compter de cette date. A cela s'ajoute que ces conditions doivent pouvoir être
admises avec une grande vraisemblance (cf. consid. 4.4). Or, dans le cas présent, ainsi qu'on
l'a vu, l'hypothèse d'un soutien futur n'est rien moins que vraisemblable. Si l'on tient compte
de la jurisprudence suisse datant des années 1930, principalement antérieure à l'introduction
du système de retraites tel qu'il existe actuellement (cf. consid. 4.4), il était
déjà admis que les enfants ne subvenaient pas à l'entretien de leurs parents dans
le cours normal des choses, une appréciation différente se justifiant pour des personnes vivant
dans une situation économique précaire. S'agissant d'un père qui, même sans être
très fortuné, jouissait d'un traitement modeste de par sa profession, le besoin
de soutien a ainsi été nié (cf. ATF 58 II 213 consid. 4). Dans le cas présent,
le dossier révèle que les recourants ne se trouvent pas dans une situation économique
précaire mais qu'ils font au contraire partie de la classe moyenne supérieure. La qualité
de soutien de leur enfant de même que leur propre besoin de soutien doit donc être niée,
conformément à la jurisprudence.
6.3.3.2
Se pose encore la question de savoir si cette situation aurait changé au
moment où les parents de la victime auraient atteint l'âge de la retraite.
Il s'avère qu'il existe au Bashkortostan un système d'assurance-retraite
pour les femmes à partir de 55 ans et pour les hommes à partir de 60 ans. Quant aux
rentes de retraite, S. indique dans le cadre de son rapport que celles-ci seraient inadéquates pour
assurer les besoins vitaux. Cela étant, il se fonde sur des données datant de 1995, qui ne
sont donc plus forcément d'actualité (...). Bien que citant un rapport de 2002, il
omet étonnamment de parler de la réforme du système de pension de retraite qui en
fait l'objet. Son expertise se révèle lacunaire sur ce point également. Au surplus,
il passe sous silence le montant des rentes en question. Les recourants prétendent parallèlement
à l'expert qu'ils ont mandaté que leurs rentes futures seraient largement inférieures
à leurs revenus actuels (...), mais ils n'ont pas non plus indiqué la somme qu'elles atteindraient.
Rien ne permet de penser qu'il serait impossible de calculer le montant de ces rentes, au moins de manière
approximative, ou d'obtenir des institutions compétentes qu'elles y procèdent.
Cette lacune se révèle problématique pour les recourants, qui supportent le fardeau
de la preuve de leur besoin de soutien.
L'expertise privée que l'intimée a confiée à M. apporte
en revanche certains éléments, qui conduisent le Tribunal administratif fédéral
aux conclusions suivantes. M. précise que les pensions servies au travailleur moyen consistent
en trois parties: la partie sociale, celle gagnée et celle accumulée. Etant donné que
les pensions sont extrêmement basses, c'est-à-dire inférieures à RUB 4'500,
la plupart des retraités continuent à travailler. Elle indique encore que la rente de retraite
se montait à RUB 2'841,60 en moyenne par mois en 2006 (...). Cela étant, il demeure
un certain nombre d'éléments dont le Tribunal administratif fédéral n'a pas connaissance.
Ainsi, l'on ne sait pas dans quelle mesure la rente de retraite des recourants serait égale à
la moyenne précitée et si elle serait complétée par d'autres revenus, résultant
notamment de la continuation d'un emploi ou d'une forme de prévoyance complémentaire. M. estime
pour sa part que, si les parents sont valides, continuent à travailler, comme ce serait le
cas de la plupart des retraités en Fédération de Russie, et touchent leur retraite dans
le même temps, ou si (ce qui lui paraît plus que probable dans le cas d'espèce) les parents
reçoivent une pension de retraite élevée, les enfants leur apporteront rarement un soutien
financier (...).
