Nichteintreten auf Asylgesuch (Dublin-Verfahren). Für die Prüfung
des Asylgesuchs zuständiger Staat. Zulässigkeit der Überstellung. Souveränitätsklausel.
Überstellungshindernisse aufgrund internationalen öffentlichen Rechts. Vermutung,
der Mitgliedstaat komme seinen völkerrechtlichen und humanitären Verpflichtungen
nach. Beweisführungslast. Grundsatzurteil.
Extrait des considérants:
4.
Il ressort des sources consultées par le Tribunal administratif fédéral les informations
suivantes:
4.1
Lors de l'arrivée d'un demandeur d'asile en Grèce par voie aérienne (ce qui est
généralement le cas pour les requérants d'asile transférés d'un autre
Etat membre « Dublin »), celui-ci est systématiquement mis en détention
administrative à l'aéroport international d'Athènes pour une période pouvant varier
entre quelques jours et quelques mois. Cette pratique concerne tant les primo-arrivants que les demandeurs
d'asile transférés par un Etat membre de l'Union européenne (UE) en application du règlement
Dublin II. Selon les témoignages recueillis, aucune information n'est donnée sur les
raisons de la détention (cf. Cour européenne des Droits de l'Homme [Cour EDH] arrêt M.S.S.
c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 161; notamment Amnesty
International, The Dublin II Trap, Transfers of asylum-seekers to Greece, mars 2010, p. 12).
En outre, les centres de détention présentent tous, à des degrés divers de gravité,
le profil suivant: surpopulation, saleté, espace confiné, absence de ventilation, pas
ou peu de possibilité de promenade, absence d'espace de détente, nombre de matelas insuffisant,
matelas sales, pas d'accès libre aux toilettes, insuffisance des sanitaires, non respect
de l'intimité, accès limité aux soins. De nombreuses personnes interrogées
se plaignent également des insultes, notamment racistes, proférées par le
personnel et l'usage de la violence physique par les gardiens (cf. Cour EDH,
M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 162 et Cour EDH, R.U. c. Grèce,
no 2237/08, du 7 juin 2011, § 62 ss).
4.2
Lors de la mise en liberté des demandeurs d'asile, la pratique des autorités grecques
varie selon le lieu où elles se trouvent. A l'aéroport international d'Athènes, soit les
personnes sont munies directement d'une carte rose, soit elles sont orientées à cette fin vers
le Service central de police et d'asile de l'Attique, sis à l'avenue Petrou Rali. Il arrive que
les primo-arrivants soient directement munis d'un ordre de quitter le territoire dans un
délai de quelques jours. En cas d'arrivée et de détention ailleurs dans le pays, la pratique
consiste à délivrer un ordre de quitter le territoire et à acheminer les personnes vers
une grande ville comme Athènes ou Patras. Aucune information n'est fournie au recourant concernant
les procédures, les délais ou la possibilité de contacter un avocat ou une organisation
non gouvernementale en vue d'obtenir des conseils juridiques. Une fois autorisés à pénétrer
sur le territoire grec, les requérants laissés devant l'aéroport sont livrés
à eux mêmes. Selon les rapports cités dans l'arrêt de la Cour EDH, M.S.S.
c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011, très peu de demandes d'asile sont
introduites directement auprès des services de sécurité en place à l'aéroport
international d'Athènes, du fait de l'insuffisance de personnel mais aussi, dans certains cas, du
manque d'informations sur l'existence même de ces services. Plusieurs organisations
ont aussi constaté que la brochure d'information sur la procédure d'asile n'était
pas mise à la disposition des personnes transférées en application du règlement
Dublin II et que les services de police faisaient usage d'« astuces » pour
décourager les intéressés, en véhiculant, par exemple, la fausse information
selon laquelle la fourniture d'une adresse était une condition sine qua non de la poursuite
de la procédure (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce,
no 30696/09, du 21 janvier
2011, § 167 ss et § 173 ss).
Dès lors, munis du document qui leur a été remis à la
libération et sur lequel, s'agissant de requérants « Dublin », il
est indiqué en grec qu'ils ont été pris ou repris en charge, les intéressés
doivent se rendre au centre d'Athènes où ils devront obtenir la carte rose. Ce document est
délivré uniquement par le Service central de police et d'asile de l'Attique. Le délai
de trois jours prescrit aux demandeurs d'asile pour s'y rendre s'avère beaucoup trop court. Les
bureaux sont, en effet, inaccessibles en pratique, en raison du nombre de personnes en attente
et du fait que le dépôt des demandes d'asile ne se fait qu'un seul jour par semaine. Le critère
de sélection à l'entrée des bureaux est arbitraire et il n'y a pas de système standard
pour admettre en priorité ceux qui veulent entrer dans le bâtiment pour déposer
une demande d'asile. Ainsi, il est arrivé que plusieurs milliers de personnes se présentent
sur une journée pour 300 à 350 demandes enregistrées par semaine. A l'heure
actuelle, environ vingt demandes sont enregistrées chaque jour, bien que jusqu'à
2'000 personnes, toutes demandes confondues, attendent à l'extérieur. Il en résulte des
périodes d'attente très longues avant d'obtenir un rendez-vous pour un premier
entretien (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce,
no 30696/09, du 21 janvier
2011, § 180 ss; également Haut Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiées [UNHCR], Observations on Greece
as a country of asylum, décembre 2009, p. 10, ci-après: rapport UNHCR) et, au final, les
chances de pouvoir enregistrer une demande d'asile en Grèce sont estimées à environ 1 %
(cf. également, sur les difficultés à obtenir un enregistrement, Cour EDH,
S.D. c. Grèce, no 53541/07,
du 11 septembre 2009; Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe,
Thomas Hammarberg, Human Rights of Asylum seekers
[4 février 2009], établi à la suite de sa visite en Grèce du 8 au 10 décembre
2008, p. 7, ci-après: rapport CommDH 2009).
