L'intéressé
a déposé, le 6 février 2008, une demande d'asile en Suisse. Orphelin de père,
abandonné par sa mère alors qu'il était encore bébé, il aurait été
élevé par sa grand-mère, dans un village de montagne sis à une demi-journée
environ à pied de la ville. A l'âge de treize ans, il aurait été contraint de partir
à la ville, car sa grand-mère n'avait plus les moyens de l'entretenir. Il aurait trouvé
de l'embauche chez un grossiste, qui l'aurait exploité et parfois brutalisé. Souffrant de ces
conditions de vie, il aurait formé le projet de partir à l'étranger. Il aurait réussi,
en trois ans, à économiser avec son salaire mensuel (300 à 400 yuans) la somme de
7'000 à 8'000 yuans. Il aurait remis toutes ses économies au chauffeur du camion avec lequel
il effectuait les livraisons, qui aurait organisé son voyage.
Par
décision du 13 janvier 2009, l'Office fédéral des migrations (ODM) a rejeté
la demande d'asile du recourant, au motif qu'il n'était ni menacé ni poursuivi par les autorités
de son pays d'origine, qu'il avait clairement indiqué être venu en Suisse pour se construire
un avenir meilleur, et que les faits allégués n'étaient en conséquence pas pertinents
pour la reconnaissance de sa qualité de réfugié. Par la même décision,
l'ODM a prononcé le renvoi de Suisse de l'intéressé et ordonné l'exécution
de cette mesure.
L'intéressé
a interjeté recours contre cette décision le 13 février 2009, en concluant principalement
à la reconnaissance de sa qualité de réfugié et à l'octroi de l'asile et, subsidiairement,
à l'octroi d'une admission provisoire. En substance, il a soutenu que la qualité de réfugié
devait lui être reconnue en raison des discriminations multiples et continues dont il avait
fait l'objet du fait de son origine sociale. Il a argué que le système d'enregistrement
des habitants en Chine (« hukou ») avait pour conséquence que les personnes
originaires, comme lui, de zones rurales n'avaient pas le droit de s'installer en ville et que, de ce
fait, les travailleurs migrants clandestins étaient astreints à des conditions
de vie misérables, exploités et privés de tout droit à des prestations étatiques
ou à l'accès aux soins.
Le
Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
3.
3.1
(...)
3.2
Le recourant fait valoir en substance, comme motif de sa demande d'asile, les discriminations
entraînées par le système chinois dit du « hukou » et les difficultés
auxquelles il a été personnellement confronté. S'agissant du « hukou »
en Chine, le TAF retient ce qui suit, sur la base des informations en sa possession (voir en particulier
Chloé Froissart, Le système du hukou:
pilier de la croissance chinoise et du maintien du PCC au pouvoir in: Les Etudes du CERI [Centre d'études
et de recherches internationales], Paris, no 149 - septembre 2008, consulté
le 11 mars 2010 sur le site http://www.ceri-scienspo.com; Commission de l'immigration et du statut
de réfugié du Canada, Chine: Réformes du système d'enregistrement des
ménages [Hukou] [1998-2004] février 2005, consulté le 10 mars 2010 sur le site
http://www.irb-cisr.gc.ca; Amnesty International, Chine: les migrants de l'intérieur
du pays face à la discrimination et aux atteintes aux droits humains, le coût humain du « miracle »
économique, mars 2007; Bruno Roelants/Claudia Sanchez Bajo,
La Chine sort de l'ombre. Immigrants dans leur propre pays, septembre 2003/n° 9, in: La Revue
nouvelle, consulté le 10 mars 2010 sur le site http://www.revue nouvelle.be).
3.2.1
Le « hukou » est un système d'enregistrement des ménages de la Chine,
implanté dans les années 1950, essentiellement à des fins de contrôle des migrations
intérieures et de planification économique. Conformément à ce système,
chaque ménage (dont la définition n'est pas nécessairement la famille, mais
peut renvoyer à l'unité de travail) reçoit un livret, sur lequel sont consignés différents
renseignements portant sur chacun de ses membres: nom, date et lieu de naissance, religion, lien avec
le « chef du ménage », date d'enregistrement sur le livret, profession
et lieu de travail. Les deux indications les plus importantes sur ce livret sont d'une part le statut
ou type du « hukou » possédé et d'autre part le lieu d'enregistrement.
La première classification,
relative au statut, distingue le « hukou » agricole (rural) du « hukou »
non agricole (urbain). Cette catégorisation ne reflète pas nécessairement les frontières
géographiques entre villes et campagnes. Ainsi, certains fonctionnaires travaillant pour l'Etat
en milieu rural (cadres, personnel scientifique) bénéficient d'un « hukou »
urbain, tandis que les villes comprennent des quartiers agricoles dont la population n'a pas les
mêmes droits que les urbains stricto sensu.