Sur la base de ces éléments, le Tribunal administratif fédéral
estime que la thèse selon laquelle les parents de la victime toucheront au moment de leur retraite
une rente inférieure ou égale à la rente moyenne de RUB 2'841,60 est bien moins probable
que la thèse contraire, compte tenu de leur niveau social et de leur emploi. Par ailleurs, il constate
que les parents de la victime exerçaient tous deux une profession honorable au jour du décès
de leur fils, qu'ils n'appartenaient pas à une classe sociale modeste et que leur rémunération
était en rapport avec leur statut. S'ils n'avaient pas pu constituer une épargne personnelle
pour leur retraite auparavant, ce qui n'est pas établi (le dossier est singulièrement muet
quant à l'éventuelle fortune des recourants), ils auraient eu tout loisir de le faire par la
suite, leur carrière se poursuivant toujours. Il s'ensuit que, comme dans l'arrêt rendu par
le Tribunal fédéral en 1932 (ATF 58 II 213), soit bien avant l'introduction en Suisse du système
de retraite dit des trois piliers, le Tribunal administratif fédéral émet des doutes sérieux
s'agissant de la thèse selon laquelle, dans le cours normal des choses, les recourants auraient
vraiment été un jour dans la nécessité de requérir l'aide financière de
leur enfant, même en faisant abstraction de leur rente de retraite supposée.
Des éléments qui ressortent de l'expertise privée réalisée
par S. accréditent cette conclusion. En effet, s'agissant des perspectives de l'économie
en Fédération de Russie, S. explique que les salaires et les standards de vie vont y croître
de manière importante dans les deux prochaines dizaines d'années (...) et fait notamment
référence, à titre d'exemple, au fait que, dans les six ans ayant suivi la réunification,
le salaire réel des Allemands de l'Est a augmenté de 83 %, soit une moyenne de 14 %
par année (...). Certes, l'expert entend ainsi accréditer sa thèse relative à
l'augmentation de revenus à laquelle pouvait prétendre X. Cela étant, on ne voit pas pour
quelle raison ce raisonnement ne vaudrait pas de la même manière pour les parents de celui-ci,
lesquels sont nés le 14 mars 1964, respectivement le 1er juin
1969 et étaient dès lors âgés de 38 ans, respectivement de 33 ans en 2002
(...). Les recourants ont d'ailleurs rejoint et appuyé sur ce point les conclusions de
l'expert qu'ils ont mandaté. En effet, dans le cadre de leur mémoire complémentaire,
ils ont fait savoir au Tribunal administratif fédéral que, s'ils avaient initialement
estimé que la multiplication par un facteur 4 ou 5 - entreprise par S. - paraissait
exagérée, « l'examen des revenus actuels des recourants et famille des victimes met[tait]
toutefois en évidence que les suppositions faites par [ce dernier] trouvent[aient] effectivement
fondement dans la réalité » (...). Il faut déduire de ce qui précède
que, selon toute probabilité, les parents de X. peuvent escompter une augmentation importante
de leurs salaires réels jusqu'à l'âge de leur retraite respective, de sorte qu'il y a
tout lieu de croire que leurs ressources ne se limiteront pas, le moment voulu, aux pensions versées
par l'Etat (...).
Certes, les multiples évoqués par S. ont été estimés
sur les 20 à 30 prochaines années (...), ce qui ne correspond pas exactement
à la durée de l'activité professionnelle que les parents de la victime poursuivront jusqu'à
leur retraite. Mais en tout état de cause le calcul n'en est pas affecté de manière notable.
Certes encore, cette évolution optimiste de l'économie russe est
remise en question par l'expert mandaté par l'intimée - M. - qui l'estime très
douteuse (...). Pour le second expert mandaté par l'intimée - à savoir
K. - cette appréciation s'avère également inappropriée (...). Cela étant,
même si l'on retient uniquement l'augmentation des salaires réels (à savoir les salaires
nominaux, moins l'inflation) constatés sur les années 1999 à 2004, à savoir 6,5 %
par an (...), voire 6 % - ce qui recueille l'adhésion de l'expert K. (...) -
il apparaît clair que l'augmentation réelle des salaires que les parents de la victime
peuvent escompter leur permettra de maintenir leur niveau de vie à l'âge de la retraite (...),
même en faisant abstraction de la rente versée par l'Etat. Le Tribunal administratif fédéral
retient donc que, selon toute vraisemblance, les parents de X. n'auraient pas eu à faire appel au
soutien financier de leur enfant au moment de leur retraite. La thèse contraire, à savoir celle
selon laquelle l'enfant aurait assuré en tout ou partie l'entretien de ses parents au moment
de leur retraite, n'est ainsi pas établie au stade de la
haute vraisemblance, qui est requise (cf. consid. 4.4).