S'il a introduit une demande d'asile et dispose de la carte rose, le demandeur
sera autorisé à séjourner en Grèce. Il le sera toutefois pour une durée limitée
de six mois, dès lors que toute la procédure doit être recommencée à
l'échéance de la validité de ladite carte, sans quoi il risque de tomber dans l'illégalité.
Pour les demandeurs provenant d'un Etat « Dublin » et donc au bénéfice
d'un document attestant de ce fait, la possibilité de pénétrer dans l'enceinte du
poste de police de Petrou Rali est théoriquement facilitée. Cependant, différents
rapports relèvent que les gardes à l'entrée de ce bureau n'en tiennent généralement
pas compte.
4.3
S'agissant des infrastructures d'accueil pour requérants d'asile enregistrés, elles
sont insuffisantes: pour l'année 2008, les douze centres répartis sur l'ensemble du territoire
grec (dont huit sont gérés par des ONG et quatre par l'Etat) proposaient 811 places au
total, alors que le nombre de demandes d'asile enregistrées s'élevait à 20'000 (cf. rapport
UNHCR, op. cit., p. 14). En février 2010, la capacité d'accueil s'élevait à
onze centres d'hébergement offrant un total de 741 places et était également manifestement
insuffisante par rapport au nombre annuel de demandes d'asile. A lui seul, le camp de fortune de
Patras hébergeait jusqu'en juillet 2009 environ 3'000 personnes, principalement des Irakiens
et des Afghans, dans des conditions inacceptables du point de vue des normes d'hébergement
et d'hygiène (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce,
no 30696/09, du 21 janvier
2011, § 244; également rapport CommDH 2009, op. cit., p. 8). Pour cette raison,
les autorités n'y donnent accès, dans les limites des disponibilités, qu'aux personnes
vulnérables (familles, femmes seules, enfants). Les demandeurs d'asile adultes et de sexe
masculin n'ont à peu près aucune chance de recevoir une place dans un centre d'accueil (cf.
rapport UNHCR, op. cit., p. 14). La construction d'un centre d'une capacité de 1'000 personnes,
annoncée par le gouvernement grec en 2008, n'avait pas été entamée en
février 2010 (cf. rapport CommDH 2009, op. cit. et Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe, Third party intervention by the Council of Europe Commissioner for Human Rights
under Article 36, paragraph 2, of the European Convention on Human Rights, 10 mars 2010,
p. 8, ci-après: document CommDH 2010) et le centre de Thessalonique, qui était réservé
aux femmes, a été fermé en mars 2010. Un seul de ces centres (ne comptant que 10 places)
est exclusivement réservé aux personnes ayant des problèmes psychiatriques (cf. rapport
UNHCR, op. cit., p. 14).
Quelle que soit la façon dont les requérants arrivent en Grèce,
il apparaît qu'aucune information ne leur est fournie sur les possibilités d'hébergement
et en particulier sur la nécessité de déclarer l'absence d'adresse aux autorités,
condition sine qua non pour que ces dernières entament des démarches en vue de trouver un logement.
Si les intéressés n'ont pas de famille ni de relation en Grèce et qu'ils ne disposent
pas des moyens pour se procurer un logement, ils sont à la rue. Ainsi un grand nombre de candidats
à l'asile, sans-abri, principalement des hommes seuls mais aussi des familles, ont envahi des lieux
publics, comme le « camp de fortune » de Patras, évacué et rasé en
juillet 2009, ou l'ancienne cour d'appel et certains parcs à Athènes. D'une manière
générale, pour s'assurer d'un minimum de subsistance, ces personnes dépendent de
la société civile, de la Croix-Rouge et parfois des institutions religieuses. D'après
une étude menée de février à avril 2010, tous les demandeurs d'asile « Dublin »
interrogés par le UNHCR étaient sans-abri. Ceux-ci vivaient donc en grand nombre
dans des parcs ou des immeubles désaffectés. La possession d'une carte rose n'est pas
déterminante pour obtenir une aide étatique (cf. Cour EDH, M.S.S.
c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 168 s., 244 s. et 258).