La seconde classification se fonde
sur le lieu (présumé) de résidence de la personne. Il s'agit du nom de la localité
où le « hukou » est enregistré. En vertu du système du « hukou »,
chaque citoyen n'est enregistré qu'à un seul lieu de résidence permanente.
3.2.2
Originellement, de nombreux avantages étaient associés au « hukou »
urbain, tel un meilleur emploi, un salaire supérieur, un logement subventionné, le droit
à la gratuité scolaire, à des soins médicaux ainsi qu'à la sécurité
sociale. Même si les avantages ont diminué durant les dernières décennies, les détenteurs
d'un « hukou » urbain bénéficient encore d'importants privilèges,
notamment sur le plan du logement, de l'éducation et de l'emploi (cf. Commission de l'immigration
et du statut de réfugié du Canada, Réponses aux demandes d'information [RDI], Chine: information
sur le hukou, du 26 avril 2006).
Une hiérarchie entre les
citoyens est également entraînée par le lieu où le « hukou »
est enregistré. En effet, les villes les plus grandes ou celles qui pour d'autres raisons sont les
plus importantes (capitales de province, municipalités autonomes, chefs-lieux de districts)
sont avantagées, notamment au niveau des subsides de l'Etat. Ainsi, si les détenteurs
du « hukou » rural sont défavorisés par rapport aux détenteurs du
« hukou » urbain, il existe aussi des inégalités entre détenteurs
de « hukou » urbain, selon l'importance de la localité. Enfin, il y a lieu de
relever que, comme mentionné plus haut, le « hukou » peut également
être rattaché, plutôt qu'à une famille ou un foyer, à une unité de travail,
à savoir une entreprise, une institution ou encore une brigade de production à
la campagne. Or, certaines entreprises bénéficient d'une meilleure prise en charge sociale
ou d'une garantie de salaire alors que d'autres n'ont pas ces avantages. Ainsi, le système
du « hukou » crée des catégories multiples entraînant
nombre de disparités entre les citoyens, en dépit du principe d'égalité
inscrit dans la constitution. La principale source d'inégalité demeure cependant
celle liée à la catégorisation du « hukou » selon qu'il est rural
ou urbain.
3.2.3
Initialement, le système interdisait expressément les mouvements de population,
avec pour résultat d'assigner à chacun une place dans le système de production. Ainsi,
le citoyen ne pouvait changer de résidence que si le changement faisait partie du plan socio-économique
de l'Etat.
Dès 1985, des réformes
ont été introduites, qui ont vu notamment la création d'une carte d'identité individuelle
(document personnel alors que le livret du « hukou » est collectif). Elles ont entraîné
la possibilité, pour une personne possédant un « hukou » rural, d'obtenir
un permis de résidence temporaire en zone urbaine. Cependant, ce certificat temporaire
ne confère souvent pas les mêmes avantages sociaux que ceux liés à la possession
d'un « hukou » urbain local. En outre, il demeure, selon les localités,
onéreux et assez difficile à obtenir, car conditionné par le dépôt de nombreux
documents (et parfois par la possession d'un logement et d'un travail, dont l'obtention elle-même
suppose, la plupart du temps, l'existence d'un permis). Par conséquent, de nombreux travailleurs
migrants continuent à séjourner de manière clandestine en ville. Jusqu'en 2003,
les migrants sans permis temporaire étaient passibles d'une amende et pouvaient être
détenus avant d'être renvoyés dans leur lieu de résidence permanente.
En outre, le fait demeure que les travailleurs migrants ruraux habitant les zones urbaines, avec ou sans
permis de résidant, bénéficient de peu de droits reconnus par la loi et d'une protection
minimale les rendant vulnérables à l'extorsion et à toutes sortes de manoeuvres
illicites de fonctionnaires ou d'employeurs mal intentionnés.
Au cours des dernières années,
d'autres réformes du système de « hukou » sont intervenues, visant, d'une
part, à mettre fin à la séparation rigide entre résidence agricole et non agricole,
qui demeure la principale source d'inégalité entre les citoyens et, d'autre part, à instaurer
une plus grande adéquation entre domicile de fait et domicile de droit en permettant aux personnes
qui possèdent un domicile fixe, un emploi stable ou des sources de revenus régulières
de s'établir dans la localité où ils résident. Le niveau de ces réformes varie
selon les provinces et les villes. Grâce à ces réformes, il est devenu dans certains cas
possible d'obtenir la conversion d'un « hukou » rural (originellement « hérité »
de la mère) en « hukou » urbain.