6.3.3.3
Il s'agit enfin de voir si d'autres faits ou arguments, qu'ils soient régulièrement
allégués par les recourants ou qu'ils ressortent clairement de l'expertise qu'ils ont produite,
permettraient de parvenir à une conclusion différente.
Il y a ainsi lieu de se pencher sur les dispositions tirées de la Constitution
de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 (art. 38) ainsi que du Code de
la famille de la Fédération de Russie du 1er mars
1996 (art. 87 et art. 88), invoquées par S. (...). Il y est question de certains devoirs
des enfants vis-à-vis de leurs parents et des conditions de leur application. Il importe peu de
savoir si le contenu du droit russe est ainsi établi à satisfaction, ce qui paraît
sujet à caution, ce d'autant que ces dispositions sont traduites librement par S. du russe en anglais
(...). De nombreuses formulations (p. ex. l'expression « non-employable »
ou « disabled parents, in need of assistance »)
laissent ainsi planer un doute sur les situations spécifiques qui sont visées. Il semble cependant
que le soutien des enfants ne soit pas automatique mais bien conditionné par la survenance
de situations déterminées, soit, à première vue, la maladie ou l'invalidité
des parents.
La survenance de tels cas de figure, de l'ordre des hypothèses, ne
saurait être admise à la légère pour fonder un soutien futur. Elle se révèle
bien trop aléatoire. Il faut rappeler, de surcroît, que le droit russe n'est pas applicable
(cf. consid. 1.1.3.4). Il en va certes différemment de la prise en compte des circonstances
individuelles et locales ayant cours au Bashkortostan, mais - même dans ce contexte -
les dispositions citées n'apportent aucun élément de nature à modifier les conclusions
du Tribunal administratif fédéral. La qualité de soutien est indépendante d'une
obligation légale (cf. consid. 4.5). Ce sont en effet les éléments de fait qui sont
décisifs. Le Tribunal administratif fédéral doit pouvoir admettre avec une haute
vraisemblance que, si l'accident n'était pas survenu,
le défunt aurait subvenu en totalité ou en partie à l'entretien de ses parents. Ce raisonnement,
factuel, ne se fonde pas sur une obligation légale. Il existe d'ailleurs des normes similaires à
celles évoquées par les recourants en droit suisse, notamment l'art. 328 CC, sans qu'elles
revêtent une autre ou plus ample importance.
Par conséquent, l'évocation des dispositions précitées
ne change rien aux conclusions du Tribunal administratif fédéral. La perte de soutien alléguée
par les recourants, intitulée « financial support to
parents », représentant le montant que la victime aurait par hypothèse
versé à ses parents dès l'âge de 21 ans, voire dès que ses parents seraient
parvenus à l'âge de la retraite, n'est pas établie au stade de la haute vraisemblance.
Les prétentions des recourants s'agissant de ce poste du dommage doivent donc être
rejetées.
6.3.4
« Companionship
services to parents »
6.3.4.1
Les recourants ont fait valoir, au titre de leur perte de soutien, un dommage intitulé « companionship
services to parents ». Ce concept ne traduit qu'imparfaitement ce qu'il recouvre. L'expert
de l'intimée - M. - a relevé que le sens n'en était pas clair (...). Elle
a ajouté que, dans la mesure où il était fait référence à la perte
de la possibilité d'être en compagnie de l'enfant, il s'agissait d'un dommage moral et
non matériel. Cela étant, sans poser de conclusion hâtive, il convient de bien comprendre
ce qui se cache derrière la terminologie utilisée.