L'accès au marché du travail est en outre grandement entravé
pour les demandeurs d'asile bénéficiant d'une carte de légitimation. Outre les difficultés
personnelles qu'ils rencontrent dues à l'absence de connaissances de la langue grecque, à
l'absence de tout réseau de soutien et au contexte général de crise économique, d'importants
obstacles bureaucratiques rendent difficile la délivrance d'un permis de travail temporaire.
L'obtention d'un numéro d'identification fiscale requiert, par exemple, la preuve d'une
résidence permanente, ce qui empêche l'accès des sans-abri au marché du travail
(cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 172 et § 261).
En matière de santé, les personnes au bénéfice d'une
carte rose sont généralement prises en charge gratuitement par les hôpitaux, les
pharmacies et les médecins (...). Il semble cependant que les autorités sanitaires,
dont le personnel soignant, ne soient pas toujours conscientes de leurs obligations de fournir aux demandeurs
d'asile un traitement médical gratuit et des risques sanitaires supplémentaires encourus
par cette population (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, no 30696/09, du
21 janvier 2011, § 172).
4.4
Lorsque le requérant a pu faire enregistrer sa demande d'asile, le premier entretien se déroule
le plus souvent dans une langue qu'il ne comprend pas, du fait du caractère nettement insuffisant
des services d'interprètes. L'entretien est superficiel et se résume en substance à demander
à l'intéressé les raisons pour lesquelles il est venu en Grèce, sans qu'aucune question
ne soit posée directement concernant ses motifs d'asile. De plus, en l'absence d'aide juridictionnelle,
l'intéressé ne peut prendre en charge les frais d'un conseil juridique et est très rarement
accompagné d'un avocat (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique
et Grèce, no 30696/09, du
21 janvier 2011, § 181 et Cour EDH, R.U. c. Grèce,
no 2237/08, du 7 juin 2011, § 76).
Les rapports dénoncent également les défaillances de la procédure
d'examen des demandes d'asile, rendant la chance de voir celles-ci admises très réduite.
Dans la grande majorité des cas, les candidats sont déboutés en première instance,
parce que considérés comme demandant l'asile pour des motifs économiques. D'après
une recherche menée par le UNHCR en 2010, sur 202 décisions prises en première instance,
201 étaient négatives et rédigées de manière stéréotypée sans
référence aucune aux données relatives aux pays d'origine, sans spécifier quels
éléments motivaient la décision et sans aucun raisonnement juridique. Le manque
de formation, de qualification et/ou de compétence des policiers chargés de l'examen des demandes
d'asile est également dénoncé. En 2008, d'après le UNHCR, sur les soixante-cinq officiers
de la préfecture de police de l'Attique chargés de l'examen des demandes d'asile, seuls onze
étaient spécialisés en matière d'asile. En outre, selon plusieurs témoignages,
il est arrivé que la décision de rejet de la demande avec indication du délai
d'appel soit notifiée dans un document rédigé en grec qui accompagne la délivrance
ou le renouvellement de la carte rose. Cette dernière étant renouvelable tous les six
mois, les intéressés ne comprenaient pas qu'ils avaient en fait été déboutés
et qu'ils pouvaient introduire un recours. Or, si le recours n'est pas interjeté dans le délai
imparti, l'intéressé est écarté de la procédure. Il se retrouve
alors en situation d'illégalité et risque d'être arrêté et détenu
en vue de son expulsion. Le Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe et le
UNHCR soulignent en outre que la procédure de notification pour « les personnes de résidence
inconnue » ne fonctionne pas en pratique et que de nombreux candidats à l'asile
ne peuvent suivre le résultat de leurs demandes et laissent écouler les délais.
En outre, les délais d'examen des demandes d'asile en première
instance et en appel sont très longs. D'après le UNHCR, en juillet 2009, le retard dans le
traitement des demandes en première instance concernaient 6'145 affaires et 42'700 affaires
en appel. D'après les informations fournies par le ministre grec de la Protection citoyenne
au Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, le nombre total de demandes d'asile pendantes
avait atteint 44'650 en février 2010 (cf. Cour EDH, M.S.S. c.
Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 183 ss).