3.2.4
Au vu de ce qui précède, l'affirmation du recourant, selon laquelle le fait de
posséder un « hukou » rural lui interdirait de s'établir en ville et de
vivre ainsi dans de meilleures conditions matérielles n'est pas tout à fait exacte, dans la
mesure où les réformes introduites durant les dernières décennies ont entraîné
un certain assouplissement du système, et ce même s'il demeure indéniable que celui-ci
constitue toujours une certaine entrave à la liberté du citoyen, que les détenteurs d'un
hukou rural demeurent désavantagés et qu'ils sont de ce fait plus vulnérables (cf. Amnesty
International, op. cit.; UK Home Office, Country of Origin Information
Report - China, 8 janvier 2010, nos 31.01
à 31.10 p. 174 ss; Freedom House China: Freedom in the world 2009, juillet 2009, consulté
le 10 mars 2010 sur le site http://www.freedomhouse.org). Quoiqu'il en soit, ces désavantages
ne sont pas assimilables à de sérieux préjudices au sens de l'art. 3 de la loi du
26 juin 1998 sur l'asile (LAsi, RS 142.31).
3.2.5
(...)
3.3
Outre ses arguments généraux relatifs aux discriminations entraînées
par le système du « hukou », le recourant allègue avoir personnellement
subi des préjudices « importants » de la part de son employeur.
3.3.1
Le recourant soutient dans son mémoire de recours qu'il a travaillé dans des conditions
contraires à la dignité humaine, pour un salaire n'équivalant même pas à la
moitié du minimum nécessaire pour se loger, se vêtir et se nourrir, et qu'il a été
maltraité par son employeur, sans possibilités de faire valoir ses droits en justice,
vu la fragilité de son statut social. Force est de constater que les déclarations du recourant
lors de ses auditions ont été plus modérées. Certes, il a déclaré que son
employeur ne lui donnait quasiment pas de congés, qu'il le payait mal et qu'il lui donnait
parfois des gifles et des coups de pied quand il n'était pas content. Cependant, il reconnaît
lui-même qu'il ne s'agissait pas de graves sévices, puisqu'il convient que son patron
ne le « maltraitait » pas et qu'il l'a plutôt quitté parce qu'il ne le
supportait plus (...). Le recourant argue que cette situation équivalait à une pression psychique
insupportable, au sens de l'art. 3 al. 2 LAsi.
3.3.1.1
A cet égard, il sied de rappeler que les exigences mises par la jurisprudence pour la reconnaissance
d'une telle pression psychique insupportable sont élevées. Il y a pression psychique
insupportable lorsque certains individus ou une partie de la population sont victimes de mesures
systématiques constituant des atteintes graves ou répétées à des libertés
et des droits fondamentaux et qu'au regard d'une appréciation objective celles-ci atteignent
une intensité et un degré tels qu'elles rendent impossible ou difficilement
supportable la poursuite de la vie ou d'une existence conforme à la dignité humaine,
de telle sorte que n'importe quelle personne confrontée à une situation analogue aurait
été contrainte de fuir le pays (Jurisprudence et informations de la Commission suisse
de recours en matière d'asile [JICRA] 2000 n° 17 consid. 10 s.,
JICRA 1993 n° 10 consid. 5e; Organisation suisse d'aide aux réfugiés, Manuel
de la procédure d'asile et de renvoi, Berne 2009, p. 172 ss; Walter
Stöckli, Asyl in: Peter Uebersax/Peter Münch/Thomas Geiser/Martin Arnold [éd.],
Ausländerrecht, Handbücher für die Anwaltspraxis, vol. VIII, 2e éd.,
Bâle 2009, n° 11.15, p. 530; Walter Kälin, Grundriss
des Asylverfahrens, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1990, p. 49 s.;
Minh Son Nguyen, Droit public des étrangers: présence, activité
économique et statut politique, Berne 2003, p. 423 s.).
Lorsqu'il s'agit de préjudices économiques, il faut que la personne ait perdu tous
ses moyens d'existence et ait, objectivement, été empêchée de mener une vie
conforme à la dignité humaine (cf. JICRA 1996 n° 30 consid. 4d p. 291 s.).
3.3.1.2
En l'occurrence, le recourant n'a pas rendu vraisemblable, ni même véritablement allégué
lors de ses auditions, que les conditions de vie dans lesquelles il a vécu chez son employeur équivalaient
à une pression psychologique insupportable, au sens explicité ci-dessus. Quoi qu'il en
soit, la question peut demeurer indécise. En effet, les agissements de son patron n'étaient,
en tout état de cause, pas motivés par des raisons déterminantes au regard de l'art. 3
LAsi, tenant à la personne du recourant, dans le sens développé plus haut. Tout
au plus profitait-il, dans un but d'enrichissement personnel, du fait que son employé ne bénéficiait
pas de statut privilégié en ville.