6.3.4.2
Auparavant, il paraît utile de rappeler que le CO n'accorde pas la réparation totale
du dommage correspondant à l'intérêt des tiers à ce que la victime eût continué
à vivre. Les droits à des dommages-intérêts qui peuvent être invoqués en
cas de décès sont énumérés limitativement à l'art. 45 CO (cf. ATF
53 II 123 in JdT 1927 I 340; Brehm, La réparation du dommage corporel,
p. 88 ch. marg. 168). En outre, si tant est que l'art. 45 CO soit concerné, un soutien
non économique mais purement affectif ne peut pas
faire l'objet de dommages-intérêts. S'agissant des visites régulières ou même
d'une présence continuelle du « soutien » (moral), leur perte n'est pas indemnisable
(cf. Brehm, La réparation du dommage corporel, p. 94 ch. marg. 182).
6.3.4.3
Il résulte de l'expertise de S. que la notion de « companionship
services to parents » regroupe des services tels que l'aide domestique, l'assistance
dans le cadre des courses, du ménage et les soins de garde-malade (...), que l'enfant aurait
par hypothèse prodigués à ses deux parents s'il avait vécu. Il ne s'agit donc
pas de compagnie ou de visites de l'enfant dont les parents auraient été privés, ce qui
serait un dommage purement affectif, mais - à tout le moins dans la mesure des exemples précités
- d'un préjudice économique. Cela étant, il faut encore savoir si les conditions
liées à cette perte de soutien, à savoir celle voulant que l'enfant apparaisse comme le
soutien de ses parents et celle tenant au besoin de soutien
de ces derniers, sont réunies.
D'après les explications de S., la perte de soutien dont il est question
correspondrait au moins à 30 heures par mois, à compter du moment où X. aurait eu
21 ans et jusqu'au décès de ses parents (...). L'expert des recourants envisage cependant
un second scénario, dans lequel il faudrait ajouter 10 heures par semaine à la durée
précitée, dès que le premier des parents aurait atteint ses 62 ans (...). Il
s'ensuit que les recourants ne prétendent pas que X. aidait ses parents au ménage, aux courses
ou à d'autres activités similaires avant son décès. Ils font valoir qu'il aurait
entrepris ces tâches dès l'âge de 21 ans et qu'il y aurait alors consacré près
de huit heures par semaine. Ils avancent même que, dès que le premier de ses parents
aurait atteint 62 ans, l'enfant aurait plus que doublé l'activité ménagère déployée
à leur profit.
Cette assertion n'emporte pas la conviction du Tribunal administratif fédéral.
En effet, l'on voit mal ce qui aurait motivé les parents à exiger de leur enfant qu'il leur
apporte une aide domestique à laquelle ils avaient précédemment renoncé, à partir
du moment où ce dernier se serait engagé dans la vie active. A cela s'ajoute que la différence
d'âge entre les parents et leur enfant n'est pas très importante, de sorte que les premiers
cités auraient en principe bénéficié de forces vitales intactes lorsque leur enfant
aurait atteint 21 ans. Dans ces conditions, il est peu vraisemblable
qu'ils se soient déchargés, par pure convenance personnelle,
de leurs tâches ménagères sur leur enfant. Au surplus, l'expérience générale
de la vie démontre que le moment de l'insertion d'un jeune adulte dans la vie active ne coïncide
guère avec le début ou l'accroissement d'une aide ménagère vis-à-vis de ses
parents, à moins que des circonstances particulières (comme la maladie des parents) le
justifient. Cela étant, les recourants ne font pas valoir de semblables circonstances. Selon
le cours normal des choses, un enfant adulte se marie ou vit en concubinage et son nouveau ménage
absorbe une grande partie de son temps libre. Ceci n'est donc guère conciliable avec le soutien
ménager que les père et mère de l'enfant font valoir.
Quant à savoir si la retraite future
des parents aurait changé quelque chose à cette
situation, il n'y a pas lieu de le considérer. De manière générale, la fin
de leur activité professionnelle permet aux personnes concernées de disposer de plus
de temps pour des activités ménagères, même si celles-ci doivent être adaptées
pour tenir compte des contingences liées à l'âge. En revanche, il n'est pas courant
que les parents se déchargent de ces tâches sur leurs enfants, alors que ceux-ci poursuivent
une carrière professionnelle et gèrent leur propre ménage, à moins que leur santé
ne leur permette plus d'y pourvoir. Cela étant, il ne saurait être question d'ériger en
présomption la dégradation de la santé des parents de la victime, au moment où
ils atteindront l'âge de la retraite. Une telle hypothèse est trop aléatoire pour
être déterminante. Une maladie peut d'ailleurs intervenir à n'importe quel moment
et affecter tout un chacun, soit aussi bien le soutien que la personne soutenue.