Concernant la deuxième instance, jusqu'en juillet 2009, elle relevait
de commissions d'avis des réfugiés, auxquelles participait le UNHCR (cf. Cour EDH,
M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 115 ss et 189). Cette instance n'était pas indépendante
mais fonctionnait sous la juridiction du Ministère de l'Intérieur (...). Ensuite, il était
possible de saisir le Conseil d'Etat d'un recours en annulation. Bien que 42'700 procédures
fussent pendantes devant l'instance de recours le 31 juillet 2009 (cf. rapport UNHCR, op. cit.,
p. 26), le rôle de deuxième instance des commissions d'avis des réfugiés a été
supprimé par décret présidentiel no 81/2009
du 30 juin 2009 (art. 5). Depuis lors, en cas de rejet de la demande, les requérants n'ont
plus d'autre solution que de saisir directement le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de
la décision prise en première instance. Cette procédure semble toutefois être
coûteuse et longue (en moyenne cinq ans et demi). Elle n'est par ailleurs pas automatiquement
suspensive de l'ordre d'expulsion et nécessite l'engagement d'une procédure séparée
de demande de sursis dont la durée moyenne est de dix jours à quatre ans. Le contrôle
exercé par le Conseil d'Etat n'est au surplus pas suffisamment étendu pour examiner les éléments
essentiels d'un grief tiré d'une violation de la CEDH (cf. Cour EDH, M.S.S.
c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 190). En outre, dans la mesure où elle a un caractère
cassatoire et non réformatoire, une éventuelle admission du recours oblige l'intéressé
à recommencer toute la procédure d'asile et, par voie de conséquence, à
se représenter tous les six mois auprès du centre de police de Petrou Rali (cf. rapport UNHCR,
op. cit., p. 25).
Pour ce qui est de l'accès à la Cour EDH, bien que tout demandeur
d'asile puisse en théorie introduire devant elle une requête et une demande d'application de
l'art. 39 (mesures provisoires) du Règlement de la Cour européenne des droits de l'homme
du 4 novembre 1998 (RS 0.101.2), il apparaît que les carences précitées sont telles
pour les demandeurs d'asile que l'accès à celle-ci est quasiment impossible (cf. Cour EDH,
M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 182).
4.5
S'agissant des étrangers qui n'ont pas pu faire enregistrer leur demande d'asile ou dont
la carte de légitimation n'a pas été renouvelée, leur situation en Grèce est
considérée comme irrégulière et ils encourent le refoulement indirectement vers la
Turquie ou directement vers leur pays d'origine. Il ressort en effet des rapports consultés, ainsi
que régulièrement de la presse, que les autorités grecques expulsent, parfois collectivement,
tant des candidats à l'asile avant l'enregistrement de leur demande d'asile que des demandeurs
d'asile dont la demande a été enregistrée et qui possèdent la carte rose.
Les expulsions vers la Turquie se font soit à l'initiative unilatérale des autorités grecques
et interviennent à la frontière, soit dans le cadre de l'accord de réadmission entre la
Grèce et la Turquie. Il est établi que plusieurs des personnes expulsées ont ensuite
été renvoyées par la Turquie en Afghanistan sans considération de leur demande d'asile.
Plusieurs rapports insistent sur le risque sérieux de refoulement dès la décision de rejet
de la demande d'asile du fait que le recours devant le Conseil d'Etat n'est pas suspensif de plein droit
(cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 192 s., 282 et 314). En matière de santé, la situation
est également problématique pour les demandeurs d'asile séjournant illégalement en
Grèce, puisque les médecins n'ont pas le droit de donner des soins aux personnes en situation
irrégulière ([...] citant l'art. 84 de la loi 3386/2005 grecque sur l'entrée,
la résidence et l'accès aux prestations sociales en Grèce des citoyens provenant d'un
Etat tiers).
4.6
Comme mentionné précédemment, l'interdiction de refoulement repose sur l'idée
que l'intéressé sera l'objet, dans le pays où il viendrait à être transféré,
de tortures, de peines ou de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'art. 3
CEDH. Pour tomber sous le coup de cette disposition, le traitement doit présenter un minimum de
gravité. L'appréciation de ce minimum est relative; elle dépend de l'ensemble des
données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et
mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (cf.
arrêt de la Cour EDH, S.D. c. Grèce, no 53541/07,
du 11 septembre 2009, § 45).
4.7
L'UNHCR a rappelé, dans sa détermination en rapport avec la procédure d'asile en
Grèce adressée à la Cour constitutionnelle fédérale allemande (« Bundesverfassungsgericht »),
qu'un refoulement indirect ne peut être exclu qu'à condition qu'il existe, dans l'Etat compétent,
une possibilité effective d'accéder à une procédure d'asile juste. La Cour EDH est
du même avis. Elle a relevé dans l'arrêt T.I. c. Royaume-Uni
du 7 mars 2000 (consid. A2c, Recueil des arrêts 2000-III), puis dans l'arrêt M.S.S.
c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 (§ 298), que pour l'Etat requérant,
la question essentielle consiste à déterminer s'il existe en l'espèce des garanties effectives,
quelles qu'elles soient, qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct
ou indirect, de l'Etat requis vers son pays d'origine. L'art. 13 CEDH consacre le droit à un
recours effectif. Cette norme ne peut être invoquée qu'en rapport avec une violation
alléguée de manière plausible et défendable d'un droit protégé par
la CEDH (absence d'indépendance) (cf. Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel
Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II: Les droits fondamentaux, 2e éd.,
Berne 2006, ch. 1214, p. 568). Elle peut en l'espèce être combinée avec l'art. 3
CEDH, dès lors que l'absence de recours effectif a pour conséquence de priver les requérants
des garanties minimales pour s'opposer à un refoulement. De l'avis de la Cour EDH, ce droit garantit
l'existence, en droit interne, d'un recours permettant de faire valoir les droits et libertés
garantis par la CEDH. La portée de l'obligation que l'art. 13 CEDH fait peser sur
les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois,
le recours exigé par l'art. 13 CEDH doit être « effectif », en pratique
comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé
de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'Etat défendeur.
L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'art. 13
CEDH ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. De même,
l'« instance » dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une
institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent
en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle. En
outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'art. 13
CEDH, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul. Enfin, compte tenu de l'importance
que la Cour EDH attache à l'art. 3 CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible
d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l'effectivité
d'un recours au sens de l'art. 13 CEDH demande impérativement un contrôle attentif par
une autorité nationale, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel
il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l'art. 3 CEDH,
ainsi qu'une célérité particulière; il requiert également que les intéressés
disposent d'un recours de plein droit suspensif (cf.
Cour EDH M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 288 ss et réf. cit.; également ATAF 2010/1, spéc.
consid. 5).
Dans l'arrêt T.I. c. Royaume-Uni
du 7 mars 2000, qui traite d'un transfert « Dublin » d'un requérant d'asile
du Royaume-Uni vers l'Allemagne, la Cour EDH a considéré que celui-ci ne violait ni l'art. 3
CEDH ni l'art. 13 CEDH, dès lors que l'intéressé pouvait déposer dans ce pays
une nouvelle demande d'asile, qu'aucun renvoi ne pouvait avoir lieu sans que les autorités
allemandes ne rendent préalablement une décision susceptible de recours et que le gouvernement
avait donné des assurances convaincantes que le requérant ne risquait pas un refoulement
dans son pays d'origine.
Dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique
et Grèce du 21 janvier 2011, relatif à un requérant d'asile transféré,
en application de la même réglementation, de la Belgique vers la Grèce, la Cour EDH a
conclu à une violation par la Grèce de l'art. 13 CEDH en relation avec l'art. 3 CEDH,
en raison des défaillances de sa procédure d'asile nationale menée dans le cas de l'intéressé
et du risque que celui-ci était susceptible d'encourir en cas de renvoi en Afghanistan, ainsi
qu'à la violation, par la Belgique, de l'art. 3 CEDH en raison de l'exposition du requérant
à ces défaillances et à ce risque.
La Cour EDH a considéré, dans cet arrêt, que la législation
grecque relative à la procédure d'asile n'est pas appliquée en pratique, que
dite procédure est caractérisée par des défaillances structurelles d'une ampleur
telle que les requérants d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs
tirés de la CEDH sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence
de recours effectif, ils ne sont pas protégés, in fine, contre un renvoi arbitraire vers leur
pays d'origine (cf. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce,
no 30696/09, du 21 janvier 2011,
§ 300 et 321). La Cour EDH a relevé, en particulier, les carences développées
préalablement (cf. consid. 4.1 à 4.5) liées à l'information insuffisante
des demandeurs d'asile sur les procédures à suivre, les difficultés d'accès
aux bâtiments de la préfecture de police de l'Attique, l'absence de système de communication
fiable entre les autorités et les intéressés, le manque de formation du personnel
responsable des entretiens individuels, la pénurie d'interprètes et le défaut d'assistance
judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d'asile d'être accompagnés d'un
avocat. Elle a également mentionné le manque de communication entre les autorités
et le requérant qui, combiné avec les dysfonctionnements de la procédure de notification
pour « les personnes de résidence inconnue », rend fort aléatoire
la possibilité pour le requérant de suivre le résultat de sa demande afin de ne pas laisser
expirer le délai de recours.
En outre, l'obligation pour les requérants d'asile de se procurer puis
de faire renouveler tous les six mois leur carte de légitimation à un seul endroit
du pays, ouvert un jour par semaine, rend l'accès à la procédure d'asile quasiment impossible.
L'obtention ou le renouvellement de cette carte ne met en outre pas les requérants à l'abri
de certains dysfonctionnements du système. En plus de l'obligation semestrielle de recommencer
toutes les démarches, sous peine de basculer dans l'illégalité et sans avoir de garantie
qu'elles aboutissent à nouveau, ils n'ont que très peu de chance de voir leurs demandes
d'asile admises, vu le taux particulièrement faible d'admission de 0,06 %. Le déroulement
de la procédure, en langue grecque, généralement sans que la présence d'un interprète
soit assurée, ne permet pas aux requérants de comprendre les éléments essentiels
de celle-ci et d'exprimer pleinement leurs motifs d'asile. Quant à l'unique instance de recours
auprès du Conseil d'Etat - après l'abrogation de l'instance d'appel -
elle est dissuasive vu son coût et son caractère purement cassatoire, le requérant devant
en cas de gain de cause reprendre la procédure depuis le début. Finalement,
les carences constatées au niveau des décisions rendues tant en première qu'en deuxième
instance (caractérisées par l'usage de considérants-types non individualisés),
ne permettent pas d'admettre qu'une procédure d'asile juste et équitable est, dans tous les
cas, garantie.