Au vu de ce qui précède, les conditions d'une perte de soutien,
sous la forme d'un soutien ménager de X. à ses parents, ne sont pas réalisées, de
sorte qu'il convient de rejeter les prétentions des recourants relatives à ce poste du dommage.
6.3.5
« Loss of advice and counsel services to parents »
S'agissant enfin du poste du dommage intitulé « loss
of advice and counsel services to parents », réclamé au titre de perte de
soutien, le Tribunal administratif fédéral considère ce qui suit.
6.3.5.1
Il s'agit tout d'abord d'élucider de quels services
il s'agit. En effet, ainsi que cela a déjà été dit (cf. consid. 6.3.4.2),
le CO n'accorde pas la réparation totale de n'importe quel préjudice. Le droit à des dommages-intérêts
que les tiers peuvent faire valoir en cas de décès sont énumérés limitativement
à l'art. 45 CO et, dans le cadre de cette disposition, il doit nécessairement s'agir
d'un soutien économique. Dans le présent contexte,
à défaut d'explications contenues dans les recours, il faut s'en remettre aux indications résultant
du rapport de S. Par « loss of advice and counsel services
to parents », il faut ainsi comprendre les conseils donnés pour la prise de décision
relative à des investissements financiers, pour des décisions relatives à l'aménagement
de la vie des parents ou pour d'autres décisions quotidiennes (...). S. explique encore que
les conseils en question auraient représenté une heure et demie par semaine, à compter
du moment où le père ou la mère de X. aurait atteint 62 ans et jusqu'au décès
de la mère de celui-ci (...).
6.3.5.2
A la lecture de ces explications, il s'avère que le soutien en question s'apparente
plus à un dommage affectif
qu'à un réel préjudice économique. En définitive, les recourants
se trouvent effectivement privés des échanges de vue entre parents et enfant sur les
sujets de la vie quotidienne, qui s'avèrent riches en enseignements de part et d'autre et
permettent bien souvent de resserrer les liens affectifs. Cela étant, ceci ne se traduit pas
par une perte économique effective. En outre, s'agissant de la perte des conseils relatifs à
des investissements commerciaux, il n'est pas possible d'y voir un préjudice indemnisable. En effet,
rien n'indique que l'enfant aurait été plus à même que ses parents d'évaluer
la justesse de tel ou tel placement financier et de donner les conseils adéquats. Rien ne certifie
non plus que les parents auraient suivi ces conseils plutôt que leur conviction personnelle ou les
avis de professionnels. D'ailleurs, l'expert mandaté par l'intimée, à savoir M., estime
pour sa part que, dans des républiques telles que le Bashkortostan, la décision est laissée
en ce domaine aux plus âgés. Ainsi, même lorsque les enfants ont, par hypothèse,
plus de connaissances dans certains domaines que leurs aînés, leur opinion pèse
moins lourd que celle de ces derniers, comme le veut la tradition. Il semblerait enfin que le fait
de consulter sur des questions économiques ne soit guère courant en Fédération
de Russie (...).
Ces éléments ne permettent pas au Tribunal administratif fédéral
de considérer comme établie, avec le degré de vraisemblance requis, la perte de soutien
prétendue par les recourants.
6.4
Au vu de cette conclusion, l'étape ultérieure, qui aurait consisté dans une évaluation
du montant de la perte de soutien éventuelle, n'a pas lieu d'être. Il s'avère par conséquent
inutile d'ordonner une expertise indépendante afin de chiffrer l'indemnité destinée
à compenser la perte de soutien, comme l'évoque l'intimée à titre éventuel (...).