La procédure de renouvellement de la carte rose a également pour
conséquence de créer un grand nombre de clandestins, lesquels encourent un risque réel
d'être refoulé dans leur Etat d'origine ou de provenance. Le risque de refoulement indirect
de requérants vers la Turquie puis le pays d'origine, sans considération des motifs d'asile,
est également réel, que l'initiative du refoulement soit unilatérale ou qu'elle découle
de l'accord de réadmission signé entre la Grèce et la Turquie (cf. Cour EDH, M.S.S.
c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 192 s., 282 et 314).
Le type de procédure de recours ouvert en Grèce est, au demeurant,
contraire à la volonté du Parlement et du Conseil européen qui ont exigé, dans leur
directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre
2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut
de réfugié dans les Etats membres (JO L 326/13 du 13.12.2005; cf. aussi proposition d'amendement
de la directive par la Commission européenne adoptée le 21 octobre 2009 [COM {2009}
554 final]), que soit offerte une possibilité de réexamen complet et ex nunc des décisions
de première instance par une juridiction. Ces organes de l'UE ont du reste précisé que
la notion de recours effectif exige le réexamen des éléments tant de fait que de droit.
4.8
Les conditions de détention ont été examinées par la Cour EDH dans plusieurs
arrêts. Elle a, à ce sujet, considéré que l'art. 3 CEDH impose à
l'Etat de s'assurer que la détention s'effectue dans des conditions qui sont compatibles avec
le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne
soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité
qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention
et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être
du prisonnier sont assurés de manière adéquate (cf. Cour EDH,
M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 221 et réf. cit.).
La Cour EDH a notamment jugé dans l'arrêt S.D.
c. Grèce du 11 septembre 2009 (§ 49 à 54) qu'enfermer un demandeur
d'asile pendant deux mois dans une baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir
à l'extérieur, de téléphoner et sans pouvoir disposer de draps propres et de
produits d'hygiène suffisants, constituait un traitement dégradant au sens de l'art. 3
CEDH. De la même manière, une période de détention de six jours, dans un espace
confiné, sans possibilité de promenade, sans espace de détente, en dormant sur des
matelas sales et sans accès libre aux toilettes, a été considéré comme
inacceptable au regard du même article (cf. Cour EDH, S.D. c.
Grèce, no 53541/07, du 11 septembre
2009, § 51). Tel a également été le cas d'une détention pendant trois mois
d'un demandeur d'asile dans l'attente de l'application d'une mesure administrative,
dans des locaux de police, sans aucune possibilité d'activité récréative et
sans restauration appropriée (cf. Cour EDH, Tabesh c. Grèce,
no 53541/07, du 26 novembre 2009,
§ 38 à 44). Une détention de trois mois d'un demandeur d'asile, dans un endroit
surpeuplé où la propreté et les conditions d'hygiène étaient déplorables,
où aucune infrastructure n'était prévue pour les loisirs et les repas, où l'état
de délabrement des sanitaires les rendaient quasi inutilisables, où les détenus dormaient
dans des conditions de saleté et d'exiguïté extrêmes a également été
retenu comme constituant un traitement dégradant prohibé par l'art. 3 CEDH (cf. Cour EDH,
A.A. c. Grèce, no 12186/08,
du 22 juillet 2010, § 57 à 65). Dans l'arrêt M.S.S.
c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 (§ 223 à 234), la Cour EDH
a retenu que la durée des détentions subies, de quatre jours en juin et d'une semaine en août
2009, étaient inacceptables dans les conditions prévalant au centre de détention
attenant à l'aéroport d'Athènes et compte tenu de la vulnérabilité spécifique
du requérant, inhérente à sa qualité de demandeur d'asile, du fait de son parcours
migratoire et des expériences traumatiques qu'il pouvait avoir vécues en amont. Pris
ensemble, les sentiments d'arbitraire, d'infériorité et d'angoisse qui y sont souvent associés,
ainsi que d'une profonde atteinte à la dignité, que provoquent indubitablement ces conditions
de détention, constituent, selon la Cour EDH, un traitement dégradant contraire à l'art. 3
CEDH.