Pour les mêmes motifs, il apparaît comme sans pertinence de savoir quels montants
ont été octroyés aux familles d'autres victimes, avec lesquelles Skyguide serait parvenue
à un compromis extrajudiciaire, comme le souhaiteraient les recourants (...). D'ailleurs,
d'éventuelles transactions conclues avec des familles de victimes autres que celles qui ont recouru
ne lieraient pas le Tribunal administratif fédéral, puisque le jugement d'une action en dommages-intérêts
s'opère conformément aux règles légales et en fonction d'un dommage individuel
et concret, dûment allégué et prouvé. Une comparaison entre les dommages-intérêts
alloués dans un cas ou dans un autre n'apporterait dès lors rien à la solution du présent
litige. Ce raisonnement ne vaut pas de la même manière s'agissant de l'évaluation
du tort moral, qui est fixé avec un certain schématisme lié à la nature immatérielle
du préjudice en question. Bien que le problème du tort moral ne se pose pas dans le cas d'espèce,
il apparaît utile de relever que des précédents peuvent être invoqués
à titre de comparaison ou de référence, même si chaque état de fait est différent.
Cela étant, les montants provenant de transactions en cette matière ne lient
pas le juge. D'une part, rien ne certifie que la transaction considérée respecte le principe
de la légalité. D'autre part, les mobiles des parties qui transigent peuvent inclure,
sous le poste afférent au tort moral, des éléments et des spéculations tactiques
qui en faussent le résultat (cf. Brehm, La réparation du
dommage corporel, p. 318 ch. marg. 723 et la réf. cit.). Le Tribunal administratif
fédéral ne cerne pas quel autre enseignement les recourants entendaient tirer d'une
hypothétique solution compensatoire conclue hors procédure avec d'autres familles de victimes.
Il est donc renoncé à donner suite aux réquisitions précitées des parties,
qui n'apporteraient rien à la solution du présent litige.
7.
Griefs des recourants
Il y a enfin lieu de traiter les moyens des recourants, dans la mesure où
ils s'avèrent pertinents, étant précisé que le Tribunal administratif fédéral
n'a pas à se prononcer sur l'ensemble des allégations et griefs des recourants
et peut se limiter aux éléments essentiels pour l'arrêt (cf. ATF 126 I 97 consid. 2b,
ATF 129 I 232 consid. 3.2, publié in: RDAF 2005 I 573 consid. 8 in fine).
7.1
Le principe de la bonne foi
Il s'agit donc de se pencher sur le grief des recourants, tiré du
principe de la bonne foi (...).
7.1.1
Le principe de la bonne foi, inscrit à l'art. 2 CC, est un principe général
du droit valable également en droit public, découlant à ce titre directement de l'art. 4
al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du
29 mai 1874 (Cst. de 1874, RO 1 1), respectivement de l'art. 9 de la Constitution fédérale
de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst., RS 101; cf. Andreas
Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les
droits fondamentaux, Berne 2000, ch. 1115 ss; Moor,
Droit administratif, vol. I, p. 428 ss). Il en découle notamment que l'administration
doit s'abstenir de tout comportement propre à tromper l'administré et qu'elle ne saurait
tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (cf. ATF 126
II 387 consid. 3a et ATF 124 II 269 consid. 4a). De manière générale, le principe
de la bonne foi s'applique lorsque l'administration crée une apparence de droit, sur
laquelle l'administré se fonde pour adopter un comportement qu'il considère dès lors comme
conforme au droit.
Ainsi, selon la jurisprudence, l'autorité qui fait
une promesse, donne
une information ou fournit une assurance
doit satisfaire les expectatives créées, même si la promesse ou l'expectative sont
illégales, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies (cf. arrêt du Tribunal
fédéral 2A.561/2002 du 11 juillet 2003 consid. 3.2): (a) l'autorité doit avoir
agi dans un cas concret et vis-à-vis d'une personne déterminée
(un renseignement général ou la distribution de notes d'information générale
donnant une orientation sur une législation ou son application ou encore une pratique ne suffisent
pas); (b) l'autorité était compétente
ou censée l'être; (c) l'administré ne pouvait
se rendre immédiatement compte de l'illégalité du renseignement fourni; (d) ledit
renseignement a incité l'administré concerné à
prendre des mesures dont la modification lui serait préjudiciable;
(e) enfin, la législation applicable n'a pas été modifiée
entre le moment où l'information en cause a été donnée et celui où le
principe de la bonne foi a été invoqué (cf. Knapp, op. cit.,
p. 108 ch. 509; René Rhinow/Beat Krähenmann, Schweizerische
Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungsband, Bâle 1990, p. 240 ss;
Ulrich Häfelin/Georg Müller, Grundriss des Allgemeinen Verwaltungsrechts,
4e éd., Zurich 2002, p. 128 ss,
plus particulièrement p. 138 ss ch. 668 ss).
7.1.2
En l'occurrence, à la lecture des mémoires de recours, il n'est pas évident de
cerner en quoi les recourants s'estiment lésés, plus précisément sur
quelle assurance donnée par l'autorité ils se seraient fondés. Il est surtout marquant
de constater que les recourants ne prétendent pas avoir pris des mesures dont la modification leur
serait préjudiciable, ce qui fait que, même s'ils démontraient qu'une assurance leur a
été donnée par une autorité compétente ou censée l'être, cet élément
n'aurait guère l'impact voulu. Pour ce motif déjà, les recourants ne peuvent invoquer
leur bonne foi. Par surabondance de motifs, le Tribunal administratif fédéral relève qu'il
n'apparaît pas qu'une quelconque assurance leur ait été donnée.
A suivre les recourants, il apparaîtrait que « Skyguide
a[urait] reconnu les liens de famille particuliers existant en République de Bashkortostan, justifiant
le versement d'une indemnité pour tort moral. Elle a[urait] également reconnu qu'il n'est pas
exclu de retenir une perte de soutien futur par un enfant décédé, et ce même en droit
suisse » (...). Quoi qu'il en soit, ceci ne constitue nullement une promesse de
nature à engendrer une expectative concrète. Il n'apparaît pas en particulier que l'intimée
ait laissé entendre qu'elle appliquerait le droit russe, ce que les recourants ne vont pas jusqu'à
prétendre. Ceux-ci indiquent encore que « Skyguide,
le chef du Département de l'environnement et le Président de la Confédération
ont officiellement et publiquement reconnu la responsabilité pleine et entière de Skyguide
dans l'accident. Skyguide est ainsi entrée en matière sans réserve sur le fond du
litige » (...). Là encore, le Tribunal administratif fédéral
ne cerne guère quelle assurance concrète les recourants en déduisent. Il ne
saurait s'agir de la reconnaissance anticipée de toute prétention,
quelle que soit sa nature et son montant. Le bon sens veut en effet que les déclarations que les
recourants prêtent à l'intimée, pour autant qu'elles soient avérées (ce que
le Tribunal administratif fédéral n'a pas à établir), ne puissent être
comprises comme une acceptation inconditionnelle et anticipée de toute forme de demande ou d'action.
Les recourants tirent par ailleurs argument du compte
rendu du Département fédéral des finances (DFF) intitulé « Thèmes
clés du DFF, mars 2005: Catastrophe aérienne d'Überlingen: Déroulement et état
d'avancement des procédures concernant les demandes de dommages et intérêts et les
demandes pour réparation du tort moral » dont ils citent l'extrait suivant:
« Il est impossible de répondre de manière concluante
aux questions concernant le droit applicable, les compétences et les procédures [...]
compte tenu de la complexité de la situation juridique, il était nécessaire de trouver
une solution permettant de satisfaire les prétentions justifiées des personnes lésées,
en évitant les complications ». Ils expliquent à ce propos que l'intimée,
en rejetant leurs prétentions tendant à l'indemnisation de leur perte de soutien, n'aurait
pas respecté les préceptes fixés par le DFF (...). Cela étant, sur la base
des faits avancés par les recourants eux-mêmes, il est manifeste que le DFF n'a pas garanti
le règlement de n'importe quelle prétention mais uniquement de celles qui seraient « justifiées
». Il n'a donc pas laissé entendre que des demandes qui sortiraient du cadre légal seraient
admises. L'aurait-il fait qu'une telle garantie se serait heurtée à l'objection selon laquelle
le DFF n'était pas compétent - ni censé l'être - pour statuer sur les
prétentions des recourants.