Dans l'arrêt R.U. c. Grèce
du 7 juin 2011, la Cour EDH a retenu la violation de l'art. 3 CEDH et de l'art. 13
CEDH par la Grèce, concernant un requérant d'asile d'origine turque détenu durant deux
mois en vue d'être expulsé dans des conditions similaires à celles relatées dans
l'arrêt S.D. c. Grèce du 11 septembre 2009,
sans avoir bénéficié d'aucun traitement médical pour ses affections, alors
que sa demande d'asile était encore pendante au stade du recours et que l'intéressé
avait présenté des éléments probants à l'appui de celle-ci concernant, en particulier,
des tortures subies dans son pays d'origine. Elle a confirmé le constat retenu dans l'arrêt
M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011, selon lequel la législation grecque
en matière de procédure d'asile n'est pas appliquée en pratique, que la procédure
y afférente est caractérisée par des défaillances structurelles d'une ampleur
telle que les demandeurs d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés
de la CEDH sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence
de recours effectif ils ne sont pas protégés in fine contre un renvoi arbitraire vers leur
pays d'origine. Dans le cas d'espèce, la Cour EDH a également retenu le caractère
irrégulier de la détention au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH, dès
lors que le requérant, qui ne pouvait être expulsé avant l'examen de sa demande
d'asile, rendait la détention dépourvue de fondement en droit interne.
4.9
Concernant les conditions minimales d'existence garanties par la CEDH, la Cour EDH a jugé
que l'art. 8 CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les parties contractantes
à garantir un droit au logement à toute personne relevant de sa juridiction (cf. Cour EDH,
Chapman c. Royaume-Uni, du 18 janvier 2001, Recueil des
arrêts et décisions 2001-I, § 99). Il ne saurait non plus en être tiré
un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que
ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (cf. Cour EDH, Müslim
c. Turquie, no 53566/99, du 26 avril
2006, § 85).
S'agissant des demandeurs d'asile démunis, la Cour EDH a rappelé
que l'obligation de leur fournir un logement et des conditions matérielles décentes fait
à ce jour partie du droit positif et pèse sur les autorités grecques en vertu des
termes mêmes de la législation nationale qui transpose le droit communautaire, à
savoir la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales
pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres (JO L 31/18 du 6.2.2003), ainsi que
leur besoin d'une protection spéciale, s'agissant d'un groupe de la population particulièrement
défavorisé et vulnérable (cf. mutatis mutandis Cour EDH, Orsus
et autres c. Croatie, no 15766/03,
du 16 mars 2010, § 147).
Elle a, en particulier, considéré que la situation d'un requérant
en Grèce, ayant vécu pendant des mois dans la rue, sans ressources, sans accès à
des sanitaires, sans disposer d'aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels, sans avoir,
à aucun moment, été dûment informé des possibilités de logement
qui s'offraient à lui - à supposer qu'elles existent - et dans l'angoisse permanente
d'être agressé et volé, est constitutive d'un traitement humiliant témoignant
d'un manque de respect pour sa dignité et que de telles conditions d'existence, combinées avec
l'incertitude prolongée dans laquelle il était resté et l'absence totale de perspective
de voir sa situation s'améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l'art. 3
CEDH, constatant dès lors sa violation. La carte de légitimation n'a pas été considérée
en l'espèce comme d'une quelconque utilité pratique pour faciliter l'accès du demandeur
d'asile au marché du travail, vu les obstacles administratifs existants, les difficultés
personnelles du requérant dues à l'absence de connaissance de la langue grecque
et de tout réseau de soutien, ainsi que le contexte général de crise économique (cf.
Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09,
du 21 janvier 2011, § 254 ss).
4.10
S'agissant du risque de violation de l'art. 3 CEDH en rapport avec les requérants souffrant
de maladies graves, la Cour EDH a retenu, dans l'arrêt N. c.
Royaume-Uni du 27 mai 2008, que les non-nationaux qui sont sous le coup d'un arrêté
d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le territoire d'un Etat
contractant afin de continuer à bénéficier de l'assistance et des services médicaux,
sociaux ou autres fournis par l'Etat qui les expulse. Le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat contractant
le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une
réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour constituer
une violation de l'art. 3 CEDH. La décision d'expulser un étranger atteint d'une maladie
physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs
à ceux disponibles dans l'Etat contractant est susceptible de soulever une question sous l'angle
de l'art. 3 CEDH, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations
humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses. La Cour EDH ajoute que consiste
en de telles circonstances très exceptionnelles le fait que le requérant est très gravement
malade et paraît proche de la mort, qu'il n'est pas certain qu'il puisse bénéficier de
soins médicaux ou infirmiers dans son pays d'origine et qu'il n'a là-bas aucun parent
désireux ou en mesure de s'occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum
de nourriture ou de soutien social. Finalement, elle relève encore que l'art. 3 CEDH
ne fait pas obligation à l'Etat contractant de pallier lesdites disparités en fournissant
des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus
du droit de demeurer sur son territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop
lourde sur les Etats contractants (cf. Cour EDH, N. c. Royaume-Uni,
no 26565/05, du 27 mai 2008, § 42
et 44).