Le Tribunal administratif fédéral ne voit pas non plus quelle
garantie pourrait être déduite du fait que Skyguide aurait par hypothèse offert un dédommagement
extrajudiciaire aux familles d'autres victimes de la catastrophe aérienne, voire que ce dédommagement
ait été largement supérieur à celui octroyé aux recourants, comme ces
derniers le prétendent (...). Ainsi que cela a déjà été souligné, le
Tribunal administratif fédéral examine chaque cas pour lui-même en fonction des
règles légales qui lui sont applicables. Il n'y a donc pas lieu, dans ce contexte, de requérir
les renseignements désirés par les recourants.
L'argument tiré de la bonne foi des recourants tombe donc à faux.
Le Tribunal administratif fédéral relève finalement que les recourants n'ont pas repris,
dans le cadre de leurs recours, leurs précédentes allégations selon lesquelles l'intimée
aurait « expressément renoncé à voir appliquer
de manière stricte les critères de droit suisse pour l'évaluation du dommage des
proches des victimes » et « offert un mode
de calcul particulier tenant compte des circonstances particulièrement dramatiques du cas et des
souffrances causées » (...). Ces allégations ont d'ailleurs été
contredites par Skyguide tant dans son courrier du 11 octobre 2005 que dans celui du 15 décembre
2005 adressés aux recourants. Elle y indiquait notamment: « Il
est certes arrivé à Skyguide de renoncer par le passé à calculer les indemnités
dues à certaines personnes concernées selon des critères strictement juridiques. Les paiements
qui en ont résulté se fondaient cependant sur des transactions entre Skyguide et son
assureur d'un côté et les lésés de l'autre. Ils ne s'inscrivaient donc pas dans le
cadre d'une procédure judiciaire [...]. Dans ce cadre, ce ne sont pas des critères généraux
qui s'appliquent, mais les seules règles du droit applicable ». Les allégations
en question ne sont donc en rien étayées.
7.2
L'art. 42 CO
Les recourants font valoir une violation de l'art. 42 CO (...).
Pour toute explication, ils relèvent: « Le soutien
futur d'un enfant à ses parents, respectivement à ses grands-parents, ne peut qu'être
estimé ». Selon eux, Skyguide n'aurait pas
« voulu procéder à cet exercice ».
7.2.1
Il convient de rappeler avant toute chose que l'art. 42 CO est une norme de droit privé.
Toutefois, dans la mesure où il exprime une règle générale, il est susceptible de
s'appliquer par analogie en droit administratif
(cf. consid. 5.2). Cela étant dit, il est probable que les recourants n'entendent pas se prévaloir
de l'art. 42 al. 1 CO, lequel prévoit que la preuve du montant du dommage incombe
aux demandeurs, soit en l'espèce aux recourants eux-mêmes (cf. consid. 5.3). Il s'agit
ainsi plutôt de se demander si l'intimée a méconnu la portée de l'art. 42 al. 2
CO, lequel prévoit que, lorsque le montant exact du dommage
ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération
du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée (cf. consid. 5.3).
7.2.2
S'il est vrai que cette disposition permet au juge de considérer un dommage comme établi
sur la base d'une simple estimation, elle ne lui permet guère de retenir l'existence d'un dommage
lorsque sa survenance n'apparaît pas vraisemblable, voire hautement vraisemblable s'il s'agit d'une
perte de soutien future. En l'occurrence, le Tribunal administratif fédéral parvient à
la conclusion selon laquelle le dommage allégué n'atteint
pas le degré de vraisemblance requis. Cela étant, cette conclusion ne s'est pas
imposée en raison de l'absence de preuves strictes du dommage, qui ne sauraient guère
être apportées s'agissant d'une perte de soutien future et donc hypothétique, mais
en vertu d'une appréciation des éléments de fait ressortant du dossier. L'art. 42
al. 2 CO n'a pas une portée plus étendue, en ce sens qu'il ne permet pas de considérer
toute prétention, de quelque ampleur que ce soit, comme établie. Il n'a donc nullement été
méconnu.
Il s'avère ainsi que les arguments des recourants ne changent rien
à l'issue du litige. Les recours doivent donc être rejetés, dans la mesure où ils
sont recevables.