Il ressort en outre des informations relatives à la Grèce que
les personnes au bénéfice d'une carte rose ont droit à des soins gratuits, mais que les
autorités sanitaires, dont le personnel soignant, ne sont pas toujours conscientes de leurs
obligations, ni d'ailleurs des risques sanitaires supplémentaires encourus par la population
des demandeurs d'asile. Pour les personnes séjournant illégalement, la situation est encore
plus problématique puisque les médecins n'ont pas le droit de donner des soins aux personnes
en situation irrégulière, selon la loi grecque (cf. consid. 4.5). Par conséquent,
le transfert vers la Grèce de personnes très gravement malades ne disposant pas d'autorisation
de séjour n'est en principe pas compatible avec l'art. 3 CEDH. Pour les autres personnes atteintes
dans leur santé, il doit, dans tous les cas, être exigé de l'Etat requérant qu'il
reçoive de la Grèce des garanties suffisantes que le demandeur d'asile bénéficiera
effectivement d'une prise en charge médicale. Au regard des difficultés auxquelles ces personnes
sont exposées lors de leur arrivée à l'aéroport d'Athènes (cf. consid. 4.1),
puis lors de l'enregistrement de leur demande d'asile - lequel peut dans certains cas s'avérer
impossible - et du renouvellement de celle-ci (cf. consid. 4.2), une conjonction de facteurs
négatifs est en effet susceptible d'entraîner une violation de l'art. 3 CEDH.
4.11
Vu ce qui précède et en particulier la présence d'indices sérieux de non-respect,
par les autorités grecques, de leurs obligations découlant du droit international - en
particulier de l'art. 3 et de l'art. 13 CEDH, ainsi que de l'art. 33 Conv. réfugiés
-, en cas de transfert de requérants d'asile dans cet Etat, le Tribunal administratif fédéral
constate l'existence d'une pratique avérée de violation de certaines normes de droit international,
par la Grèce, en lien avec la détention des requérants d'asile à leur arrivée
sur son territoire, les conditions d'accueil et de prise en charge de ceux-ci, ainsi que par rapport
à l'accès à la procédure d'asile et au déroulement de celle-ci.
Partant, la présomption prévue expressément par le règlement
Dublin II, selon laquelle tous les Etats membres sont des pays sûrs et respectent le principe de
non-refoulement, tel que défini par la Convention de Genève (cf. consid. 2 du règlement
Dublin II; voir également le protocole [n° 29] sur le droit d'asile pour les ressortissants
des Etats membres de l'Union européenne [JO C 321 E du 29.12.2006], annexé au traité instituant
la Communauté européenne [JO C 340/03 du 10.11.1997]), disparaît dans le cas de la Grèce
et, partant, le devoir des autorités suisses d'aider le requérant à apporter la
preuve de son exposition à un risque sérieux, par une instruction d'office, s'accroît.
4.12
Dans sa pratique actuelle, développée suite à l'arrêt de la Cour EDH
M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011, l'ODM a, dans la majeure partie des
cas où un recours était encore pendant contre une décision prononçant le transfert
de requérants d'asile vers la Grèce, annulé celle-ci dans le cadre d'un échange
d'écritures et fait application de la clause de souveraineté. Dans un nombre limité de
cas, nonobstant dit arrêt, il a toutefois maintenu sa décision considérant que le transfert
en Grèce était tout de même licite.
4.13
Dans de tels cas, l'instance de recours statuera, dans chaque cas d'espèce et au terme d'un
examen fouillé de l'ensemble du dossier, sur les risques concrets et avérés encourus par
le requérant en cas de transfert en Grèce. Elle se prononcera en particulier sur les risques
de violations relatifs à l'art. 3 et à l'art. 13 CEDH en tenant compte des
éléments développés dans les considérants ci-dessus, ainsi que des arguments
et moyens de preuve déterminants avancés par la partie dans le cadre de son recours.
Cela étant, le développement qui précède ne plaide pas
pour autant pour une considération générale de l'illicéité de celui-ci (...).
A titre exceptionnel, il est envisageable que la licéité du transfert soit admise,
au terme d'une analyse individualisée, dans les cas particuliers où il est établi que
le requérant échappera, en cas de transfert en Grèce, aux conditions déplorables
de détention à l'arrivée, décrites préalablement, aux risques de refoulement
direct ou indirect, ainsi qu'à une violation de l'art. 13 CEDH. Le transfert pourra notamment
s'avérer licite dans le cas d'une personne au bénéfice d'une autorisation de séjour
au sens large qui la mettrait à l'abri d'une détention à son arrivée en Grèce
et d'un refoulement. Il est rappelé que l'admission de la licéité du transfert
ne signifie pas pour autant que le transfert ne puisse être exclu pour des motifs humanitaires prévus
à l'art. 29a al. 3 de l'ordonnance 1 sur
l'asile du 11 août 1999 (OA 1, RS 142.311). Une attention spécifique sera notamment
portée s'agissant des personnes particulièrement vulnérables, telles que les personnes
mineures ou âgées, les femmes seules, les familles avec enfant, les personnes traumatisées
ou nécessitant des soins médicaux.